En attendant Godot
En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Laurent Vacher
Laurent Vacher installe cette célèbre pièce (1952) dans une périphérie urbaine désolée, zone désaffectée que les regards intéressés et immobiliers de la ville n’investissent pas encore. En fond de scène, un écran lumineux se colore en alternance en bleu, rouge, vert, pastels, selon le passage de la Blafarde et Jean-Baptiste Bellon a imaginé une scénographie à base de tuyaux d’égout rouillés, restes désaccordés au fonctionnement condamné, entourés de murs de béton grisâtre.
Mais ici, fi des didascalies de Samuel Beckett: l’arbre n’est plus celui de la nature, avec un tronc et des branches qu’une guirlande de feuilles de lierre recouvre dans la seconde journée mais un poteau électrique, aux fils distendus, lointain rappel de la croix christique.
Les propos disjoints entre Estragon et Vladimir, ont à voir avec ceux des deux larrons du Mont des Oliviers, quant à la possibilité de la survie de l’un selon l’Evangile de Saint-Jean.
De larrons, on passe donc à lurons, paronymie hasardeuse que nos joyeux drilles, à l’allure clownesque, assument, tout en se posant la question récurrente du salut. Leur univers correspond, selon Laurent Vacher, à celui de nos temps post-modernes irresponsables qui engendrent aveuglément des SDF, une population nouvelle (mais déjà ancienne!) qui fait partie d’une société injuste. A population différente – il faudrait évoquer encore les Roms de notre présent immédiat -, correspond un paysage autre, à l’image de ses habitants démunis.
Mais ces deux amis en chapeau melon, bavards à l’humour sombre, plaisantent avec des considérations philosophiques sur les privilégiés que nous sommes et attendent un certain Godot depuis un temps indéfini. Attente immobile, crainte et espoir: leur désœuvrement change selon les événements, avant que ne résonne alors, comme un coup de tonnerre dans cet ennui où on tue le temps, l’arrivée d’un couple tout aussi étrange, celui de Pozzo et Lucky, maître et esclave, qui se martyrisent réciproquement.
Antoine Diquéro est Pozzo, caricature de tyran autoritaire et sans cœur, plutôt convaincant, qui suscite le rejet et la désapprobation, et Jean-Claude Leguay, énigmatique et imprévisible, est ce Lucky qui lui donne muettement la réplique. Un Lucky loufoque, absent au monde et à lui-même, à la dégaine inénarrable: cheveux longs, sous-vêtements de vieillard et ceinturon militaire.
Vladimir et Estragon – Dupont et Dupond – en ont le souffle coupé; ils font état de leur colère, face à l’état du monde et tentent de comprendre en vain l’incompréhensible. Pierre Hiessler incarne un Estragon désabusé et mélancolique qui donne une réplique amère à Vladimir (Antoine Mathieu, un comédien plus solaire et à la voix profonde).
C’est un En attendant Godot à tendance grotesque, avec des clowns tristes de cirque…
Véronique Hotte
Théâtre Jean Arp de Clamart, jusqu’au 24 janvier. T: 01 41 90 17 02