En attendant Godot

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En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène de Laurent Vacher

 

Laurent Vacher installe cette célèbre pièce (1952) dans une périphérie urbaine désolée, zone désaffectée que les regards intéressés et immobiliers de la ville n’investissent pas encore. En fond de scène, un écran  lumineux se colore en alternance en bleu, rouge, vert, pastels, selon le passage de la Blafarde et Jean-Baptiste Bellon a  imaginé une scénographie à base de tuyaux d’égout rouillés, restes désaccordés  au fonctionnement condamné, entourés de murs  de béton grisâtre.
 GODOT - Christophe Raynaud de Lage Mais ici, fi des didascalies  de Samuel Beckett: l’arbre n’est plus celui de la nature, avec un tronc et des branches qu’une guirlande de feuilles de lierre recouvre  dans la seconde journée mais un poteau électrique, aux fils distendus, lointain rappel de la croix christique.
Les propos disjoints entre Estragon et Vladimir, ont à voir avec ceux des deux larrons du Mont des Oliviers, quant à la possibilité de la survie de l’un selon l’Evangile de Saint-Jean.
De larrons, on passe donc  à lurons, paronymie hasardeuse que nos joyeux drilles, à l’allure  clownesque, assument, tout en se posant la question récurrente du salut.
Leur univers correspond, selon Laurent Vacher, à celui de nos temps post-modernes irresponsables qui engendrent aveuglément des SDF, une population nouvelle (mais déjà ancienne!) qui fait partie d’une société injuste. A population différente – il faudrait évoquer encore les Roms de notre présent immédiat -, correspond un paysage autre, à l’image de ses habitants démunis.
Mais ces deux amis en chapeau melon, bavards à l’humour sombre, plaisantent avec des considérations philosophiques sur  les privilégiés que nous sommes et attendent un certain Godot depuis un temps indéfini. Attente immobile, crainte et espoir: leur désœuvrement  change selon les événements, avant que ne résonne alors, comme un coup de tonnerre dans cet ennui  où on tue le temps, l’arrivée d’un couple tout aussi étrange, celui de Pozzo et Lucky, maître et esclave, qui se martyrisent réciproquement.
Antoine Diquéro est Pozzo, caricature de tyran autoritaire et sans cœur, plutôt convaincant, qui suscite le rejet et la désapprobation, et  Jean-Claude Leguay, énigmatique et imprévisible, est ce Lucky qui lui donne muettement la réplique. Un Lucky loufoque, absent au monde et à lui-même, à la dégaine inénarrable: cheveux longs, sous-vêtements de vieillard et ceinturon militaire.

  Vladimir et Estragon – Dupont et Dupond – en ont le souffle coupé; ils  font état de leur colère, face à l’état du monde et tentent de comprendre en vain l’incompréhensible. Pierre Hiessler incarne un Estragon désabusé et mélancolique qui donne une réplique amère à Vladimir (Antoine Mathieu, un comédien plus solaire et à la voix profonde).
C’est un En attendant Godot à tendance grotesque, avec des clowns tristes de cirque…

 Véronique Hotte

 Théâtre Jean Arp de Clamart,  jusqu’au 24 janvier. T: 01 41 90 17 02

 

 

 


Archive pour janvier, 2015

Un fils de notre temps

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Un Fils de notre temps, adapté du roman d’Odon von Horváth, adaptation et création musicale collective mise en scène de Jean Bellorini

  ufdnt-053En ce dimanche 11 janvier, jour de marche solidaire, où l’envie d’aller au théâtre le dispute à celle d’être à la manif, avec les siens. Mais Odon von Horváth est de bonne compagnie pour qui veut rester alerte et combattre l’inconscience. Nous étions quelques-uns présents et attentifs à nous rendre au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis.
La salle  est baignée d’une lumière tamisée quand on y entre. Les jeunes comédiens sont déjà en place, deux assis à l’avant-scène, les deux autres debout  au fond du plateau. Sérieux, immobiles, ils nous regardent nous installer, et attendent simplement pour commencer leur récit. Habillés comme les jeunes d’aujourd’hui, (les fils de notre temps ?).

