Le Revizor

Le Révizor de Nicolas Gogol, adaptation et mise en scène de Paula Giusti

On connaît l’histoire, suggérée par Alexandre Pouchkine à Nicolas Gogol.  Dans une bourgade de province, on apprend la visite d’un inspecteur du gouvernement… grâce à un moyen direct mais peu recommandable, (le fonctionnaire des postes ouvre le courrier!)
Branle-bas de combat, les notables se préparent quand on apprend qu’un jeune homme au comportement étrange est installé à l’auberge depuis quelques jours : il ne paie pas et  ne sort jamais… Serait-ce lui, l’inspecteur incognito ? Quiproquo : l’un tremble à l’idée de la prison pour dettes et grivèlerie, les autres, à l’idée que leurs petites magouilles vont être dénoncées et  punies, avec, au bout: la déportation en  Sibérie!
Bref, la bande des notables va arroser le freluquet: argent, honneurs, promesses, au point qu’il se fiance avec la fille du bourgmestre, avant de filer à l’anglaise et que n’arrive, peut-être, le véritable inspecteur…
Une vieille histoire rebattue mais non, on est en pleine actualité! Il y a  dans Libération du 19 janvier, le récit des escroqueries de Nicolas Gomez Iglesias, vingt ans, infiltré dans les plus hautes sphères politiques et royales d’Espagne. Passons : l’avidité des puissants, comme la jouissance de la triche est encore très  forte  et  Khlestakov, loin d’être un personnage dépassé.

L’idée, à première vue bizarre, de la metteuse en scène a été de faire de l’escroc opportuniste, une marionnette aux mains de son valet Ossip. Le temps que le processus se mette en place, ça marche. Joué dans le registre du clown, chaque personnage étant caractérisé par son faux nez.
On connaît l‘imaginaire angoissé de Nicolas Gogol à propos du nez. On rit de la clownerie, d’un rire carnavalesque, et l’on sourit de la malice du récit projeté sur un écran mobile, de la fluidité du décor. Même si le rythme de  cette mise en scène n’est pas, lui, toujours aussi tonique, on rit aussi du plaisir du travail bien fait et de la précision du jeu.
Quant à la marionnette, elle est manipulée avec une grâce et une ironie étourdissantes par Ossip (Dominique Cattani), mais aussi par toute la troupe: on vous recommande la valse avec la fiancée… Bouderont ceux qui le veulent bien : avec ce style de jeu, on n’invente sans doute  pas une nouvelle manière de faire du théâtre, mais cela nous ramène quand même, pour notre plus grand plaisir, à la meilleure tradition du Théâtre du Soleil. Laure Pagès compose un bourgmestre merveilleusement trouillard et sûr de lui. Et, quand elle salue à la fin, elle redevient une fille.
À voir, rien que pour le plaisir.

 Christine Friedel

 Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. T: 01 43 28 36 36, jusqu’au 15 février

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Archive pour 19 janvier, 2015

Rouge

Rouge, texte d’Emmanuel Darley, mise en scène de Maïanne Barthès

   spectacle356Dans la pénombre, un haut mur de cageots de bois empilés, traversé par des rais de lumière, et des fumigènes enveloppent  l’espace. On se sent projeté dans une atmosphère de vieille halle aux vins, de barricades, voire de rue malfamée. Sur une passerelle, au-dessus de nous, une caissière de supermarché raconte comment elle a été renvoyée pour avoir voulu récupérer des fruits, plus très frais mais encore consommables, dans les poubelles du supermarché où elle travaille. Pour son employeur,  c’est du vol...
  Le ton est donné: vont se succéder des personnages archétypaux, issus de milieux divers qui vont s’unir et chercher ensemble une réponse à l’injustice et à la frustration d’une société qui les bafoue dans leur dignité, leurs droits, et leur envie de vivre pleinement leur humanité. Ils vont donc former un groupe d’activistes: Quartier libre, qui a sa base dans un squat de la ville.
  Emmanuel Darley veut nous montrer, de l’intérieur, comment ce groupe d’indignés, rouges de colère, va grossir en nombre, s’organiser, agir, et comment un des leurs va s’imposer, et devenir leur leader emblématique. Leurs actions vont vite se radicaliser, évoluant du symbolique comme des tags à la bombe de peinture rouge sur des  distributeurs à billets, à la lutte armée, puis au meurtre! Le groupe se déchirera alors de manière irrévocable, et abandonnera son leader à lui-même, enfermé dans ses certitudes.
  A partir du matériau écrit par Emmanuel Darley, Maïanne Barthès et les comédiens, Hugues Chabalier, Fanny Chiressi, Charlotte Ligneau, Mathieu Lemeunier, Marc Menahem, Anne-Juliette Vassort ont élaboré et bâti Rouge. Avec des allusions aux groupes armés du  XXème siècle, notamment en Allemagne, et en Italie pendant les années de plomb… Et avec des chansons engagées ou révolutionnaires, et des textes qui sont comme autant de manifestes.
   Bonnes intentions et sincérité sont bien là… Mais le collectif a voulu mélanger les écritures et on assiste donc plutôt à un atelier de travail qu’à un spectacle. Les acteurs manipulent les éléments de décor: tribunes, étagères, podiums, comptoirs…, se recoiffent, changent de costume, courent, mais on est ici plus proche de l’agitation, que d’un véritable montage cut.Il n’y a guère d’unité, et le jeu, la mise en scène et les textes, manquent d’engagement…
On repense à ce Foucault 71, monté  par le collectif 71 il y a quelques années, à Alfortville, qui était un exemple marquant de théâtre sur le militantisme…

