Oblomov

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Oblomov d’Ivan Alexandrovitch Gontcharov, traduction d’André Markowicz, adaptation et mise en scène de Volodia Serre

 

oblomov_130_brigitteenguerandOblomov, propriétaire terrien installé à Saint-Pétersbourg, passe ses journées, avachi sur son canapé,  en robe de chambre, habité par un goût prononcé pour l’oisiveté. Quand son valet Zakhar le regarde, ou  son meilleur ami Stolz, c’est l’ironie, avec un sourire mi-figue, mi-raisin, qui l’emporte.
Le rêveur passe le plus clair de son temps, reclus dans un appartement d’où il va être bientôt délogé par le propriétaire qui souhaite le récupérer. La vie miniaturisée et réduite de cet anti-héros poétique se tourne entièrement vers son passé bienheureux à Oblomovka, la demeure aristocratique du village de son enfance, dans  une pièce poussiéreuse au papier peint usé et déchiré.
Ce refuge n’en reste pas moins comme la demeure baudelairienne du Spleen de Paris, « Une chambre qui ressemble à une rêverie (…) L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. » Oblomov, que son ami éclairé Stolz secoue avec force  pour essayer de le libérer de ses entraves, ressemble étrangement au Jean Santeuil de Marcel Proust : « Chaque jour, il promettait à sa mère de travailler, à partir du lendemain, et le lendemain, la paresse, plus insolente que la veille de la nouvelle journée qui lui avait été laissée en pâture, avait vite fermé ses livres ou ôté la plume de ses doigts. »
Méditatif et cultivé, en quête d’un dialogue constant avec les autres, Oblomov n’est plus désormais que l’ombre de lui-même, déserté par la moindre passion, si ce n’est celle d’un paradis imaginaire et perdu. A la différence des insectes attirés par la lumière, cafards et autre vermine, qui courent sur les murs de sa chambre et qui peuplent ses cauchemars, le convalescent de l’existence ne semble tiré par rien, mais déserté  par la gamme des émotions, peines et des joies humaines.
Aussi l’humaniste de jadis, qui ne songeait qu’à une vie réfléchie et laborieuse, et à une mort dans la conscience d’avoir accompli sa tâche – servir la Russie jusqu’à ses dernières forces et faire fructifier ses richesses –  réplique   à Stolz : « Mais, enfin, quoi, le but de toutes vos courses, de vos passions, de vos guerres, de vos commerces et de votre politique n’est-il pas de se construire le repos … ? »
Attiré par la musique, le paresseux pourrait tomber amoureux de la belle Olga, interprète lyrique qui lui chante merveilleusement a capella l’aria Cata Diva de Norma de Bellini. Rien n’y fera, il ne combattra pas ses petits travers: une tranquillité régulière hors de tout état d’âme  et un attrait gourmand pour les petits plats d’Agafia, sa logeuse qui deviendra la mère de son fils. Échec du couple ami Stolz et Olga, et victoire existentielle insipide pour Oblomov.
Mais n’est-ce pas lui qui porterait l’essence de la vérité, face à l’avènement de la modernité et à la marche forcée  vers le progrès, comme l’indique Volodia Serre, bon connaisseur du théâtre russe, en particulier Tchekhov et Erdman  ? Est-ce la croissance qui doit être le moteur de la civilisation ? L’ironie et un humour féroce implicite se déploient dans une sorte d’anticipation philosophique, face aux valeurs tendancieuses de la réussite  économique, financière et sociale, contre l’idéal humaniste d’égalité et de fraternité collectives, un idéal historique non atteint encore et qui n’effleure pas le moins du monde l’esprit d’Oblomov, réactionnaire par naissance. Il s’estime être quelqu’un d’importance et non « un autre » vulgaire, comme l’aurait voulu son valet lassé.
Guillaume Gallienne est tout bonnement excellent, nuancé et sincère dans la révélation de ses choix de vie à l’intérieur d’un joli fil de méditation bien tendu. Sébastien Pouderoux,est Stolz, l’homme loyal et l’ami précieux, sûr et fier de lui, qui représente l’image même du succès,et  l’écho masculin d’Olga, la belle musicienne (Raphaèle Bouchard).  Alain Lenglet, (Zakhar, le serviteur fidèle) donne la répartie d’un ton bougon, celui d’un  paysan qui sent les changements à venir. Nicolas Lormeau joue un proche de l’anti-héros, serviable mais étroit de pensée.
Cette mise en scène facétieuse et vive de Volodia Serre s’inscrit dans l’appréciation critique de nos temps bousculés, avec un regard incisif.

 

Véronique Hotte

 

Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie-Française, du 9 au 25 janvier 2015.

  

 

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