Le spectacle a pour vocation d’être itinérant avec une tournée en Seine-Saint-Denis, et sera alors suivi de rencontres avec les comédiens; il s’agit en fait des dernières répétitions publiques, d’un au-revoir à ce  théâtre, où il n’est joué que trois fois,
  Sur scène, un banc, deux chaises, des servantes, et au sol, de chaque côté, des ventilateurs chromés, rutilants, et de gros sacs de polyester blanc. Seul élément « d’époque », une veste d’uniforme accrochée en hauteur à un cintre, comme en apesanteur.
  Clément Durand, Gérôme Ferchaud, Antoine Raffalli, Matthieu Tune sont aussi musiciens (guitare, violon, trompette, clavier, grosse caisse) et  commencent  par jouer un morceau mélancolique et doux, récurent tout au long du spectacle.  Un fils de notre temps a été écrit par Odon von Horváth en 1937/1938; il y décrit le parcours d’un jeune homme à la recherche d’une identité,  en temps de guerre. Chômeur, il se nourrit à la soupe populaire et s’engage ensuite dans l’armée; au cours de l’année qu’il y passe, il se découvre une fierté patriotique, gravit les échelons, et obtient des décorations. Il voit enfin dans son capitaine une figure paternelle, un exemple auquel s’identifier.
  Dans une fête foraine, il tombe amoureux de la jeune et belle caissière de la baraque hantée mais, trop peu sûr de lui, n’ose l’aborder. On pense aux autres pièces d’Odon von Horváth, Caroline et Casimir notamment. Puis, c’est la guerre, et lors d’un assaut, son capitaine est fauché, et notre héros, lui, est blessé au bras. Réveil à l’infirmerie, chez les sœurs (au passage, discours moralisateur de la religion!), peur de perdre son bras et d’être chassé de l’armée.
  Lors de sa convalescence, il retrouve dans sa poche une lettre de son capitaine, sobrement adressée « à ma femme ». Il décide alors d’aller porter la lettre à cette veuve, sensuelle et un peu folle de sa solitude; il  lui  remet la lettre  mais apprend que son capitaine voulait en fait mettre fin à ses jours,  et ne supportait plus cette guerre où l’on tue femmes, enfants et vieillards (ce qui soudain résonne violemment !). Guerre sale, révélatrice d’un temps où il ne se reconnaît plus.
Cette lettre rendra fou de rage notre jeune héros, entendant là une déchéance et une honte,  et cette nuit passée dans les bras de la veuve marque un tournant dans sa vie: l’icône paternelle est détruite et son bras  définitivement condamné.

  Retour à sa condition d’avant l’armée : pauvre type, invisible, il s’installe chez son père, figure misérable et absente, qui travaille de midi à minuit. Il vit dans la précarité et part à la recherche de la jeune fille de la  baraque hantée qu’il n’avait osé aborder. Recherche d’un reste d’humanité, de pureté… Mais il apprend qu’elle a été renvoyée car enceinte d’un soldat.
  La société où travaille  la jeune fille est gérée par un contre-maître nain et par  un vieux comptable myope, tous deux minables relais d’une firme sans scrupules ni considérations pour ceux qu’elle emploie. Notre jeune homme,  affamé de justice, balance dans le canal le comptable… Le meurtre passe pour un accident et  est vécu sans regret ni culpabilité par son auteur. Mais l’hiver se fait plus rude et il erre seul la nuit dans la ville; assis sur un banc sous la neige qui tombe sans arrêt, il  mourra  de froid.
  Le récit est traité comme une partition à quatre voix, tantôt chœur, tantôt solo, avec des monologues comme autant d’épisodes qui se relaient et qui se fondent. Clément Durant, Gérôme Ferchaud, Antoine Raffalli, Matthieu Tune sont à l’unisson,  et jouent la même partition. Issus de la promotion 2012-2013 de l’Atelier du Théâtre national de Toulouse, ils ont l’énergie juste et représentent bien ces « fils de notre temps ».
Il y a encore quelques fragilités dans les monologues et dans l’interprétation musicale des morceaux;  le  spectacle devra se  roder mais cela les rend plus touchants et plus proches, et ils font entendre le texte, en réelle  empathie  avec le héros d’Odon von Horváth.
La mise en scène de Jean Bellorini, comporte de belles- trop belles?- images comme cette neige qui tombe. La démarche annoncée voudrait qu’on en reste à un plateau épuré où le théâtre naît des acteurs-musiciens, sans artifices de machinerie, mais Jean Bellorini laisse  l’humanité s’installer…

 Gérard Cherqui

Spectacle joué au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis du 10 au 12 janvier ; et le samedi 17 janvier à 19h / Maison des initiatives et de la Citoyenneté – Ile Saint-Denis; mercredi 21 janvier à 20h / Maison de quartier Pierre Sémard à Saint-Denis; samedi 24 janvier à 18h30 / Maison de quartier Floréal à Saint-Denis; samedi 21 février / Quartier Pleyel à Saint–Denis et samedi 28 mars à Villetaneuse

 

Assistanat à la mise en scène Mélody-Amy Wallet

 Le texte est publié aux éditions Gallimard.

La Plénitude des cendres

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La Plénitude des cendres, conception, texte et mise en scène de Yan Allegret

 

