Le Dieu bonheur

Le Dieu Bonheur (+greffes), textes d’Heiner Müller et de Bertold Brecht, mise en scène, scénographie et musique d’Alexis Forestier.

   le_dieu_bonheur_c_thomas_guillot_4Pour une fois, on va commencer par les problèmes que pose ce spectacle et finir par le plaisir intense qu’il procure. « C’est trop long » : oui, car l’entreprise a les défauts de ses qualités. Les textes de Bertold Brecht et d’Heiner Müller sont exposés  dans leur intégralité, avec une honnêteté absolue, dans leur nature de fragments et de questionnement.
Donc, pas de synthèse, c’est au spectateur de la faire. Pris au sérieux, il est invité, de fait, à travailler dur sur ce qu’il voit et entend. Vertu difficile : Bertold Brecht, et surtout Heiner Müller, qui observe «  le changement de fonction de la littérature dans une période de transition », ont l’œil vif, le regard large et profond sur le monde, et sur l’Europe en particulier. En « attente de l’histoire », avec un communisme qui n’a pas eu lieu, la vision d’ensemble est compliquée. Mais quoi, la vérité n’est pas simple…
Revenons donc au Dieu Bonheur. Après dix mille ans de sommeil (seulement ?), il  revient sur terre pour constater où en sont ses disciples. Ce n’est pas brillant : le bonheur s’appelle argent, les riches voudraient l’annexer. Il n’est, ni devant, ni derrière. Soldats morts, paysans sans terre – où planter les pépins de la pomme que le DB (l’auteur l’appelle ainsi…) lui a offerte ?- et  quelle place pour le Dieu Bonheur ici-bas ? Et, pire encore pour lui, une fois les besoins satisfaits, que devient ce qu’on appelle bonheur?
Que faire ? Dirait Lénine bavardant incognito dans un bois avec un cueilleur de champignons qui aimerait bien que Lénine soit là… Le D. B., boule instable, ballon auquel on joue sans règles, ne sait pas faire face à cette nouvelle dialectique du bonheur. L’inutile immortel est au comble de l’impuissance. L’idée du bonheur n’est plus neuve en Europe, et le spectre du communisme qui, pour Heiner Müller encore, hante les années soixante, est devenu bien transparent…
À cela, Alexis Forestier répond par un spectacle proprement matérialiste, et très actuel, sans clins d’œil : quand le D. B.  change la banderole « d’abord travailler mieux, ensuite vivre mieux » en « d’abord vivre mieux, ensuite travailler mieux », c’est dans le texte d’Heiner Müller, dont l’actualité est sidérante: c’est notre monde, aujourd’hui, y compris avec la religion et ses paradis, opiums mortels des peuples.
La distinction entre scénographie et mise en scène n’a pas lieu d’être ici : les acteurs œuvrent incessamment à tirer des ficelles, à transformer l’espace et la fonction des objets (style arte povera), rendant compte de l’incessante transformation du monde. La musique, enfin, n’est pas un ornement mais à la base même de l‘écriture de ce Dieu Bonheur qui devait être un opéra; les compositions et improvisations d’Alexis Forestier donnent donc au spectacle sa qualité de présence, au présent.
Pardon pour ces jeux sur les mots, qui sont ici nécessaires. Là est le plaisir, et la jubilation : que les spectres d’aujourd’hui, la crise, les mensonges consuméristes, soient agités avec des moyens aussi simples, aussi engagés dans le réel! L’écriture scénique d’Alexis Forestier est dans le vrai. C’est rare et précieux. Et voilà comment l’enthousiasme cohabite avec le « c’est quand même trop long ».

 Christine Friedel

Théâtre de l’Echangeur à Bagnolet T: 01 43 62 71 20 – jusqu’au 1er février, puis au Théâtre Dijon-Bourgogne du 7 au 11 avril; au Théâtre des Bernardines à Marseille du 5 au 9 mai, et à la Scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy, les 10 et 11 mai.


