Cannibales, texte et mise en scène de José Pliya
Sur la scène nue, trois chaises pour trois femmes assises dans un square. Il y a ainsi Christine qui, s’est assoupie une minute, le temps que sa petite fille allongé dan son landau disparaisse. Pas très loin, Martine, elle aussi, venue promener son enfant qui est en train de dormir, et enfin Nicole, nettement plus âgée qui visiblement n’aime pas les enfants.
Sur ce thème de la disparition et de l’onde de choc qu’elle produit quand elle arrive dans une famille, José Pliya a écrit une pièce qui tient, dit-il, « du parcours initiatique, et où ces trois femmes sont à trois niveaux d »expérimentation. Christine est encore pleine d’espoir. Elle a perdu quelque chose qu’elle dit être son bébé. Elle en est persuadée, convaincue. Avec énergie, force et détermination. Martine est à mi- parcours. Les frustrations des espoirs déçus, elle les a déjà connus. Elle sait que retrouver l’ineffable est une chimère. Nicole, elle, a fini son initiation. Elle est passée par tous les stades du désir: envie, excitation, possession, dépossession, égoïsme, orgueil, amour propre, filiation, mort, disparition… » Et José Pliya clame haut et fort que ce texte est le récit nietzschéen d’une émancipation ». On veut bien mais quand même!
Sur la vaste scène, ces trois mères assez dissemblables ont pour dénominateur commun, d’avoir eu un enfant. Et pour l’auteur, si on a bien compris, le profond mais impossible désir pour lui d’en avoir un. Féminin, masculine, l’angoisse existentielle, passe ici par la question de la souffrance à travers celle de ces trois femmes.
Le square est ici figuré par des lumières rasantes (c’est un peu facile mais cela impressionne toujours!), les landaus par des caddies de supermarché (?), et ces trois chaises perdues dans un immense espace nu, figurent assez bien la solitude et l’angoisse métaphysique de tout être humain. Dans le pays de José Pliya, le Bénin, les anciens disent souvent que le plus grand malheur pour un homme est de n’avoir pas eu d’enfant, soit la plus grande richesse que l’on puisse posséder, et le seul prolongement de soi-même avant l’inexorable disparition.
L’écriture de José Pliya est, comme d’habitude, ciselée, mais souffre ici d’une trop grande habileté, et on a la nette impression que la pièce tourne à vide, même si les trois comédiennes, bien dirigées, font le boulot. La faute à quoi? Bavard et volontiers démonstratif, moralisateur et esthétisant, avec effets d’écriture et recours permanent dans la mise en scène, à la belle image et aux effets sonores marqués, le spectacle ne nous a guère concerné.
Sans doute à cause d’une panne de métro, arrivé en retard et donc placé en fond de salle, étions-nous loin des trois comédiennes, mais, à aucun moment de la pièce, nous ne sommes senti touché… A l’entrée, la personne de l’accueil nous avait prévenu qu’il s’agissait d’une pièce intimiste, et qu’il fallait respecter cette intimité, nelevr son vêtement avant d’entrer dans la salle, de façon à ne pas faire le moindre bruit. Donc acte.
Malgré tout, ce que se racontaient pendant plus d’une heure, ces trois personnages, vêtues de belles longues robes, comme dans une B.D. façon Moyen-Age, ne nous a guère concerné, et le texte distillait un ennui profond. Mais un père de famille peut ne pas avoir le même avis- qui était aussi celui de deux de nos confrères masculins – que notre amie Véronique Hotte (voir plus bas).