LaPlenitude_24Pour tout profane en la matière, la boxe anglo-saxonne apparaît plutôt tournée vers l’offensive, tandis que la boxe française s’apparenterait à un art de défense. L’évolution technique du combat a fait en sorte que la brutalité des débuts a peu à peu été remplacée par la tactique et l’habileté, faisant de James Corbett, Jack Dempsey, Joe Louis, Ray Robinson, Georges Carpentier… de grands stylistes.
D’autres qualités physiques ont été peu à peu mises en valeur: la détente, l’allonge, et la résistance aussi, qui s’impose comme une valeur à la fois physique et morale. À côté de cette évidente force d’âme exigée, d’autres éléments moins glorieux ont entaché l’image de la boxe, dénoncés par la presse et le cinéma : désir âpre du gain, stimulation des instincts les plus bas  d’un public hystérique: sadisme, haine, xénophobie et exploitation sans scrupule des boxeurs…
Au-delà de ces réalités, la boxe est avant tout une belle technique, le « point d’intersection des mathématiques, de la poésie et du bon sens », un ballet abstrait qui exige une connaissance instinctive de la géométrie et du calcul mais aussi du courage et une capacité de résistance intérieure non négligeable.
Charlie Chaplin avait su déjà dégager du match de boxe, une poésie latente, une forme chorégraphique et burlesque, dans The Champion (1915). Contre l’exaltation de la violence, se déploie une école de courage et d’endurance, un plaisir esthétique que saisit avec pertinence Yan Allegret.
Se confrontent sur la scène – symboliquement, mais aussi le plus charnellement possible -, d’un côté, Hacine Chérifi lui-même, boxeur français, offensif et dur, humble et généreux, champion du monde des poids moyens en 1998, champion d’Europe en 1996, et quatre fois champion de France entre 1995 et 2002 ; et de l’autre côté, le jeune Jean-Baptiste Epiard, comédien et danseur.
La capacité d’ouverture: disponibilité, curiosité, souplesse d’esprit du champion de boxe a naturellement attiré le concepteur du spectacle. Même si Hacine Chérifi a raccroché les gants depuis 2005, il lui reste l’intensité naturelle d’une présence scénique éblouissante, une belle « déflagration silencieuse » que l’homme de théâtre a su mettre en valeur.
Face à lui,  boxeur aguerri, sec et rapide, le jeune homme suggère l’envers de cette première figure, une silhouette plus pesante mais à la fois souple et dansante, loin de toute volonté offensive, comme davantage réceptive, attentive et consentante. Cette rencontre entre le théâtre et la boxe s’accomplit ainsi de manière insolite, à l’ombre du mystère et de l’énigme, les deux arts isolés se séparant, puis se mêlant l’un l’autre, dans un respect mutuel des formes et des exigences.
Ce qui est mis en relief sur le plateau – un écho lointain du ring -, c’est la question existentielle, métaphysique et  corporelle, du combat, de la relation à l’autre, de la mémoire de son propre chemin de vie et de ses accidents, de la solitude enfin. C’est dire la dimension, le volume et le poids de la violence intérieure qui habite chacun, le lot qui lui est imparti à l’intérieur d’une société agressive et brutale, violence dont il s’agit de s’échapper, selon Yan Allegret.
Et on lâche sportivement la prise intime de cette force obscure et féroce, en tapant l’autre sur le ring, en simulant l’agression, la volonté sourde de mettre l’autre à mal. Ces mouvements gestuels, préparatoires au combat, mènent finalement à la liberté, valeur individuelle universelle qui aide à la rencontre du monde, en se protégeant de soi-même comme des attaques extérieures que génère toute vie sociale.
Théâtre et chorégraphie:  le spectateur goûte pleinement cette Plénitude des cendres.

 Véronique Hotte

 Spectacle vu au Théâtre Berthelot à Montreuil, le 10 janvier. Théâtre de Vanves – Panopée -, le 2 avril à 19h30.

Les Clownesses

 

 

IN MEMORIAM: c’était il y a six ans déjà l’attentat contre Charlie Hebdo…Un spectacle créé en janvier 2015

 

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Les Clownesses, un spectacle d’Olivier Lopez

