Chant’Oulipo !
Chant’Oulipo ! sur une idée de Jehanne Carillon, mise en scène de Laurent Gutmann
Un « ouvroir » est plutôt un lieu féminin, réservé à des ouvrages de couture. Avec humour, le terme avait été retenu par des écrivains, poètes et mathématiciens pour désigner un groupe d’expérimentation de formes littéraires nouvelles : l’Ouvroir de littérature potentielle (OuLiPo), fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais.
Aujourd’hui, la comédienne Jehanne Carillon – un nom à résonance oulipienne ! – participe régulièrement comme chanteuse et auteure à l’émission Des Papous dans la tête, dirigée par Françoise Treussard (France-Culture).
Pour les oulipiens, toute poétique obéit à des règles qui stimulent la création. L’Oulipo découvre ainsi des structures nouvelles, inspirées de combinaisons mathématiques, ou recourant à la création assistée par ordinateur. Se définit ainsi une littérature «potentielle» jouant sur toutes les possibilités d’un texte et invitant à en multiplier les lectures. Parmi ses membres les plus célèbres: Georges Perec, Jean Lescure, Italo Calvino, Harry Matthews, Jacques Roubaud…
Jehanne Carillon a donc éprouvé le besoin de chanter les textes de l’Oulipo, en compagnie de trois compositeurs de l’Oumupo (Ouvroir de musique potentielle), Jean-François Piette, Mike Salomon et Valentin Villenave : la création d’un alliage vivant et «oulimupien », entre contraintes littéraires et musicales.
La fantaisie est au rendez-vous de ce spectacle facétieux, une douce folie déconcertante et charmante, balancée et tapante, au son de la voix acidulée et joueuse de Jehanne Carillon plutôt décidée et mordue, qui joue aussi de la flûte traversière ; et aussi, grâce au véritable petit orchestre que composent dans un amusement plein de santé, Jean-François Piette à la batterie de cuisine, au zarb, au bugle, avec Olivier Salon au piano, au mélodica, au toy piano et Valentin Villenave enfin au piano, à la guitare basse, à l’ukulélé et au thérémine.
Pas de hasard, pas d’inspiration « magique »: la création littéraire et musicale ne saurait être inconsciente. Voilà une manière inénarrable de mobiliser l’imagination et de stimuler la créativité. Écoutons Le Baobabouin, le Maki Mococo, L’Antilope et l’Antiquaire, J’appartiens au doigt qui frappe le la, Tortulipe ou Téléphone de Jacques Roubaud, OULIMUPO, c’est quoi ? d’après Jacques Roubaud et Marcel Bénabou, adapté par Olivier Salon, Charles d’Olivier Salon, L’Autobus de François Caradec et enfin Popincourt, Milieu du Lit et Créole de Jacques Jouet.
Le sourire reste aux lèvres du spectateur qui voit se déplier devant lui un univers de plaisanteries dans cette cuisine imaginée par Laurent Gutmann. Buffet et table en stratifié, chaises ordinaires, batterie et moules de cuisine, bouquet de fleurs artificielles; on n’hésite même pas à casser un œuf qu’on mélange à de la farine et du sucre, et on met le tout au four micro-ondes, puis les interprètes se mettent à table.
Une affaire de rythme et de sonorités, de jeux de mots en cascade à vous couper le souffle et à vous entraîner dans une ivresse débordante. La musique sonne avec gaieté, comme étonnée de se conjuguer, joliment ou drôlement, aux mots loufoques.
Un bonheur sonore et ludique de partage plaisant, ironique et un peu caustique.
Véronique Hotte
Théâtre Clavel, jusqu’au 15 février. contact@chantoulipo.net