 Gérard Cherqui

Théâtre-Studio d’Alfortville, jusqu’au 31 janvier, du lundi au vendredi à 20h30, les samedis à 15h30 et 19h30, relâche le lundi 19 janvier.

Platonov

Platonov, d’Anton Tchekhov, traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan, adaptation de Rodolphe Dana et Katja Hutsinger, création collective dirigée par Rodolphe Dana

 

PlatonovVoilà une pièce fascinante : pièce fleuve, creuset de tous les chefs-d’œuvre à venir, considérée à sa naissance comme injouable, sortie des mains et de la tête d’un jeune homme de dix-huit ans, futur médecin besogneux qui gagne sa vie (et même celle de sa famille), en écrivant des petites nouvelles pour les journaux.
 Le titre pourrait être :  Cauchemar d’une nuit d’été , avec quand même de la légèreté, des rires. En ces quelques jours d’un été étouffant, le temps des vacances, des vies vont basculer, autour de deux figures séduisantes, la Générale et Platonov. Elle, veuve, jeune encore, belle et gaie, sans illusions ni projets, ne croit qu’au présent, soleil fragile au centre de cette petite société, et est pressée d’aimer et d’être aimée.
Lui, c’est l’intellectuel raté, simple instituteur quand on attendait le philosophe, le génie que son nom semblait prophétiser. Et pourtant, c’est aussi un pôle d’attraction au centre d’une galaxie -d’amour et de désirs, du côté des femmes, et même de certains hommes-. Comme le dira plus tard Dorn, le médecin de La Mouette : « Comme tout le monde est nerveux ! Et que d’amour ! ».

  Tchekhov a invité dans cette première pièce, tous les types qui continueront à peupler ses nouvelles et son théâtre : l’aristocrate fin de race, incapable de s’emparer de la vie, le riche propriétaire nostalgique, le paysan enrichi qui représentera la nouvelle classe dominante, le fils à papa fasciné par l’Occident, le médecin bouffon et désabusé, la femme savante…
  En même temps, on aurait tort de parler de types : les personnages sont individualisés, chacun a son morceau d’histoire et sa part de mystère. Les plus touchants, ici, sont le bandit Ossip, voleur de bois et de bétail, grand manieur de couteau, amoureux de la Générale, et Sacha, la candide épouse de Platonov, l’ancre et le refuge qu’il ne saura pas garder. Eux, les purs, savent parler d’amour.
  Cette nuit d’été avec ses lendemains amers,  se passe sur le vaste plateau du Théâtre de la Colline. Un mobilier disparate de canapés, chaises et tables, est à la disposition des comédiens, qui installent et défont les scènes. Une  vaste toile de décor à motifs de forêt sert d’abord de tapis, puis passe à la verticale, on ne sait trop pourquoi : pour limiter un espace trop grand ?
Il a l’avantage de suggérer indifféremment le plein air et les intérieurs, la steppe, la Russie tout entière, si l’on veut, mais exagère les distances entre les personnages. Du coup, le tissu de la mise en scène se défait, et les  acteurs jouent chacun pour soi. Et mieux vaudrait éviter d’ennuyer le spectateur pour évoquer l’ennui. Mieux vaudrait aussi ne pas isoler chaque comédien dans sa propre bulle de jeu pour évoquer l’enfermement des solitudes…