Sur le plateau du théâtre d’Hérouville-Saint-Clair, plein d’un public de tout âge, un sol de plastique rouge pétant et des petites ampoules suspendues devant le rideau de fond. Au milieu de la scène, une allée légèrement surélevée face public, et au-dessus de la salle, d’autres plaques d’ampoules et une boule à facettes, comme déjà dans les petits cirques de notre enfance.
  Nous vous avions dit tout le bien qu’on  pensait  de ces clownesses, à propos d’un sketch qu’elles avaient joué à la  présentation de saison en juin dernier sur ce même plateau.  Soit une curieuse galerie de quatre personnages, tous avec un nez de clown: d’abord, Pauline Couic (Marie-Laure Bodin), une diablesse très autoritaire, doyenne et chef de troupe, Marion, filiforme, perchée sur des escarpins en mini-robe de tulle  bleu nuit (Adélaïde Langlois),  la désarmée et émouvante  Bibine, une cousine des Dechiens, fagotée dans une immonde robe grise, visiblement dépressive (Laure Deforge) et enfin, Pom, un grand Duduche, souvent travesti, à l’identité mal définie et pas très à l’aise dans sa peau (Alexandre Chatelin).
 Et cela parle, de tout et de rien, avec, en vrac: des petites misères de la vie courante, de sexe et de sodomie avec illustration bien vulgaire à coup de balai de toilettes, de la mort de Claude François électrocuté dans sa baignoire, qu’ils commentent d’un même et  beau geste collectif de fatalité.
  Elles citent La Promesse de l’aube de Romain Gary et commentent aussi la vie politique:  “François Hollande, il a avoué qu’il a échoué. Mais il avait dit: “Si j’échoue, je pars! Il est pas parti. » On évoque aussi Nicolas Sarkozy aussi. Avant de conclure d’un ton  grave, trente secondes après: “C’est bien qu’on ait parlé politique!” Elles discutent aussi d’une répétition entre comédiens qui tourne mal: “Vous êtes virés, dit la chef,  vous avez cinq minutes pour partir et vous me laissez les costumes. »
Cela chante enfin avec  cette folle et réjouissante parodie de comédie musicale américaine ou d’un jeune rocker déjanté. Ou  avec La Chanson des blés d’or, interprétée un peu à la façon des Deschiens qui, autrefois entonnaient Les Trois Cloches, le fameux tube des Compagnons de la chanson accompagnés par Edith Piaf. C’est donc à toute une tradition de cabaret, théâtre satirique et music-hall, que se rattachent ces numéros.
Bien entendu, comme dans toute apparition clownesque, même si le dialogue est fréquent entre les personnages, c’est l’expression du corps qui est  privilégiée et qui définit même les personnages. Marche, perte d’équilibre, chutes, désorientation, contorsions, etc… Chacun se définit et s’invente en jouant, en chantant ou dansant aussi.
Comme le note Hubert Godard, à propos de la  chorégraphie contemporaine “Transporté par la danse, ayant perdu la certitude de son propre poids, le spectateur devient en partie le poids de l’autre. » (…) « Ce qu’on peut nommer l’empathie kinesthétique ou la contagion gravitaire.” Et cette remarque peut s’appliquer ici au corps en mouvement  ou  presque immobile de ces personnages. A la fin, quand la pauvre Marion arrive seule et malheureuse, juste en slip noir, essayant maladroitement de cacher ses seins puis y renonçant…
  Olivier Lopez a su remarquablement réaliser un cocktail de messages, à la fois auditifs et corporels, teintés de comique et d’une cruauté parfois sordide. Mais  avec  une vision qui reste toujours poétique, oscillant sans cesse entre un premier et un second degré revendiqué et où chacun peut se retrouver. Le public en empathie et constamment sous le charme, rit presque sans arrêt, fasciné par ces moments où chaque partenaire est ici soutenu par l’autre, qu’il y ait contact physique ou non. Aucun des quatre personnages ne peut en effet exister sans le relais, ou du moins, la présence même muette de l’autre, ce qui fait bien entendu, l’unité et donc la force de la représentation.
Direction des acteurs exemplaire à plus d’un titre mais le spectacle créé il y a un an pour une petite salle, est ici joué sur un plateau sans doute trop grand, où les voix, mais c’est normal un soir de première, se perdaient parfois, malgré les micros H.F., surtout dans les petits dialogues. En fait, et au-delà de cela, le spectacle souffre d’une déficience de dramaturgie: les numéros, pour être d’une rare efficacité, n’ont pas toujours de lien, il y a des ruptures de rythme, une fausse fin et la représentation est trop longue d’une bonne quinzaine de minutes. Bref, soyons clairs, le spectacle gagnerait beaucoup  à être encore travaillé, même si les acteurs -surtout Marie-Laure Baudin- sont remarquables d’intelligence et de sensibilité, et si les fondamentaux du spectacle sont tous bien là …
 Cela dit, on rit comme rarement et cela fait plaisir même et surtout si c’était le soir de l’atroce tuerie; l’émotion a saisi tout le public qui s’est levé quand, au salut final, comédiens et techniciens du spectacle, très applaudis, ont enfilé un T-shirt, où avait été imprimée dans l’urgence la couverture du dernier Charlie…  Et là, on ne riait plus du tout!

 Philippe du Vignal

 Spectacle vu le mercredi 28 janvier 2016 à la Comédie de Caen, Théâtre d’Hérouville.

  

Céline/Proust

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Céline/Proust Une rencontre? Faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère, composé par Emile Brami et Michaël Hirsch, mise en scène d’Ivan Morane.

  chevreau Dans l’espace intime du Théâtre des Déchargeurs, s’engage en soixante-dix minutes, une rencontre surprenante entre deux géants de la littérature française.  Avec un repas en tête-à-tête entre Céline et Proust « qui confient leur amour pour leurs mères et grands-mères », dit Ivan Morane, metteur en scène et acteur de la pièce.

Céline est à l’honneur cet hiver, avec un autre spectacle impressionnant et singulier de ce même metteur en scène, Faire danser les alligators sur la flûte de Pan interprété par Denis Lavant (voir Le Théâtre du Blog).
  C’est ici une toute autre histoire avec des écrivains que tout oppose, sauf le génie de la langue… Ivan Morane s’empare tour à tour de ces deux personnages. Formidable dans son interprétation de Louis-Ferdinand Céline, moins convaincant dans celle de Proust qui semble plus difficile à cerner que Louis-Ferdinand Céline, dont la dimension théâtrale est évidente.

