Les Armoires normandes

Les Armoires normandes, mise en scène de Jean-Christophe Meurisse, création collective des Chiens de Navarre

 

 

Avec un rappel en clin d’œil à l’univers de la compagnie Jérôme Deschamps /Macha MakeïefChiens Armoires Créteil © Lebruman 2015  DSC_5134f des années 80/90, Les Chiens de Navarre présentent aujourd’hui un spectacle où ils poursuivent  leur exploration mordante d’une société contemporaine, désertée par la permanence des sentiments, ce qu’on pourrait appeler ironiquement la « gestion durable et productive des émotions et de la tendresse dans les relations affectives ».
 Situations, portraits de couples, récits, descriptions loufoques, entre illusions troublantes et visions fantastiques  composent un catalogue des ratés de la vie, à travers des intentions personnelles gauchies, des volontés mal comprises, et une dégradation générale des relations :  matériau volumineux…  qui remplit généreusement l’une de ces  hautes  armoires normandes, en bois sombre, servant à ranger vêtements et histoires de famille oubliées sous les piles bien rangées des services en linge blanc de table et de toilette.
Ici, les histoires de famille, de couples ou de solitaires endurcis, se sont échappées de ces cachettes pour investir royalement la scène. D’abord, en guise de symbole protecteur, ou déstabilisateur? un Christ en croix, vivant, bavard, dénudé et ensanglanté, accueille le spectateur;  pour le mettre en forme : l’acteur mime en même temps – tête penchée, corps droit ou plié, bras écartés – les tableaux du Greco, de Grünewald, de Rembrandt …Petite leçon d’histoire de l’art qui évoque aussi le poids de la morale chrétienne sur les relations amoureuses et sentimentales des hommes ici-bas.
Pour entrer dans le vif du sujet, nous avons rendez-vous avec un célibataire en recherche d’une douce moitié, impossible à attraper : il dort, se lève, prend sa douche,  va aux toilettes, avale  son petit déjeuner  puis  répond au téléphone et ouvre la porte d’entrée, croyant que la dulcinée est au bout du fil ou sur le palier…
L’homme est en peignoir, et on peut croire qu’il parle mais ce sont d’autres comédiens, installés au premier rang dans la salle, et en régie, qui sonorisent les actions: bruits de liquide versé, de chasse d’eau, de céréales craquantes, et parlent au micro à la place de l’interprète qui, lui, mime un personnage réduit à sa seule marionnette, à la vie à la fois trépidante et désœuvrée, sans but véritable.
Les sketches se suivent, avec des
couples vivant sous nos yeux, depuis la rencontre puis le mariage jusqu’à la mort d’un des deux partenaires. Puis comme dans les émissions de télé-réalité, on interviewe des couples auxquels on demande tout simplement de nous déballer de façon impudique, des moments intimes  de leur vie sentimentale réduite à sa portion congrue.
Le jeu d’un, deux ou de tous les personnages ensemble sont réglés au millimètre : on peut voir ainsi en direct, l’accouchement d’une mariée dont le nourrisson sert immédiatement de ballon à une équipe improvisée de hand-ball: les invités de la noce initiale qui courent joyeusement sur un terrain de sable.
Des tubes de diverses générations : « With or without you (U2), Un Homme heureux  (William Sheller) et Je te promets  (Johnny Hallyday). investissent ce bel espace sablonneux un peu vide  avec  un  grand palmier.
L’ensemble, porté par de bons acteurs, est sympathique,  et le persiflage gentil et comique façon café-théâtre, est d’une légèreté consensuelle. Mais on attendait des Chiens de Navarre, quelque chose de plus digne de leur nom, et surtout de plus mordant et plus incisif….