  Le résultat est donc très inégal. Emmanuelle Devos s’en tire  très bien, avec justesse et vaillance et elle  incarne sans peine le charme et l’insolence, l’indolence aussi, de la Générale. Rodolphe Dana ne s’est pas trompé sur ce point : c’est un beau rôle pour elle. Mais lui,  en Platonov, ne se donne pas autant de cartes. D’autres n’en ont qu’une, apparemment….
  On suit néanmoins l’affaire, avec des moments  très burlesques. Rodolphe Dana cite Jean Vilar, le premier à avoir monté Ce Fou de Platonov, pour qui Tchekhov n’a pas fait « du Labiche triste ». Mais, en dehors des  bonnes scènes que l’on doit à Emmanuelle Devos, c’est ce ton de Labiche triste qui fait les meilleurs moments du spectacle.
Reste la pièce, qui bouscule les préjugés qu’on peut avoir sur Tchekhov et sa petite musique. Cette mise en scène manque de rythme, de justesse parfois, mais pas de dissonances. On a envie de dire : à voir quand même…

 Christine Friedel

Théâtre de la Colline, Paris T: 01 44 62 52 52, juqu’au 11 février.

Je suis

Je suis par le Théâtre KNAM, spectacle en russe surtitré en français, texte et mise en scène de Tatiana Frolova,

je_suis_deuxNous avions pu découvrir cette troupe étonnante, venue de Komsomolsk-sur-Amour, en 2012 avec Une guerre personnelle au festival lyonnais Sens Interdits. Inspiré par la bouleversante chronique d’Arkadi Babtchenko,  correspondant de guerre en Tchétchénie, Je suis avait déjà été invité au festival Passages de Nancy, par Jean-Pierre Thibaudat, grand arpenteur de la Russie.
Le KNAM, créé en 1985 sous le régime soviétique, est un théâtre indépendant doté d’une salle de trente places dans «une petite ville de 300.000 habitants! »… La perestroïka lui permit de monter ses premiers spectacles, comme La Métamorphose de Franz Kafka, Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès et Hedda Gabler d’Henrik Ibsen.
Puis, en 2006, la compagnie se tourne vers le théâtre documentaire avec Endroit sec et sans eau,  et Une guerre personnelle, qui furent invités en France. Le KNAM travaille sans aucune subvention, (ses cinq membres vivent de petits boulot), et n’a donc pas de dates précises pour présenter des créations abouties, «des conditions extrêmement favorables pour tout artiste » !
Nous avions déjà assisté  à ce spectacle au Théâtre de Poche de Genève en 2013  (voir Le Théâtre du Blog) mais  il est ici beaucoup plus clair. Comme souvent, lors d’une deuxième vision, on peut croire, mais à tort, que le spectacle a été modifié; Elena Besserova nous a assuré que rien n’avait changé. Comme les autres personnages joués par Elena Bessenova, Dmitry Bocharov, Wladimir Dmitriev, elle  interprète son propre rôle, celui d’une fille qui assiste à la déchéance mentale de sa mère atteinte par un Alzeimer,

Construit sur une superposition irréelle d’images audiovisuelles, sur le plateau et dans la salle, Je suis retrace la généalogie de ces grands-pères et grands-mères, arrêtés, exilés et dépouillés de leurs biens, et dont beaucoup ont disparu. Au centre, la mère d’Elena, chez elle, aux côtés de sa fille qu’elle ne reconnaît plus, et qui s’obstine  à vouloir retourner  dans son appartement…
Les souvenirs anciens remontent, comme cette robe qu’elle a eu le droit de se coudre, pour tout salaire, après des mois de travail,et  les efforts pour élever les enfants, envers et contre tout : »J’ai fait ce que j’ai pu, pour que ton frère et toi ne soient pas des mauviettes ! ». Des vidéos de petits portraits dessinés  offrent une dimension ludique et émouvante à ce terrible massacre qui connaît encore des résurgences.
Ce cauchemar n’a pas été oublié à Komsomolsk-sur-Amour et ce n’est pas le régime actuel qui parviendra à le résorber! On voit aussi  Wladimir Poutine salué par des acclamations à plusieurs reprises. Une belle émotion…
Je suis se jouera prochainement à la Chaux-de-Fond (Suisse). Un spectacle à ne pas manquer…

Edith  Rappoport

Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, à Paris, le 16 janvier.

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