  Le dialogue est accompagné par la remarquable chanteuse Silvia Lenzi; la musique en effet joue un rôle important dans la construction dramatique de cette rencontre autour d’un repas; et apporte un supplément de poésie et de tension à cette parole littéraire, et fait surgir des espaces inarticulés et fugaces qui se nichent secrètement dans un texte.
Ivan Morane, metteur en scène,  réussit à donner corps et résonance aux mouvements subtils de ces deux écritures; il incarne Céline avec émotion et talent mais son Proust est trop flou, ce qui empêche la rencontre entre les deux personnages de se cristalliser vraiment.

Bref, on reste sur sa faim, mais tout de même heureux d’avoir pu goûter certains morceaux jubilatoires et sublimes de la langue française, qu’elle soit célinienne ou proustienne.
Emile Brami et  Mikaël Hirsch ont gardé les textes dans leur forme originale, sans ajout, et on apprécie le rythme et l’intelligence avec lesquels ils ont théâtralisé cette  rencontre ! Ivan Morane, lui, donne au public la possibilité d’une perception existentielle, esthétique de ces écritures, en ne séparant pas l’art poétique, la personnalité et  le vécu de Louis-Ferdinand Céline et de Marcel Proust.
 Ce  spectacle, comme celui du Théâtre de l’Oeuvre, constitue un pari mené avec esprit et sensibilité. Une autre façon de lire les grands textes ou, au moins, d’aller, avec plaisir et curiosité, à leur rencontre !      .

Elisabeth Naud

Théâtre Les Déchargeurs. 3 rue des Déchargeurs, T: 01 42 36 00 50, jusqu’au 28 février.

 

 

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Mesure pour mesure

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Mesure pour mesure, de William Shakespeare, mise en scène de Declan Donnellan.

 _dsc1598_company_claudio_sergei_yasir-2Vienne, telle que l’imagine ici Declan Donnellan, est une ville étouffante avec sa police, ses couvents, prisons et bordels. Son Duc est tenu de participer à des cérémonies spectaculaires qui l’ennuient,  mais doit  satisfaire une opinion fanatique, comme l’évoque Georges Banu dans Shakespeare, le monde est une scène.
Mais il ne supporte plus ce devoir de communication populaire, et ressent d’abord la nécessité de comparer les modes divers de gouvernance, selon un idéal de justice. Noble nécessité intérieure qui l’oblige à un éloignement passager du pouvoir: il doit donc laisser sa place à Angelo. Métamorphosé, puisqu’il a pris l’habit du frère Ludovic, le Duc observe la gestion du royaume en son absence : « J’aime le peuple Mais n’apprécie pas de me donner en spectacle à ses yeux :/ Même s’ils sont flatteurs, je n’ai pas beaucoup de goût Pour ses applaudissements bruyants et ses acclamations véhémentes ;/ Et ne trouve pas d’un jugement sain /L’homme qui les affectionne. »
Des phrases évidentes de justesse qui, aujourd’hui, feraient sourire malgré tout. Angelo, presque rigoureux, n’est pas indifférent à la reconnaissance publique: l’intrigue de cette comédie grave, au dénouement imprévisible, participe d’une démonstration appliquée et virulente de la duplicité du responsable politique, faussement loyal.
Mesure pour mesure aborde les questions de la grâce, de la justice, de la vérité, mais aussi la manière dont elles s’articulent avec l’orgueil ou l’humilité, la rédemption souhaitée et la chute : «Il en est que le péché élève, et d’autres que la vertu fait chuter. » La novice Isabella, vertueuse et chaste, fait face à un dilemme, quand son frère est condamné à mort pour fornication. Elle n’approuve pas son comportement mais plaide pour sa vie, par loyauté instinctive et par affection fraternelle, écartelée dans un choix impossible : «Plus forte que notre frère, est notre chasteté». William Shakespeare tisse une toile avec une telle invention, que le frère et la sœur en sortiront indemnes.
La compagnie londonienne Cheek by Jowl de Declan Donnellan s’est associée au Théâtre Pouchkine de Moscou pour mettre sur pied ce Mesure pour Mesure. Le ballet talentueux des jeunes comédiens russes aguerris est fondé sur une chorégraphie à l’envol silencieux et réglée au millimètre. Déplacements scéniques collectifs, mouvements élégants de groupe dont un pion sur l’échiquier – un personnage dans la foule – s’échappe pour un solo, comme dans un jeu ordonnancé de cartes battues puis redistribuées savamment, selon l’ordre progressif de l’intrigue. S’égrènent ainsi des scènes à un, deux ou trois personnages, tandis que le chœur reconstitué s’installe furtivement sur la diagonale opposée de la scène.
La vision de cette humanité viennoise a une dimension simpliste et le spectateur ne peut donc guère se tromper: les bons sont forcément bons et les méchants, de fieffés coquins, attirés par le plaisir, le sexe et l’argent. A moins que ces figures entrevues de l’Enfer ne portent en elles de vraies qualités universelles…
Sur fond noir, d’immenses boîtes d’un rouge flamboyant- loges ouvertes qu’une tournette fait virevolter – tiennent lieu de décor: ce sont des cubes rouges à la manière de Kasimir Malevitch, qui recèlent des vérités cachées.
La mise en scène reste gracieuse, malgré un mécanisme ludique qui tourne au système…

