La dame aux jambes d’azur
La Dame aux jambes d’azur d’Eugène Labiche et Marc-Michel, mise en scène de Jean-Pierre Vincent
Encore une pièce de Labiche au titre faussement prometteur, et qui ne fera aucune ombre aux deux précédents (voir Le Théâtre du Blog) brillamment montés par Jean Boillot à Thionville, il y a quinze jours; ici, il s’agit aussi d’une courte pièce, créée en 1857, au Palais-Royal, au bénéfice de Lucie Durand, comédienne en retraite.
C’est une sorte de caricature grinçante du milieu théâtral de l’époque avec Arnal, Ravel, Grassot, Hyacinthe, des acteurs qui avaient déjà travaillé pour Eugène Labiche, et qui, comme chez Jérôme Deschamps, donnent ici leur véritable nom à leurs personnages. Mais les préposés à la censure n’avaient pas apprécié qu’une des comédiennes joue assise parmi le public. Originalité à l’époque, devenue insupportable scie à la mode dans le théâtre contemporain depuis au moins soixante ans! Autres temps, autres mœurs!
Le thème de la pièce? On annonce au public que cette Dame aux jambes d’azur n’est pas au point, et que la première est donc remplacée par une répétition publique à laquelle le public est invité à rester, si bon lui semble. Bref, du théâtre dans le théâtre, vieille baderne que l’on ne finit plus de traîner au théâtre comme au cinéma, et dans les comédies musicales!
“ L’écriture de Labiche, dit Jean-Pierre Vincent relève du cauchemar léger comme principe générateur de l’humour et du comique (…) Mais il y a plus intéressant: faire voyager nos acteurs vivants jouant des cateurs morts, entraîner les spectateurs dans ce voyage à travers le temps et cette réalité presque onirique, jusqu’au non-sens”.
Jean-Pierre Vincent semble bien enthousiaste, et voir dans cette minceur de texte, un prédécesseur des films burlesques américains! Et cela donne quoi? Pas grand-chose, et c’est un euphémisme! D’abord, l’intrigue de cette très courte pièce pèse des tonnes: il s’agit d’un acteur qui se croit auteur, d’un machiniste qui remplace le souffleur, lequel est analphabète, et de autres trois acteurs qui ne connaissent pas leur texte. Quant à la comédienne, elle n’arrive pas à jouer correctement et chante faux! Et il y a une Madame Chatchignard (Claude Mathieu), qui, dans le public, propose à un acteur de lui louer un appartement et négocie avec lui qui est sur la scène en plein milieu de la répétition… On se demande bien pourquoi Jean-Pierre Vincent est allé chercher ce remarquable chef-d’œuvre!
Une erreur pouvant en induire une autre, il a cru bon “de ralentir le tempo, sans maniérisme, faire en sorte que que cette folie soit celle de personnes plausibles”. Idée aussi sotte que grenue! La minceur du texte en devient encore plus flagrante, et il y a comme des poches d’air dans une action qui n’est déjà pas des plus passionnantes!
Ce qui aurait donc pu être à l’extrême rigueur, une petite pochade/lever de rideau, s’éternise ici sans raison. Mais pourrait-on convoquer le public pour une demi-heure? Il y a juste un instant où on rit vraiment: quand deux comédiens arrivent avec chacun, leur petit chien…
Alors, très franchement, réunir autant de bons acteurs de la Comédie-Française (dont Gérard Giroudon, Gilles David, Julie Sicard, Jérôme Pouly) qui n’ont pas l’air d’être vraiment à l’aise, et deux musiciens pour accompagner quelques chansons, demander une belle toile peinte de forêt au fidèle Jean-Pierre Chambas, des lumières à Alain Poisson, et confier la dramaturgie ( sic!) à Bernard Chartreux! Tout cela, pour en arriver à cette chose, même pas drôle, et qui se traîne ?
On nous dira que c’est aussi le rôle de la Comédie-Française de faire jouer des pièces oubliées. Sans doute, mais quand même pas n’importe lesquelles, et pas n’importe comment! On a connu Jean-Pierre Vincent vraiment plus inspiré, quand il montait L’ Affaire de la rue de Lourcine avec Patrice Chéreau et La Cagnotte, du même Eugène Labiche…
Le public s’est demandé pourquoi il était là, et a donc applaudi très mollement: on le comprend!
Philippe du Vignal
Comédie-Française/Studio-Théâtre jusqu’au 8 mars.