Archive pour 27 janvier, 2015

La dame aux jambes d’azur

La Dame aux jambes d’azur d’Eugène Labiche et Marc-Michel, mise en scène de Jean-Pierre Vincent

 

 la_dame_014_crEncore une pièce de Labiche au titre faussement prometteur, et qui ne fera aucune ombre aux deux précédents (voir Le Théâtre du Blog) brillamment montés par Jean Boillot à Thionville, il y a quinze jours; ici, il s’agit aussi d’une courte pièce,  créée en 1857, au Palais-Royal,  au bénéfice de Lucie Durand, comédienne en retraite.
 C’est une sorte de  caricature grinçante du milieu théâtral de l’époque avec Arnal, Ravel, Grassot, Hyacinthe, des acteurs qui avaient déjà travaillé pour Eugène Labiche, et qui, comme chez Jérôme Deschamps,  donnent ici leur véritable nom à leurs personnages. Mais les préposés à la censure n’avaient pas apprécié qu’une des comédiennes joue assise parmi le public. Originalité à l’époque, devenue insupportable scie à la mode dans le théâtre contemporain depuis au moins soixante ans! Autres temps, autres mœurs!
Le thème de la pièce? On annonce au public que cette Dame aux jambes d’azur n’est pas au point, et que la première est donc remplacée par une répétition publique à laquelle le public est invité à rester,  si bon lui semble. Bref, du théâtre dans le théâtre, vieille baderne que l’on ne finit plus de traîner au théâtre comme au cinéma,  et dans les comédies musicales!
“ L’écriture de Labiche, dit Jean-Pierre Vincent relève du cauchemar léger comme principe générateur de l’humour et du comique (…) Mais il y a plus intéressant: faire voyager nos acteurs vivants jouant des cateurs morts, entraîner les spectateurs dans ce voyage à travers le temps et cette réalité presque onirique, jusqu’au non-sens”.
Jean-Pierre Vincent semble bien enthousiaste,  et voir dans cette minceur de texte, un prédécesseur des films burlesques américains!
Et cela  donne quoi? Pas grand-chose, et c’est un euphémisme! D’abord, l’intrigue  de cette très courte pièce pèse des tonnes: il s’agit d’un acteur qui se croit auteur, d’un machiniste qui remplace le souffleur, lequel est analphabète, et de autres  trois acteurs qui ne connaissent pas leur texte. Quant à  la comédienne, elle n’arrive pas à jouer correctement et chante faux! Et il y a une  Madame Chatchignard (Claude Mathieu),  qui, dans le public, propose à un acteur de lui louer un appartement et négocie avec lui qui est sur la scène en plein milieu de la répétition… On se demande bien pourquoi Jean-Pierre Vincent  est allé chercher ce remarquable chef-d’œuvre!
Une erreur pouvant en  induire une autre, il a cru bon “de ralentir le tempo, sans maniérisme, faire en sorte que que cette folie soit celle de personnes plausibles”. Idée aussi sotte que grenue! La minceur du texte en devient encore plus flagrante, et il y a comme des poches d’air dans une action qui n’est déjà pas des plus passionnantes!

  Ce qui aurait donc pu être à l’extrême rigueur, une petite pochade/lever de rideau, s’éternise ici sans raison. Mais pourrait-on convoquer le public pour une demi-heure? Il y a juste un instant où on rit vraiment: quand deux comédiens arrivent avec chacun,  leur petit chien…
Alors, très franchement, réunir autant de bons acteurs de la Comédie-Française (dont Gérard Giroudon, Gilles David, Julie Sicard, Jérôme Pouly) qui n’ont pas  l’air d’être vraiment à l’aise, et deux musiciens pour accompagner quelques chansons, demander une belle toile peinte  de forêt au fidèle Jean-Pierre Chambas, des lumières à Alain Poisson, et confier la dramaturgie ( sic!) à Bernard Chartreux! Tout cela, pour en arriver à cette chose, même pas drôle, et qui se traîne ?
On nous dira que c’est aussi le rôle de la Comédie-Française de faire jouer des pièces oubliées. Sans doute, mais quand même pas n’importe lesquelles, et pas n’importe comment! On a connu Jean-Pierre Vincent vraiment plus inspiré, quand il montait L’ Affaire de la rue de Lourcine avec Patrice Chéreau et La Cagnotte, du même Eugène Labiche…

 Le public s’est demandé pourquoi il était là, et a donc applaudi très mollement: on le comprend!

 

 Philippe du Vignal

 

Comédie-Française/Studio-Théâtre jusqu’au 8 mars.
 

