L’Embranchement de Mugby
L’Embranchement de Mugby, librement inspiré de The Mugby junction de Charles Dickens, mise en scène et scénographie de Michaël Dusautoy, (spectacle tout public à partir de sept ans)
Les chemins de fer ont modifié, au XIXème siècle, la perception des distances, des paysages, de la vitesse et des relations entre les villes. À la place des transports hippomobiles, s’est alors imposée une réalité mouvante et bruyante, dans des nuages de vapeur.
Mais l’agression portée à la transparence de la nature par cette modernité brutale s’est aussi traduite un gain de rapidité pour le déplacement des voyageurs et des marchandises.
Développement économique oblige: finis les chemins de terre, et vive les chemins de fer; se déploie alors un questionnement sur l’esthétique de la modernité, et les peintres impressionnistes installent leur chevalet face aux gares emplies de volutes de fumées.
« Un train Qui roule La vie S’écoule », et surgit la mélancolie d’Alcools de Guillaume Apollinaire, en cette même année 1913, où parait aussi La Prose du transsibérien de Blaise Cendrars. Aujourd’hui, le chapitre des Barbox Frères de L’Embranchement de Mugby (1866), un des célèbres Contes de Noël de Charles Dickens, a inspiré la dernière mise en scène de l’artiste Michaël Dusautoy,
Un spectacle qui provoque le bonheur inespéré d’un retour à l’enfance illuminée. L’univers ferroviaire décline naturellement l’étonnement, la sensation de vitesse, le danger et le bonheur des yeux qui découvrent les merveilles enivrantes du monde.
Avec un voyageur venant de Londres, un homme d’affaires – un « Barbox Frères » -, comme l’indiquent ses bagages – valise, feutre, écharpe et manteau sombre , incarné ici de façon expressionniste par un Jean-Charles Delaume mélancolique, descend à l’improviste par une nuit pluvieuse sur le quai de Mugby, un nœud ferroviaire énigmatique où convergent toutes les lignes d’Angleterre…
Lampes, préposé à la signalisation et lutin joyeux (Damien Saugeon), acrobate et aérien, accueille notre homme dans sa guérite, caverne lumineuse d’Ali Baba pour la fabrication de maquettes, le conduit à l’hôtel puis à la maison, où vit sa fille handicapée Phébé qui regarde, comme en panoramique depuis sa fenêtre, le vaste monde, symbolisé par le nœud ferroviaire d’où partent sept lignes de train. Grâce au père, à sa fille, et à des gens humbles, pleins des richesses existentielles que procurent les valeurs humaines, le bourgeois déçu recouvre l’envie de mouvement, le plaisir de bouger et la joie de s’épanouir, le désir enfin d’être.
Nous ne décrirons pas le chemin personnel qu’accomplit cet homme d’affaires, héros insatisfait, mais pour Michaël Dusautoy et le collectif Quatre Ailes, cette initiation intérieure est prétexte à déployer un imaginaire enfantin vivifié, dont l’ampleur court dans le temps jusqu’à la maturité.
C’est un spectacle certes plus terrien que La Promenade créé par ce même collectif, à partir du texte de Robert Walser, mais dont la dimension céleste n’est pourtant pas absente dans le film où, des nuages gris se transforment en pluie sombre et drue, et des boules de coton blanc fabriquées sous nos yeux par l’artisane et tricoteuse Phébé (Julie André) montent dans les cintres.
La mise en scène est un joyau où participent scénographie, cinéma muet, théâtre, mime et installation plastique. Les comédiens jouent dans un film, mais aussi sur le plateau qu’une caméra vidéo saisit et reproduit sur grand écran, en se frayant un chemin à l’intérieur des méandres d’une maquette en carton – dessin, découpage, collage et illuminations – qui sert de décor naturel. Il ne manque rien à l’aventure pour dire le monde moderne: gare, quais et rails, mis en abyme grâce à ces figurines humaines et maquettes de maisons et bâtiments urbains.
Le public craint de manquer une image merveilleuse, comme l’intérieur éclairé des immeubles, usines, chapiteau de cirque et chambre de Phébé dans la maison sur la colline. Nous sommes comme installés au ciel, contemplant de haut la ville anglaise.
Et ce retour aux rêves épurés de l’enfance apporte du baume au cœur: chacun peut se retrouver dans ce paradis inoubliable que dispensent les débuts de la conscience.
Véronique Hotte
Anis Gras Le Lieu de l’Autre à Arcueil, du 9 au 15 janvier.
Gare Numérique à Jeumont, du 26 au 28 janvier, Salle Watteau à Nogent-sur-Marne le 3 février, Théâtre Jean Legendre à Compiègne le 27 mars, Théâtre de la Madeleine à Troyes, le 31 mars, Espace Europe à Colmar, le 9 avril, Théâtre Municipal de Chelles, les 16 et 17 avril, Salle Pablo Picasso à La Norville, le 13 mai, Théâtre de la Faïencerie à Creil, du 21 au 23 mai.