Les Cahiers de Nijinski

Les Cahiers de Nijinski de Vaslav Nijinski, texte français et adaptation de Christian Dumais-Lvowski, mise en scène de Daniel Dan Pedro et Brigitte Lefevre

NijinskiVaslav Nijinski, danseur exceptionnel, était né à Kiev de parents polonais et est mort à Londres en 1950, avant d’être enterré au cimetière de Montmartre à Paris.  Mais il n’a eu droit qu’à une petite allée à son nom dans le square de la tour Saint-Jacques!
C’est Serge de Diaghilev qui l’engagea et il fut  l’étoile des Ballets russes  dans de nombreux ballets, chorégraphiés d’abord par Michel Fokine à partir de 1909, comme entre autres Shéhérazade, Petrouchka, Le Spectre de la rose, puis par lui-même, avec Le Sacre du Printemps, L’Oiseau de feu…  Avec de musiques d’Igor Stravinski, Claude Debussy, Maurice Ravel, Manuel de Falla, et avec des scénographies et costumes révolutionnaires, comme entre autres, ceux de Léon Bakst pour Shéhérazade et L’Après midi d’un faune (1912) dont Nijinski assura la chorégraphie. Elle causa un véritable scandale car opposé aux formes du ballet classique: genoux pliés, pieds rentrés… et avec   l’évocation d’un orgasme!
Mais les relations avec Serge de Diaghilev, son amant, se détériorèrent quand Nijinski décida de se marier avec une jeune danseuses hongroise,  Romolà de Pulsky en 1913. Il fut donc exclu des Ballets russes qu’il réintégra pourtant trois ans plus tard. Et à partir de 1918, il écrivit sur de petits cahiers, sur son expérience de danseur et chorégraphe; il y raconte aussi ce que fut sa vie avec Serge de Diaghilev, puis avec sa femme Romolà. Victime d’une grave schizophrénie, il fut ensuite interné  jusqu’à sa mort.
Nijinski parle de tout, et d’abord, et surtout de Dieu, jusqu’à l’obsession mystique: « Je ne suis un singe. Je suis un homme. Le monde descend de Dieu. L’homme vient de Dieu. Il est impossible aux hommes de comprendre Dieu. Dieu comprend Dieu. L’homme est Dieu, c’est pourquoi il comprend Dieu. Je suis Dieu. Je suis un homme. Je suis bon, et pas une bête. J’ai une chair. Je suis la chair. Je ne descends pas de la chair. La chair descend de Dieu. Je suis Dieu. Je suis Dieu. Je suis Dieu… »
Il parle aussi du sexe en termes crus, et de ses proches: Nijinski semble avoir une curieuse relation avec sa jeune épouse et surtout, avec sa belle-mère Emma-Emilia Markus; il parle aussi de ses deux petites filles, de Louise, sa cuisinière, de Nicolas Gogol et Fiodor Dostoievski, des choses et des  animaux. Et surtout  de son amour/haine obsessionnel pour  Serge de Diaghilev avec lequel il dit avoir vécu cinq ans: « J’ai détesté Diaghilev dès les premières rencontres car je connaissais le pouvoir de Diaghilev; (…)Je veux prouver que tout l’art de Diaghilev est une pure bêtise. J’ai été Diaghilev, je connais Diaghilev mieux qu’il ne se connaît lui-même ».
Nijinski parle aussi curieusement de son stylo à réservoir d’encre qui ne fonctionne pas bien et qu’il voudrait transformer, quitte à prendre un brevet pour en tirer de l’argent, d’un pont qu’il voudrait construire entre l’Europe et l’Amérique! Mais aussi des taureaux: « Les Espagnols aiment le sang du taureau, c’est pourquoi ils aiment les assassinats. Les Espagnols sont des gens affreux, car ils commettent des assassinats de taureaux. »  Prophétique, Nijinski s’en prend à  la consommation de viande….
Dans ces Cahiers, il y une fulgurance poétique chez Nijinski mais aussi le renversement permanent d’affirmations personnelles et propositions philosophiques ou esthétiques auquel il ne cesse de livrer. Dans une espèce de ronde infernale où l’on sent déjà les graves désordres mentaux dont il va être atteint… Nijinski dansait parfois jusqu’à l’épuisement, devenait de plus en plus agressif avec ses proches et en arrivait à frapper sa femme. En 1919, il écrira ces Cahiers en quelques semaines, comme dans l’urgence,  sans doute sous l’influence du docteur Fränkel, le médecin de Saint-Moritz qui essaya de le soigner.
Christian Dumais-Lvowski a réalisé en 1993 une adaptation pour le théâtre de ces Cahiers  dont il a édité la version intégrale non expurgée deux ans plus tard et qui a été souvent mise en scène en Europe. Mais impossible de jouer le texte en entier: ici, en quelque soixante-dix minutes, Clément Hervieu-Léger nous en livre la substantifique moelle avec beaucoup d’intelligence, de sensibilité et de pudeur. Il a de plus une certaine ressemblance avec le célèbre danseur, et c’est tout à fait brillant.
Et cela, malgré une scénographie qui ne favorise guère le jeu sur le plateau: imaginez  un plan courbe blanc très pentu qui descend vers le bord du plateau, et une mise en scène/chorégraphie assez médiocre, qui associe l’acteur à une sorte de double/accompagnateur au rôle mal défini (Jean-Christophe Guerri), ce dont on ne voit pas la nécessité.
L’ancien danseur de l’Opéra de Paris est là, toujours silencieux et entraîne parfois Clément Hervieu-Léger dans des roulades, lui remet les chaussures qu’il a enlevées quelques minutes avant, et le regarde très souvent les yeux dans les yeux…  Sans que l’on comprenne vraiment les raisons de tout cela, comme s’il s’agissait de faire digression. Aussi maladroit qu’inutile.
Reste un texte, et quel texte!  que vous découvrirez grâce à l’interprétation magistrale de Clément Hervieu-Léger…

Philippe du Vignal.

Théâtre de l’Ouest Parisien, 1 Place Bernard Palissy, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). T: : 01 46 03 60 44.
Le texte est édité en version non expurgée chez Actes Sud.

 

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