Le petit poilu illustré

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Le petit Poilu illustré, texte d’Alexandre Letondeur, mise en scène de Ned Grujic

 

  Paul et Ferdinand, deux jeunes poilus racontent aux enfants comme aux adultes, les grands moments historiques et la vie quotidienne de la guerre de 14-18 ( plus de neuf millions de soldats tués)  Le dernier combattant français, Lazare Ponticelli, est mort en 2011, et  le dernier allemand, Erick Kästner, en 2008. Il y a eu de nombreux spectacles en ce centenaire sur la guerre de 14 mais le texte et l’interprétation d’Alexandre Letondeur et Romain Puyuelo,  comme la mise en scène de Ned Grujic, sont  exceptionnels.
  Le plateau de la salle voûtée du Théâtre Essaion n’en est pas vraiment un, puisque les deux comédiens jouent  à même le sol, entre deux gros et beaux piliers de pierre blanche. Pas de véritable décor mais juste quelques accessoires : des valises, un tableau noir, deux drapeaux français, une caisse qui sert de banc, une belle trompette en cuivre et un accordéon, et deux ridicules petits fusils en bois, plus terribles encore que les vrais dans leur dérision. Les costumes: sont impeccables  capotes bleu-gris, calots et casques d‘époque. A chaque thème abordé, une séquence  sur  cette effroyable boucherie, avec extraits de lettres, journaux et témoignages de combattants dans leurs tranchées….
 Le récit de la mobilisation d’abord,  avec le traumatisme qu’elle produisit chez de jeunes hommes arrachés à leurs champs, parlant, par exemple occitan comme  sur les bords du Lot d’où ils partirent en saluant leur hameau: «Adieu Montarnal, nous ne te reverrons jamais» et, comme me l’avait commenté sobrement Noélie une vieille paysanne né dans ce hameau: «Et ils ne sont jamais revenus».
 Il y a aussi la bataille de la Marne, les lettres de la famille, l’offensive qui tourna à la catastrophe du piteux général Nivelle en 1917, au devenu trop célèbre Chemin des dames, avec quelque 200. 00  Français tués en deux mois, la fraternisation le soir de Noël entre ennemis…qui ne dura pas  bien longtemps… Un thème qu’avait traité Jérôme Savary dans Noël au front, un formidable spectacle, mais aussi la bataille de Verdun (1916) avec une perte de 200.000 hommes de chaque côté !
  Mais rien de morbide  ou de sinistre dans ce spectacle, malgré l’horreur et le bruit des bombes  mais plutôt un certain burlesque, une certaine fantaisie, grâce à un jeu distancié, et à un savant mélange de récits, dialogues, jeu masqué, et marionnettes pour dire la vie des tranchées. Avec de la musique classique, du rap et des chansons d’époque.
  La mise en scène et la direction d’acteurs de Ned Grujic sont d’une grande sensibilité (comme on avait pu déjà le repérer quand il avait dirigé Les Pompières poétesses (voir Le Théâtre du Blog). Et les deux acteurs/clowns, très en harmonie, ont un jeu -diction et gestuelle – de grande qualité. Pas de temps mort : en quelque cinquante-cinq minutes, c’est une évocation (mais sans aucun pathos) de cette guerre atroce qui ne peut laisser personne indifférent.
Les adultes et les enfants n’ont évidemment pas le même regard mais c’est justement ce mélange qui constitue un bon et véritable public, très attentif et qui rit souvent. Et aux saluts, un petit garçon de neuf ans a eu le mot de la fin : «Merci, monsieur, c’était super !» Que dire de plus? On espère que ce spectacle, qui va sûrement être longtemps joué, le soit dans de meilleures conditions. Mais, même ici, ne le ratez surtout pas et si vous le pouvez, emmenez-y des enfants, vous ne le regretterez pas…
Ou oubliait: Pierre Etaix, orfèvre en matière de rire, en a dit le plus grand bien et, vous l’aurez compris nous aussi.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Essaïon 6 rue Pierre au lard, jusqu’au 15 avril, les mercredis, samedis et dimanches à 16h; et tous les jours à 16 heures pendant les vacances scolaires du 14 février au 1 er mars inclus.

Les 28 septembre à Douai (59); 1 er octobre à L’Hay-les-Roses (94); 4/5 octobre à Beaugency (45); 7 octobre à L’Aigle (61)
8/9 octobre à Nogent-le-Rotrou (28); 12 octobre à Saint-Quentin-Fallavier (38); 15 octobre à Mozac (63); 16 octobre à Feur (59); 18 octobre à Montfermeil (93); 20 octobre à Avallon (89); 24 octobre à La Ferté-sous-Jouarre (77): 25/26/27 octobre à Neuilly-sur-Seine (92).
 Les 4/5 novembre à Saint-Marcellin (38); 6 novembre au Plessis-Robinson (92); 7/8 novembre à Jarville-La Malgrange (54); 9/10 novembre à Villeparisis (77); 11 novembre à Saint-Georges-sur-Cher (41); 13/14/15 novembre à Saint-Dié des Vosges (88); 16 novembre à Longvic (21); 17 novembre à Montlhéry (91); 18 novembre à Saint-Pathus (77).
 19 novembre à Dax (40);  22 novembre à Nogent-sur-Oise (60); 24 novembre à Lambesc (13); 27 novembre à Rognac (13); 29 novembre à Auneau (28); 30 novembre à Bussy-Saint-Georges (77)
 