 Véronique Hotte

Théâtre des Gémeaux à Sceaux,  jusqu’au 31 janvier. T : 01 46 61 36 67

 

 

 

L’Embranchement de Mugby

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L’Embranchement de Mugby, librement inspiré de The Mugby junction de Charles Dickens, mise en scène et scénographie de Michaël Dusautoy, (spectacle tout public à partir de sept ans)

 

DSC00123Les chemins de fer ont modifié, au XIXème siècle, la perception des distances, des paysages, de la vitesse et des relations entre les villes. À la place des transports hippomobiles, s’est alors imposée une réalité mouvante et bruyante, dans des nuages de vapeur.
Mais l’agression portée à la transparence de la nature par cette modernité brutale s’est aussi traduite un gain de rapidité pour le déplacement des voyageurs et des marchandises.
Développement économique oblige: finis les chemins de terre, et vive les chemins de fer; se déploie alors un questionnement sur l’esthétique de la modernité, et les peintres  impressionnistes installent leur chevalet face aux gares emplies de volutes de fumées.

  « Un train Qui roule La vie S’écoule », et surgit la mélancolie d’Alcools de Guillaume Apollinaire, en cette même année 1913, où parait aussi La Prose du transsibérien  de Blaise Cendrars. Aujourd’hui, le chapitre des Barbox Frères de L’Embranchement de Mugby (1866), un des célèbres Contes de Noël de Charles Dickens, a inspiré la dernière mise en scène de l’artiste Michaël Dusautoy,
  Un spectacle qui  provoque le bonheur inespéré d’un retour à l’enfance illuminée. L’univers ferroviaire décline naturellement l’étonnement, la sensation de vitesse, le danger et le bonheur des yeux qui découvrent les merveilles enivrantes du monde.
Avec un voyageur venant de Londres, un homme d’affaires – un « Barbox Frères » -, comme l’indiquent ses bagages – valise, feutre, écharpe et manteau sombre , incarné ici de façon  expressionniste par un  Jean-Charles Delaume mélancolique, descend à l’improviste  par  une nuit pluvieuse sur le quai de Mugby, un nœud ferroviaire énigmatique où convergent toutes les lignes d’Angleterre…

  Lampes, préposé à la signalisation et lutin joyeux (Damien Saugeon), acrobate et aérien, accueille notre homme dans sa guérite, caverne lumineuse d’Ali Baba pour la fabrication de maquettes, le conduit à l’hôtel puis à la maison, où vit sa fille handicapée Phébé qui regarde,  comme en  panoramique depuis  sa fenêtre, le vaste monde, symbolisé par  le nœud ferroviaire d’où partent  sept lignes de train. Grâce au père, à sa fille, et à des  gens humbles, pleins des richesses existentielles que procurent les valeurs humaines, le bourgeois déçu recouvre l’envie de mouvement, le plaisir de bouger et la joie de s’épanouir, le désir enfin d’être.
  Nous ne décrirons pas le chemin personnel qu’accomplit cet homme d’affaires, héros insatisfait, mais pour Michaël Dusautoy et le collectif Quatre Ailes, cette initiation intérieure est prétexte à déployer un imaginaire enfantin vivifié, dont l’ampleur court dans le temps jusqu’à la maturité.
  C’est un spectacle certes plus terrien que La Promenade créé par ce même collectif, à partir du texte de  Robert Walser, mais dont la dimension céleste n’est pourtant pas absente dans le film où, des nuages gris se transforment en pluie sombre et drue,  et des boules de coton blanc fabriquées sous nos yeux par l’artisane et tricoteuse Phébé (Julie André)  montent dans les cintres.
  La mise en scène est un joyau où participent scénographie, cinéma muet, théâtre, mime et installation plastique. Les comédiens jouent  dans un film, mais aussi sur  le plateau qu’une caméra vidéo saisit et reproduit sur grand écran, en se frayant un chemin à l’intérieur des méandres d’une maquette en  carton – dessin, découpage, collage et illuminations – qui sert de décor naturel. Il ne manque rien à l’aventure pour  dire  le monde moderne:  gare, quais et rails, mis en abyme   grâce à  ces figurines  humaines et maquettes de maisons et bâtiments urbains.
  Le public craint de manquer une image merveilleuse, comme l’intérieur éclairé des immeubles, usines, chapiteau de cirque et  chambre  de Phébé dans la maison sur la colline. Nous sommes comme installés  au ciel, contemplant de haut la ville anglaise.
Et ce retour aux rêves épurés de l’enfance apporte du baume au cœur: chacun peut se retrouver dans ce paradis inoubliable que dispensent les débuts de la conscience.

 Véronique Hotte

 Anis Gras Le Lieu de l’Autre à Arcueil, du 9 au 15 janvier.

Gare Numérique à Jeumont, du 26 au 28 janvier, Salle Watteau à Nogent-sur-Marne le 3 février, Théâtre Jean Legendre à Compiègne le 27 mars, Théâtre de la Madeleine à Troyes, le 31 mars, Espace Europe à Colmar, le 9 avril, Théâtre Municipal de Chelles, les 16 et 17 avril, Salle Pablo Picasso à La Norville, le 13 mai, Théâtre de la Faïencerie à Creil, du 21 au 23 mai.