 Véronique Hotte

 Maison des Arts de Créteil, du 3 au 7 février. L’Apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, les 11 et 12 février. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris du 3 au 21 mars. Palais des Beaux Arts de Charleroi, les 27 et 28 mars. Carré Les Clonnes, scène conventionnée de Saint-Médard-en-Jalles et Blanquefort, les 2 et 3 avril. Théâtre Daniel Sorano-Jules Julien, Toulouse, du 9 au 11 avril. La Faïencerie/Théâtre de Creil, le 16 avril. Et Théâtre des Subsistances à Lyon, du 10 au 13 juin.

 


Archive pour 10 février, 2015

Les Estivants

 

Les Estivants, d’après Maxime Gorki, version scénique de Peter Stein et Botho Strauss, version française de Michel Dubois et Claude Yersin, mise en scène de Gérard Desarthe

 

gp1415lesestivantsLe rideau rouge de Lucio Fanti s’ouvre sur un large panoramique ; un superbe tableau, peuplé d’hommes et de femmes en costumes XIX ème, qui va bientôt s’animer. Sous le regard moqueur de deux gardiens, qui, pendants comiques du drame, commentent, d’acte en acte, les mœurs bizarres des vacanciers : « Tous pareils, tous des patrons. » ou : «  T’as déjà vu du théâtre (…) Ils se mettent n’importe quoi sur le dos. Ils braillent (… ) Ils font comme si… »
Gérard Desarthe et Lucio Fanti ont planté une vaste forêt de bouleaux, emblématique des paysages russes. Sur les troncs, on distingue peu à peu des visages estompés, les mêmes que l’on devine et qui nous regardent, sur le rideau de scène, lors des changements de décor. Le peintre s’était  dans sa première manière, attaché à travailler, d’après des photos russes, sur les traces nostalgiques d’une U.R.S.S. mythique. C’est une autre nostalgie, tout aussi slave, qui infuse la pièce de Maxime Gorki, chez qui on retrouve l’influence d’Anton Tchekhov, son mentor dans cette vaste entreprise que fut Les Estivants.
En 1904, deux ans après Les Bas-Fonds, un succès mondial, Maxime Gorki va montrer au public avec Les Estivants, une autre face de la Russie, la bourgeoisie montante : «Je voulais peindre cette partie de l’intelligentsia russe, issue du peuple mais qui, du fait de sa promotion sociale, a perdu tout contact avec les masses populaires ( … ) et a oublié les intérêts du peuple et la nécessité de lui frayer un chemin». A l’orée de la révolution de 1905 qui couvait bruyamment, la pièce souleva de vives polémiques.
L’adaptation de Peter Stein et Botho Strauss restitue d’emblée le portrait de cette micro-société. En restructurant la pièce, en inversant des scènes, ils mettent tous les personnages sur le plateau dès le lever de rideau, qui se présenteront au public au fur et à mesure de leurs face-à-face. Par petites touches, se dessinent alors, au sein du groupe, leurs liens familiaux, amicaux, amoureux, et les rapports complexes qu’ils entretiennent entre eux.

   Gérard Desarthe qui est, avant tout, un comédien de grand talent, aborde la pièce avec une attention particulière  pour les acteurs. Rarement, la troupe de la Comédie-Française, dans le cadre classique qui est le sien, n’est apparue aussi homogène. Homogénéité renforcée par la choralité de la mise en scène. Chacun cultive son personnage et le fait évoluer au gré des événements, avec une sensibilité toute tchekhovienne, malgré la dureté provocante du texte de Maxime Gorki, et l’efficacité cruelle de l’adaptation allemande.
Il faudrait citer tous les comédiens,  tous convaincants, quand ils incarnent cette bande de nouveaux riches, mal dans leur peau, échantillons d’une société en crise, qu’ils soient médecin, ingénieur, écrivain, avocat ou rentier… Des « gravats », que le vent de l’histoire aura tôt fait de balayer. En ce sens, la pièce est étonnamment prémonitoire.