Les 1er décembre à Bussy Saint-Georges (77); 4 décembre à Saint-Cyr l’Ecole (78); 7 décembre à Gif-sur-Yvette (91); 10/11/12 décembre à Pont-Sainte-Maxence (60); 14/15 décembre à Romainville (93); 19/20/21 décembre à Pontarlier (25).

 
 

 

 

Cannibales

Cannibales, texte et mise en scène de José Pliya

ClaireBesse.Cannibales.2164-85Sur la scène nue, trois chaises pour trois femmes assises dans un square. Il y a ainsi  Christine qui, s’est assoupie une minute, le temps que sa petite fille allongé dan son landau disparaisse. Pas très loin, Martine, elle aussi, venue promener son enfant qui est en train de dormir, et enfin Nicole, nettement plus âgée qui visiblement n’aime pas les enfants.
Sur ce thème de la disparition et de l’onde de choc qu’elle produit quand elle arrive dans une famille, José Pliya a écrit une pièce qui tient, dit-il, « du parcours initiatique, et où ces trois femmes sont à trois niveaux d »expérimentation. Christine  est  encore pleine d’espoir. Elle a perdu quelque chose qu’elle dit être son bébé. Elle en est persuadée, convaincue. Avec énergie, force et détermination. Martine est à mi- parcours. Les frustrations des espoirs déçus, elle les a déjà connus. Elle sait que retrouver l’ineffable est une chimère. Nicole, elle, a fini son initiation. Elle est passée par tous les stades du désir: envie, excitation, possession, dépossession, égoïsme, orgueil, amour propre, filiation, mort, disparition… » Et José Pliya clame haut et fort que ce texte est le récit nietzschéen d’une émancipation ». On veut bien mais quand même!
Sur la vaste scène, ces trois mères assez dissemblables ont pour dénominateur commun, d’avoir eu un enfant. Et pour l’auteur, si on a bien compris, le profond mais impossible désir pour lui d’en avoir un. Féminin, masculine, l’angoisse existentielle, passe ici par  la question de la souffrance à travers celle de ces trois femmes.
Le square est ici figuré par des lumières rasantes (c’est un peu facile mais cela impressionne toujours!), les landaus par des caddies de supermarché (?), et ces trois chaises perdues dans un immense espace nu, figurent assez bien la solitude et l’angoisse métaphysique de tout être humain. Dans le pays de José Pliya, le Bénin, les anciens disent souvent que le plus grand malheur pour un homme est de n’avoir pas eu d’enfant, soit la plus  grande richesse que l’on puisse posséder, et le seul  prolongement  de soi-même avant l’inexorable disparition.

L’écriture de José Pliya est, comme d’habitude, ciselée, mais souffre ici d’une trop grande habileté, et on a la nette impression que la pièce tourne à vide, même si les trois comédiennes, bien dirigées, font le boulot. La faute à quoi? Bavard et volontiers démonstratif, moralisateur et esthétisant, avec effets d’écriture et recours permanent dans la mise en scène, à la belle image et aux effets sonores marqués, le spectacle ne nous a guère concerné.
Sans doute à cause d’une panne de métro, arrivé en retard et donc placé en fond de salle, étions-nous  loin des trois comédiennes, mais, à aucun moment de la pièce, nous ne sommes senti touché… A l’entrée, la personne  de l’accueil nous avait prévenu qu’il s’agissait d’une pièce intimiste, et qu’il fallait respecter cette intimité, nelevr son vêtement avant d’entrer dans la salle, de façon à ne pas faire le moindre bruit. Donc acte.
Malgré tout, ce que se racontaient pendant plus d’une heure, ces trois personnages, vêtues de belles longues robes, comme dans une B.D.  façon Moyen-Age, ne nous a guère concerné, et le texte distillait un ennui profond.
Mais un père de famille peut ne pas avoir le même avis- qui était aussi celui de deux de nos confrères masculins – que notre amie Véronique Hotte (voir plus bas).
Désolé, mais José Pliya, écrivain et dramaturge reconnu, (voir par exemple Le Complexe de Thénardier, Une Famille ordinaire) nous avait quand même habitué à une autre qualité de texte qui, ici, n’est pas exempt de facilités. Dommage…