Oblomov

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Oblomov d’Ivan Alexandrovitch Gontcharov, traduction d’André Markowicz, adaptation et mise en scène de Volodia Serre

 

oblomov_130_brigitteenguerandOblomov, propriétaire terrien installé à Saint-Pétersbourg, passe ses journées, avachi sur son canapé,  en robe de chambre, habité par un goût prononcé pour l’oisiveté. Quand son valet Zakhar le regarde, ou  son meilleur ami Stolz, c’est l’ironie, avec un sourire mi-figue, mi-raisin, qui l’emporte.
Le rêveur passe le plus clair de son temps, reclus dans un appartement d’où il va être bientôt délogé par le propriétaire qui souhaite le récupérer. La vie miniaturisée et réduite de cet anti-héros poétique se tourne entièrement vers son passé bienheureux à Oblomovka, la demeure aristocratique du village de son enfance, dans  une pièce poussiéreuse au papier peint usé et déchiré.
Ce refuge n’en reste pas moins comme la demeure baudelairienne du Spleen de Paris, « Une chambre qui ressemble à une rêverie (…) L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. » Oblomov, que son ami éclairé Stolz secoue avec force  pour essayer de le libérer de ses entraves, ressemble étrangement au Jean Santeuil de Marcel Proust : « Chaque jour, il promettait à sa mère de travailler, à partir du lendemain, et le lendemain, la paresse, plus insolente que la veille de la nouvelle journée qui lui avait été laissée en pâture, avait vite fermé ses livres ou ôté la plume de ses doigts. »
Méditatif et cultivé, en quête d’un dialogue constant avec les autres, Oblomov n’est plus désormais que l’ombre de lui-même, déserté par la moindre passion, si ce n’est celle d’un paradis imaginaire et perdu. A la différence des insectes attirés par la lumière, cafards et autre vermine, qui courent sur les murs de sa chambre et qui peuplent ses cauchemars, le convalescent de l’existence ne semble tiré par rien, mais déserté  par la gamme des émotions, peines et des joies humaines.
Aussi l’humaniste de jadis, qui ne songeait qu’à une vie réfléchie et laborieuse, et à une mort dans la conscience d’avoir accompli sa tâche – servir la Russie jusqu’à ses dernières forces et faire fructifier ses richesses –  réplique   à Stolz : « Mais, enfin, quoi, le but de toutes vos courses, de vos passions, de vos guerres, de vos commerces et de votre politique n’est-il pas de se construire le repos … ? »
Attiré par la musique, le paresseux pourrait tomber amoureux de la belle Olga, interprète lyrique qui lui chante merveilleusement a capella l’aria Cata Diva de Norma de Bellini. Rien n’y fera, il ne combattra pas ses petits travers: une tranquillité régulière hors de tout état d’âme  et un attrait gourmand pour les petits plats d’Agafia, sa logeuse qui deviendra la mère de son fils. Échec du couple ami Stolz et Olga, et victoire existentielle insipide pour Oblomov.
Mais n’est-ce pas lui qui porterait l’essence de la vérité, face à l’avènement de la modernité et à la marche forcée  vers le progrès, comme l’indique Volodia Serre, bon connaisseur du théâtre russe, en particulier Tchekhov et Erdman  ? Est-ce la croissance qui doit être le moteur de la civilisation ? L’ironie et un humour féroce implicite se déploient dans une sorte d’anticipation philosophique, face aux valeurs tendancieuses de la réussite  économique, financière et sociale, contre l’idéal humaniste d’égalité et de fraternité collectives, un idéal historique non atteint encore et qui n’effleure pas le moins du monde l’esprit d’Oblomov, réactionnaire par naissance. Il s’estime être quelqu’un d’importance et non « un autre » vulgaire, comme l’aurait voulu son valet lassé.
Guillaume Gallienne est tout bonnement excellent, nuancé et sincère dans la révélation de ses choix de vie à l’intérieur d’un joli fil de méditation bien tendu. Sébastien Pouderoux,est Stolz, l’homme loyal et l’ami précieux, sûr et fier de lui, qui représente l’image même du succès,et  l’écho masculin d’Olga, la belle musicienne (Raphaèle Bouchard).  Alain Lenglet, (Zakhar, le serviteur fidèle) donne la répartie d’un ton bougon, celui d’un  paysan qui sent les changements à venir. Nicolas Lormeau joue un proche de l’anti-héros, serviable mais étroit de pensée.
Cette mise en scène facétieuse et vive de Volodia Serre s’inscrit dans l’appréciation critique de nos temps bousculés, avec un regard incisif.

 

Véronique Hotte

 

Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie-Française, du 9 au 25 janvier 2015.

  

Tous à la manif

Oncfouch pense à Charlie

Oncfouch pense à Charlie

 

  Nous avons reçu ce

merveilleux message

de Jacqueline B.

que nous faisons un plaisir de

vous offrir:

 

" Pour une fois, j'irai à une manif: à 76 ans,

je n’ai pas envie de finir ma

vie en burka ».

