Ivanov de Tchekhov

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Ivanov d’Anton Tchekhov, version scénique de Macha Zonina, Daniel Loyaza, et Luc Bondy, d’après la première version  d’Anton Tchekhov et la traduction d’Antoine Vitez, mise en scène de Luc Bondy

 Le jeune médecin Anton Tchekhov a vingt sept ans seulement, quand, en 1887, il écrit cette première version de la pièce. Mais il a déjà écrit Platonov, (ce que personne ne sait à l’époque, puisqu’on n’en  retrouvera  le texte que vers 1920!) Et de nombreuses nouvelles.  Cette pièce en quatre actes, assez peu jouée en France: pas facile à maîtriser, exige des comédiens qui puissent prendre en charge des rôles importants. Ivanov est un personnage qui n’a aucune perspective; désespéré, dit l’auteur, comme brisé, et absolument dépressif. Il est marié à la très belle Anna Petrovna, née Sarah Abramson, atteinte de tuberculose à un stade avancé et qui l’aime.
Mais lui, en a visiblement assez de rester près de cette épouse malade, qu’il regrette sans doute d’avoir épousée; il rêve d’aller s’amuser ailleurs, sans elle, bien entendu, et lui déclarera cyniquement qu’elle va mourir. Il fréquente le salon des Lebedev, président du Conseil de district, à qui il doit des sommes importantes. Sacha, sa fille, l’aime follement Ivanov . Comme elle le lui avoue, juste avant qu’Anna Petrovna ne les surprenne  en train de s’embrasser…

Les personnages de cette merveille qu’est Ivanov, préfigurent déjà  ceux des grandes pièces d’Anton Tchekov,  comme Sacha Lebedev. Cette jeune fille ne fait aucune concession et prend conscience qu’elle va droit vers un mariage raté avec cet Ivanov devenu veuf, dépressif, et couvert de dettes envers son père, Pavel Lebedev, suffisant et alcoolique dont  la femme se montre d’une radinerie surréaliste.
Lvov, un jeune médecin qui hait Ivanov, adore Anna Petrovna. Borkine, un parent d’Ivanov, toujours endetté, invente de nouveaux plans foireux pour gagner des millions, et il y a aussi des pique-assiette, des domestiques. Bref, un bon échantillon de la population de cette campagne russe où les hivers sont interminables.
Bien entendu, on boit beaucoup  de vodka pour tromper l’ennui, on drague la femme du voisin, et on se provoque en duel. On parle aussi très  souvent de dettes, rentes et investissements. Les personnages de Tchekhov parlent souvent d’argent, comme dans La Cerisaie, et ici jusqu’à la toute fin de la pièce.  Tout cela sur fond d’antisémitisme avoué; cela, après les événements de janvier dernier qui avaient beaucoup secoué Luc Bondy, né de famille juive, sonne ici bizarrement. Comme une sorte de leit-motiv sous-jacent.
..  Ivanov, un après la mort d’Anna, est accablé par le remords, (la dot d’Anna effaçant ses dettes!).  Désespéré, « fatigué, consumé de honte” , à trente-cinq ans, il se tuera d’un coup de révolver… Terrible fin de partie!
Nous avions tous envie de voir comment Luc Bondy, auteur de quelque soixante-dix mises en scène d’auteurs classiques comme William Shakespeare, Molière… mais aussi modernes: Arthur Schnitzler, Botho Strauss, Samuel Beckett,  et qui avait autrefois seulement monté Platonov, voulait traiter Ivanov.

 Le texte choisi n’est guère éloigné de celui de Nina Gourfinkel, mais revu et corrigé, avec de légères coupes. Mais le spectacle est lent, lent, (trois heures quarante!) surtout dans les deux premiers actes et les personnages semblent  flotter dans un espace mal et peu éclairé, et pas vraiment fait pour eux. On se demande bien  pourquoi  Richard Peduzzi  a imaginé une  scène empiétant ainsi sur la salle, ce qui était déjà le cas pour  Le Retour d’Harold Pinter monté par Luc Bondy…

Mais ici, c’est plus gênant pour la partie du public qui a le malheur d’être au balcon côté jardin où nombre de scènes intimistes se passe! La salle n’a pas été conçue pour cela, alors pourquoi lui faire violence, alors qu’il n’y a a vraiment aucune nécessité! Il y a aussi un décor revendiqué comme tel : un cadre de scène un peu sale avec un numéro, un tas de palettes en bois, de grandes portes vitrées coulissantes comme dans une usine, et dans le fond, un autre décor, aussi revendiqué comme tel, celui d’une maison devant laquelle vont se passer quelques scènes.
Théâtre dans le théâtre? Affichage décalé d’extérieur et d’intérieur? Volonté d’esthétisme? Et/ou de montrer un second degré? La salle de bal chez les Lebedev est figurée par un vestiaire avec des portants où sont accrochés de nombreux manteaux noirs. Le salon est doté de sièges dépareillés, parfois même un peu sales! Bref, comprenne qui pourra et nous avons connu Richard Peduzzi mieux inspiré. Pourquoi aussi ce faux gâteau d’anniversaire sur un socle, posé au milieu d’un tapis rouge?  Et on oubliera des costumes assez disparates et sans grand intérêt.

Il manque en fait dans les deux premiers actes une vitalité réelle; la mise en scène, sans grand rythme, ne fonctionne pas bien. Luc Bondy, auteur de nombreuses réalisations réussies, sait pourtant qu’il ne faut surtout pas au théâtre,  faire jouer l’ennui quand on veut le montrer…Cela va mieux ensuite: la vie et la tension dramatique montent d‘un cran. Avec même de belles scènes, comme  le  bal, ou la dernière entrevue entre Ivanov et Sacha. Rien pourtant de bien enthousiasmant dans cette mise en scène où il y a un côté bcbg/théâtre privé un peu agaçant, (mais cela plaira sans doute à Carla Bruni et à son cher mari!).  Du genre: on prend de très bons acteurs, et ensuite vogue la galère.

Micha Lescot a bien du mal à rendre crédible son Ivanov, et tout se passe comme s’il s’ennuyait: il laisse tomber ses phrases et semble curieusement ailleurs; Marina Hands, elle, a toujours ce jeu formidable et cette magnifique présence qu’on lui connaît, et Victoire Du Bois est, elle aussi, très bien dans Sacha.
Luc Bondy a su -heureusement- s’entourer d’autres excellents acteurs comme Marcel Bozonnet (Lebedev)qui va bientôt reprendre  En attendant Godot mise en scène de Jean Lambert-wild au Théâtre de l’Aquarium, Christiane Cohendy, délirante à souhait ( la femme de Lebedev), Ariel Garcia Valdès tout à fait étonnant en Chabelski, et Chantal Neuwirth (Avodia Nazarovna), parfaite en vieille mégère déjantée.
On a souvent l’impression ici d’un certain flottement dans le temps et dans l’espace et les acteurs  jouent sans véritable unité. Ce qui peut s’expliquer : Luc Bondy, a dû être opéré d’urgence, comme il l’a dit le soir de la première en remerciant se collaborateurs et ses acteurs; et le spectacle semble donc s’est fait un peu ( beaucoup?) sans lui, et n’a pu être  programmé à la date prévue.
  Avec le temps, cet Ivanov devrait se bonifier mais reste décevant. Dommage car cette pièce attachante mérite d’être plus connue. Les jeunes lycéens assis près de nous, étaient attentifs, ce qui est toujours bon signe…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 1er mars puis du 7 avril au 3 mai. Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, Paris (VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

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