Philippe du Vignal

                                                                                 ++++++++++++++++++++++++

 ClaireBesse.Cannibales.2164-83La figure de la mère est unanimement valorisée : premier objet d’amour de l’être humain, et les autres affections de la vie s’épanouissent depuis cet élan initial. L’amour maternel, l’amour filial, un seul sentiment fusionnel, une sorte d’absolu. Or, être une bonne mère représente un défi, selon Freud, pour qui cette figure d’amante est un danger : « Quoi qu’elles fassent, elles auraient toujours tort… » Mais, à travers toute l’iconographie chrétienne, l’effusion maternelle reste bien la reine,  comme chez  la Mater dolorosa…
Ici, ces Mater Dolorosa sont des femmes debout, droites et hautaines, vêtues façon Blanche-Neige revue par Walt Disney,  comme les reines cruelles des contes enfantins, avec un long manteau ample doublé de satin, le col relevé avec orgueil. Si ces figures féminines inquiétantes sont devenues maternelles, c’est un choix, et non un destin : elles restent maîtresses d’elles-mêmes,  physiquement et mentalement fortes, contrôlant avec égoïsme leur existence.
  Elles paraissent glisser vers une virilité approximative car, même si la maternité relève de la féminité, elle ne concerne ni la faiblesse ni la fragilité. Simone de Beauvoir doute dans Le Deuxième Sexe de l’accomplissement d’un tel destin : «Ordinairement, la maternité est l’étrange compromis de narcissisme, d’altruisme, de rêve, de sincérité, de mauvaise foi, de dévouement, de cynisme. »
   Dans le regard de ces trois étranges Grâces, on pourrait relever un reste d’enfance, qui va s’amenuisant,  de la plus jeune à la plus âgée : depuis Christine (Lara Suyeux) qui a perdu, le temps d’un court sommeil, sa fille dans son landau, en passant par l’expérience de Martine (Claire Nebout), mère d’un petit Martin dormant  aussi dans son landau. Quant à l’aînée, symbole d’une sagesse âpre, elle est seule et pensive, loin des tourments quotidiens de l’enfance.
  Dans une action à connotation métaphysique, c’est un trio étrange qui  évolue dans l’admirable scénographie de José Pliya et Danielle Vendé : un vaste parc design, créé avec l’illusion de ses bancs et de ses allées, ses parterres et ses bosquets, ses lignes de fuite vers un horizon de feuillages, «les cimes des acacias», que soulignent les lumières de Philippe Catalano.
   José Plyia joue de l’art de la répétition et de la variation, dans une belle prose poétique aux mots ciselés et ordonnancés avec un sens vibrant du rythme et de la résonance sonore. Cette langue classique et étincelante,  façon Bernard-Marie Koltès dans La Solitude des champs de coton, se compose de longues répliques que les interlocutrices s’échangent: descriptions, courts récits,  argumentaires.
  Rien n’est laissé au hasard, comme la partition musicale d’une méditation ambiante  sous haute tension, et chacune des femmes s’adresse à l’autre avec verve et rage ressemblant à une diva à qui on aurait ôté la lumière! L’ancienne, déterminée, rétorque à la plus jeune qui lui demande des explications : « Je ne vous connais pas. Aussi, rien ne m’oblige à vous répondre, ni ma volonté, ni mon envie, et je n’ai de disponible pour vous que mon indifférence. »
  La mère, désemparée et invincible à la fois, répond alors à ses paires odieuses et oublieuses : «Ce n’est pas grave. La mère est là pour les aider à se ressouvenir. C’est son rôle, c’est son devoir. Et,  si elles n’y arrivent pas, la mère dispose d’un arsenal de persuasion…»  Elles ont à voir avec l’épreuve inévitable et incontournable de la dépossession symbolique, existentielle, maternelle, matérielle et sociale. Un combat, un duel, une bataille  des esprits pour défendre une vision du monde que l’être se réapproprie, loin des soumissions ordinairement attendues.

 Véronique Hotte

 Théâtre 71/ Scène Nationale de Malakoff,  jusqu’au 30 janvier. T : 01 55 48 91 00.
Le texte est publié à L’Avant-scène théâtre, Collection des Quatre-Vents)

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