Mesure pour mesure

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Mesure pour mesure, de William Shakespeare, mise en scène de Declan Donnellan.

 _dsc1598_company_claudio_sergei_yasir-2Vienne, telle que l’imagine ici Declan Donnellan, est une ville étouffante avec sa police, ses couvents, prisons et bordels. Son Duc est tenu de participer à des cérémonies spectaculaires qui l’ennuient,  mais doit  satisfaire une opinion fanatique, comme l’évoque Georges Banu dans Shakespeare, le monde est une scène.
Mais il ne supporte plus ce devoir de communication populaire, et ressent d’abord la nécessité de comparer les modes divers de gouvernance, selon un idéal de justice. Noble nécessité intérieure qui l’oblige à un éloignement passager du pouvoir: il doit donc laisser sa place à Angelo. Métamorphosé, puisqu’il a pris l’habit du frère Ludovic, le Duc observe la gestion du royaume en son absence : « J’aime le peuple Mais n’apprécie pas de me donner en spectacle à ses yeux :/ Même s’ils sont flatteurs, je n’ai pas beaucoup de goût Pour ses applaudissements bruyants et ses acclamations véhémentes ;/ Et ne trouve pas d’un jugement sain /L’homme qui les affectionne. »
Des phrases évidentes de justesse qui, aujourd’hui, feraient sourire malgré tout. Angelo, presque rigoureux, n’est pas indifférent à la reconnaissance publique: l’intrigue de cette comédie grave, au dénouement imprévisible, participe d’une démonstration appliquée et virulente de la duplicité du responsable politique, faussement loyal.
Mesure pour mesure aborde les questions de la grâce, de la justice, de la vérité, mais aussi la manière dont elles s’articulent avec l’orgueil ou l’humilité, la rédemption souhaitée et la chute : «Il en est que le péché élève, et d’autres que la vertu fait chuter. » La novice Isabella, vertueuse et chaste, fait face à un dilemme, quand son frère est condamné à mort pour fornication. Elle n’approuve pas son comportement mais plaide pour sa vie, par loyauté instinctive et par affection fraternelle, écartelée dans un choix impossible : «Plus forte que notre frère, est notre chasteté». William Shakespeare tisse une toile avec une telle invention, que le frère et la sœur en sortiront indemnes.
La compagnie londonienne Cheek by Jowl de Declan Donnellan s’est associée au Théâtre Pouchkine de Moscou pour mettre sur pied ce Mesure pour Mesure. Le ballet talentueux des jeunes comédiens russes aguerris est fondé sur une chorégraphie à l’envol silencieux et réglée au millimètre. Déplacements scéniques collectifs, mouvements élégants de groupe dont un pion sur l’échiquier – un personnage dans la foule – s’échappe pour un solo, comme dans un jeu ordonnancé de cartes battues puis redistribuées savamment, selon l’ordre progressif de l’intrigue. S’égrènent ainsi des scènes à un, deux ou trois personnages, tandis que le chœur reconstitué s’installe furtivement sur la diagonale opposée de la scène.
La vision de cette humanité viennoise a une dimension simpliste et le spectateur ne peut donc guère se tromper: les bons sont forcément bons et les méchants, de fieffés coquins, attirés par le plaisir, le sexe et l’argent. A moins que ces figures entrevues de l’Enfer ne portent en elles de vraies qualités universelles…
Sur fond noir, d’immenses boîtes d’un rouge flamboyant- loges ouvertes qu’une tournette fait virevolter – tiennent lieu de décor: ce sont des cubes rouges à la manière de Kasimir Malevitch, qui recèlent des vérités cachées.
La mise en scène reste gracieuse, malgré un mécanisme ludique qui tourne au système…

 Véronique Hotte

Théâtre des Gémeaux à Sceaux,  jusqu’au 31 janvier. T : 01 46 61 36 67

 

 

 

 

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