 


Cela aurait pu être la phrase d’un dessin de Wolinski.

 

Ph. du V.

 

Roses

 les-cinq-caricaturistes-morts-leurs-dessins

 

 

Roses, conception, mise en scène et scénographie de Nathalie Béasse, à partir de fragments de Richard III de William Shakespeare

   thRoses1Sur la scène nue, une longue table de huit mètres où l’on a placé une dizaine de verres à pied, pleins de vin rouge; une jeune comédienne/danseuse effectue quelques roulades avec une lenteur savamment calculée. Plus loin, des plantes vertes en plastique, une dizaine de chaises banales en tubes chromés, et, en fond de scène, un rideau gris plissé.  » Je souhaite, dit, non sans prétention, Nathalie Béasse, remettre ce texte historique dans un quotidien. Je questionne les rapports entre les êtres. Par leurs dialogues muets, par les regards et la suggestion, je veux travailler les sous-textes. J’engage les corps des acteurs pour faire entendre les non-dits de la pièce.(…) Roses serait comme une fresque de Carpaccio ou de Piero de la Francesca, avec des histoires au premier plan (des batailles), et puis le regard se ballade dans le tableau et rencontre d’autres histoires en deuxième plan (un homme seul près d’une grotte) ».
  Bref, on comprend vite que cette création,  est une  œuvre personnelle et non  une  mise en scène de Richard III, et qui appartient autant au gestuel et à la danse, comme à la sculpture et à la peinture (Nathalie Béasse en revendique le caractère profondément plastique: elle a été aussi élève d’une école d’art) qu’à celui du théâtre proprement dit.
Il y a ainsi des effets de rideaux, comme dans de nombreux tableaux de la Renaissance, une série de têtes d’animaux et d’oiseaux naturalisés comme dans les natures mortes, et elle prend un soin extrême de la corporalité de ses sept acteurs (trois femmes et quatre hommes) dans une  sorte de chorégraphie,  où on retrouve l’influence diffuse mais bien réelle, à la fois des avants-gardes russes, de Dada il y a cent ans déjà, des happenings des années 1950-60, des artistes qui prennent le corps comme objet (Orlan, etc…) et des  auteurs de performances  (Bruce Nauman, Marina Abramovic…), des artistes conceptuels, et sûrement du  Living Theatre dont on sait toute l’importance qu’il donnait au corps.
Avec entre autres, cette belle ronde où chaque protagoniste court, à moitié nu, jusqu’à l’épuisement après avoir enlevé petit à petit un de ses vêtements.
Bref, le corps, celui des animaux et des humains, le corps toujours et encore sollicité, est ici d’une importance capitale, pour dire toute la sauvagerie  des trente-sept personnages de Shakespeare: Richard III et les autres personnages sont  » interprétés » successivement par les quatre comédiens et les trois actrices qui disent plutôt qu’elles ne jouent Marguerite, Elisabeth ou la Duchesse.
Et le texte de Richard III dans tout cela?  » Je ne suis pas inquiète,  dit Nathalie Béasse, pour la compréhension de la pièce, on pourra s’échapper de l’histoire pour nous adresser au public ». Mais elle doit bien être la seule! Mieux vaut avoir relu la pièce, si on veut y comprendre un peu quelque chose. Tout se passe ici comme si le texte devenait ici matière à faire joujou avec Shakespeare, quitte à enfourcher sans scrupules- sous prétexte de modernité?- les vieux poncifs de la mise en scène contemporaine, comme le plateau nu, ces arrivées par la salle des comédiens déjà assis parmi les spectateurs, ou des répliques de théâtre dans le théâtre, etc…
Si on entend très bien ces fragments de texte, (c’est déjà cela!) comme cette phrase surprenante de Richard: « ‘ Ma conscience a mille langues différentes, Et chaque langue raconte une histoire différente », tout cela a un côté glacé, conceptuel, et on ne perçoit guère toute la violence de la pièce, et le caractère profondément  inquiétant de ce roi dont la difformité est juste évoquée; « sa bosse est représentée comme un état intérieur, une difformité sournoise, que l’on devine sans la voir ». Bon!
En fait, on a la nette impression que Nathalie Béasse s’amuse à explorer Richard III en quatre vingt-dix minutes! Si cette quête personnelle de la pièce peut se justifier dans le parcours d’une metteur en scène,  elle aurait dû rester un travail de laboratoire confidentiel. Même si, par instants, on sent le frémissement d’une scène en train de naître, ces fragments de texte, tels qu’il sont donnés, pour ne pas dire manipulés, même si les acteurs font leur travail, ne peuvent jamais donner à voir un véritable spectacle.
Le texte de Shakespeare ne se laisse donc pas faire, et le public a applaudi très mollement. Dommage, Richard III est une pièce fabuleuse  mais ici on est vraiment trop loin du compte, et on ne vous poussera pas du tout à  aller voir ces Roses.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Bastille 74 rue de la Roquette 75011 Paris. T: 01 43 57 42 14

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