Je suis
Nous avions pu découvrir cette troupe étonnante, venue de Komsomolsk-sur-Amour, en 2012 avec Une guerre personnelle au festival lyonnais Sens Interdits. Inspiré par la bouleversante chronique d’Arkadi Babtchenko, correspondant de guerre en Tchétchénie, Je suis avait déjà été invité au festival Passages de Nancy, par Jean-Pierre Thibaudat, grand arpenteur de la Russie.
Le KNAM, créé en 1985 sous le régime soviétique, est un théâtre indépendant doté d’une salle de trente places dans «une petite ville de 300.000 habitants! »… La perestroïka lui permit de monter ses premiers spectacles, comme La Métamorphose de Franz Kafka, Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès et Hedda Gabler d’Henrik Ibsen.
Puis, en 2006, la compagnie se tourne vers le théâtre documentaire avec Endroit sec et sans eau, et Une guerre personnelle, qui furent invités en France. Le KNAM travaille sans aucune subvention, (ses cinq membres vivent de petits boulot), et n’a donc pas de dates précises pour présenter des créations abouties, «des conditions extrêmement favorables pour tout artiste » !
Nous avions déjà assisté à ce spectacle au Théâtre de Poche de Genève en 2013 (voir Le Théâtre du Blog) mais il est ici beaucoup plus clair. Comme souvent, lors d’une deuxième vision, on peut croire, mais à tort, que le spectacle a été modifié; Elena Besserova nous a assuré que rien n’avait changé. Comme les autres personnages joués par Elena Bessenova, Dmitry Bocharov, Wladimir Dmitriev, elle interprète son propre rôle, celui d’une fille qui assiste à la déchéance mentale de sa mère atteinte par un Alzeimer,
Construit sur une superposition irréelle d’images audiovisuelles, sur le plateau et dans la salle, Je suis retrace la généalogie de ces grands-pères et grands-mères, arrêtés, exilés et dépouillés de leurs biens, et dont beaucoup ont disparu. Au centre, la mère d’Elena, chez elle, aux côtés de sa fille qu’elle ne reconnaît plus, et qui s’obstine à vouloir retourner dans son appartement…
Les souvenirs anciens remontent, comme cette robe qu’elle a eu le droit de se coudre, pour tout salaire, après des mois de travail,et les efforts pour élever les enfants, envers et contre tout : »J’ai fait ce que j’ai pu, pour que ton frère et toi ne soient pas des mauviettes ! ». Des vidéos de petits portraits dessinés offrent une dimension ludique et émouvante à ce terrible massacre qui connaît encore des résurgences.
Ce cauchemar n’a pas été oublié à Komsomolsk-sur-Amour et ce n’est pas le régime actuel qui parviendra à le résorber! On voit aussi Wladimir Poutine salué par des acclamations à plusieurs reprises. Une belle émotion…
Je suis se jouera prochainement à la Chaux-de-Fond (Suisse). Un spectacle à ne pas manquer…
Edith Rappoport
Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, à Paris, le 16 janvier.