Patriotic Hypermarket
Patriotic Hypermarket de Milena Bogavac et Jeton Neziraj, lecture dirigée par Dominique Dolmieu, présentée dans le cadre des Mardis midi des Ecrivains associés du Théâtre
Sur cet hypermarché, «l’amour de la patrie est l’article le plus vendu», avec hymnes, drapeaux, bases militaires, guides pratiques d’épuration ethnique, charniers… Un chœur énumère les ingrédients de la guerre, introduisant les vingt-sept courts tableaux qui composent cette fresque historico-politique de la guerre au Kosovo, écrite par deux auteurs dramatiques, l’un serbe, l’autre albanaise.
Chacun dans sa langue, Milena Bogavac, en serbe et Jeton Neziraj, en albanais, ont utilisé les témoignages recueillis dans les deux camps qui se sont affrontés au Kosovo de 1989 à 99. Une quarantaine de personnes ont raconté ce qu’elles y avaient vécu, et comment elles envisageaient l’avenir.
La pièce, en forme de patchwork, fait entendre leurs récits, dans les deux langues. Avec, comme personnages, des anonymes, des gens de tous les milieux, pris dans les rets de l’Histoire. Un paysan voit ses bœufs égorgés parce qu’ils sont l’un noir et l’autre roux ; un homme démontre par a+b, que tous les Albanais sont des sauvages, des bandits, des assassins ; une femme serbe prend le risque de sauver ses voisins albanais par conviction. Une jeune Serbe décide d’aller travailler au Kosovo, pour y « chercher la vérité ».
C’est à un rythme haletant que les scènes se succèdent, disant la haine, la peur, décrivant aussi la solidarité et l’entraide. Et, en fin de compte, la paix et la réconciliation qui peinent à s’installer.
Cette pièce qui s’inscrit dans le courant du théâtre documentaire, tout en ménageant des moments d’émotion, vise surtout l’efficacité. Le projet même de l’écrire à quatre mains, témoigne d’une volonté d’éradiquer l’hostilité entre chacune des communautés.
Malgré le drame de ces vies brisées, le sang versé et les plaies encore béantes, leurs auteurs n’ont pas renoncé à l’humour. Souvent féroce : «Tu es un terroriste : tu es albanais! », dit un policier à un acteur de renom qui a pourtant incarné au cinéma un partisan yougoslave. «Il fait bon vivre au Kosovo, quand on ne vit pas au Kossovo», plaisante un homme. Autre scène terrible mais désopilante, la déclaration d’amour de deux combattants à leurs fusils, assimilés à leur sexe.
Le spectacle a été créé avec succès en 2011 à Belgrade, avec des acteurs de la ville, mais aussi de Pristina, Skopje, Tirana, et a été repris à Pristina.
Mireille Davidovici
Une lecture de cette pièce aura de nouveau lieu le 27 mars, dans le cadre du festival L’Europe des Théâtres du 20 au 29 mars, à la Maison d’Europe et d’Orient, 3 passage Hennel 75012. T. : 01 40 24 00 55.
www.sildav.org
Le texte, traduit de l’albanais et du serbe par Arben Bajraktaraj et Karine Samardžija, est à paraître aux éditions l’Espace d’un instant.