Désolé, mais José Pliya, écrivain et dramaturge reconnu, (voir par exemple Le Complexe de Thénardier, Une Famille ordinaire) nous avait quand même habitué à une autre qualité de texte qui, ici, n’est pas exempt de facilités. Dommage…
Philippe du Vignal
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La figure de la mère est unanimement valorisée : premier objet d’amour de l’être humain, et les autres affections de la vie s’épanouissent depuis cet élan initial. L’amour maternel, l’amour filial, un seul sentiment fusionnel, une sorte d’absolu. Or, être une bonne mère représente un défi, selon Freud, pour qui cette figure d’amante est un danger : « Quoi qu’elles fassent, elles auraient toujours tort… » Mais, à travers toute l’iconographie chrétienne, l’effusion maternelle reste bien la reine, comme chez la Mater dolorosa…
Ici, ces Mater Dolorosa sont des femmes debout, droites et hautaines, vêtues façon Blanche-Neige revue par Walt Disney, comme les reines cruelles des contes enfantins, avec un long manteau ample doublé de satin, le col relevé avec orgueil. Si ces figures féminines inquiétantes sont devenues maternelles, c’est un choix, et non un destin : elles restent maîtresses d’elles-mêmes, physiquement et mentalement fortes, contrôlant avec égoïsme leur existence.
Elles paraissent glisser vers une virilité approximative car, même si la maternité relève de la féminité, elle ne concerne ni la faiblesse ni la fragilité. Simone de Beauvoir doute dans Le Deuxième Sexe de l’accomplissement d’un tel destin : «Ordinairement, la maternité est l’étrange compromis de narcissisme, d’altruisme, de rêve, de sincérité, de mauvaise foi, de dévouement, de cynisme. »
Dans le regard de ces trois étranges Grâces, on pourrait relever un reste d’enfance, qui va s’amenuisant, de la plus jeune à la plus âgée : depuis Christine (Lara Suyeux) qui a perdu, le temps d’un court sommeil, sa fille dans son landau, en passant par l’expérience de Martine (Claire Nebout), mère d’un petit Martin dormant aussi dans son landau. Quant à l’aînée, symbole d’une sagesse âpre, elle est seule et pensive, loin des tourments quotidiens de l’enfance.
Dans une action à connotation métaphysique, c’est un trio étrange qui évolue dans l’admirable scénographie de José Pliya et Danielle Vendé : un vaste parc design, créé avec l’illusion de ses bancs et de ses allées, ses parterres et ses bosquets, ses lignes de fuite vers un horizon de feuillages, «les cimes des acacias», que soulignent les lumières de Philippe Catalano.
José Plyia joue de l’art de la répétition et de la variation, dans une belle prose poétique aux mots ciselés et ordonnancés avec un sens vibrant du rythme et de la résonance sonore. Cette langue classique et étincelante, façon Bernard-Marie Koltès dans La Solitude des champs de coton, se compose de longues répliques que les interlocutrices s’échangent: descriptions, courts récits, argumentaires.
Rien n’est laissé au hasard, comme la partition musicale d’une méditation ambiante sous haute tension, et chacune des femmes s’adresse à l’autre avec verve et rage ressemblant à une diva à qui on aurait ôté la lumière! L’ancienne, déterminée, rétorque à la plus jeune qui lui demande des explications : « Je ne vous connais pas. Aussi, rien ne m’oblige à vous répondre, ni ma volonté, ni mon envie, et je n’ai de disponible pour vous que mon indifférence. »
La mère, désemparée et invincible à la fois, répond alors à ses paires odieuses et oublieuses : «Ce n’est pas grave. La mère est là pour les aider à se ressouvenir. C’est son rôle, c’est son devoir. Et, si elles n’y arrivent pas, la mère dispose d’un arsenal de persuasion…» Elles ont à voir avec l’épreuve inévitable et incontournable de la dépossession symbolique, existentielle, maternelle, matérielle et sociale. Un combat, un duel, une bataille des esprits pour défendre une vision du monde que l’être se réapproprie, loin des soumissions ordinairement attendues.
Véronique Hotte
Théâtre 71/ Scène Nationale de Malakoff, jusqu’au 30 janvier. T : 01 55 48 91 00.
Le texte est publié à L’Avant-scène théâtre, Collection des Quatre-Vents)