  Mais ce sont surtout les femmes qui expriment ici la critique sociale: de par leur position et leur sensibilité, elles sont les réceptacles vivants du malaise. Sylvia Bergé enveloppe Warwara, désenchantée et lucide, d’une fermeté inflexible, et Anne Kessler affirme une sentimentalité fragile et débridée en Calérie; quand elle récite L’Edelweiss, elle confère de l’émotion à cette poésie mièvre. Céline Samie est parfaite en Youlia, épouse volage du grossier Souslov (Thierry Hancisse).
Mais  le personnage de Maria Lwovna est la clef de la pièce, et selon l’auteur, son porte-parole. Elle critique, analyse, le comportement des autres personnages, les invective et les bouscule. Elle en gagnera quelques-uns à ses idées révolutionnaires et les entraînera sur la bonne voie. Clotilde de Bayser a ici l’envergure d’une pasionaria : impétueuse, elle sait aussi être une amoureuse maladroite dans sa valse-hésitation autour de Vlas, clown triste et cynique incarné par un Loïc Corbery plutôt décontracté.
Ces estivants, sortis d’une autre époque et d’un pays étranger, avec leurs conceptions morales et intellectuelles dépassées, leur sentimentalité d’un autre âge, Gérard Desarthe nous les rend familiers. Il nous plonge dans leur monde, comme dans un univers pictural et sonore. Avec une grande maîtrise des mouvements d’ensemble, et une justesse dans les scènes intimes, il propose une approche à la fois intelligente et sensible de la pièce et  un jeu d’acteurs sans fausse note.
A voir et à recommander à vos amis.

 

Mireille Davidovici

 

Jusqu’au 25 mai, Comédie-Française, Salle Richelieu, Paris T: 08 25 10 16 80 www.comedie-francaise.fr

Une nuit à la présidence

 

Une Nuit à la Présidence, écriture et mise scène de Jean-Louis Martinelli à partir d’improvisations avec les comédiens.

unenuitala présidence©PascalVictor  La pièce se déroule dans un lieu unique, un salon de réception du palais d’un Président africain,  qui reçoit M. Nick, le représentant français d’une multi-nationale, joué par le seul comédien blanc du spectacle.
Jean-Louis Martinelli, qui va régulièrement au Burkina Faso pour travailler avec des artistes, a conçu avec eux « cette farce politico économique », dans la spontanéité de l’improvisation.
Ils se sont inspirés du film d’Abderrahmane Sissako, Bamako,  où les habitants d’un quartier populaire jouent à faire le procès du F.M.I. et des multinationales, entraînés par Aminata Traoré, véritable pasionaria, alors ministre de la culture du gouvernement malien.
C’est elle qui a guidé Jean-Louis Martinelli pour écrire sa pièce. Elle déclarait avec fougue : «La démocratie libérale venue de l’Occident, nous n’en voulons plus…. nous avons été les bons élèves du F.M.I., les bons élèves d’un libéralisme dont nous n’avions pas les moyens !»  Cela  commence par une scène éminemment savoureuse entre le Président et la première Dame, (excellente Blandine Yameogo), plus vraie que nature, qui a recruté pour animer cette soirée un groupe de comédiens/musiciens/chanteurs et leur donne la possibilité d’évoquer les problèmes de leur quotidien devant le Président coupé des réalités de « son »peuple.
Mené par Bil Aka Kora, le groupe se constitue en véritable chœur à l’antique qui, avec ses chansons, dialogue avec les personnages, et  développe certaines de leurs paroles. Le Président n’a qu’un objectif : vendre une partie des mines d’or de son pays à M. Nick afin de créer un peu de travail, mais surtout pour s’enrichir et subventionner la campagne électorale pour sa réélection.
A partir de là, la pièce évoque une partie des maux de l’Afrique: corruption des politiques, népotisme, appétit des multinationales, néo-colonialisme de l’Europe et celui, plus insidieux de la Chine, dette, banques qui arrivent encore à s’enrichir sur les plus pauvres…. Habilement mené, jamais didactique: ce cabaret politique, d’inspiration brechtienne,  est joué par  d’excellents interprètes et  la dimension comique permet de faire passer les propos les plus graves.
Avec l’entrée d’Odile Sankara, (la sœur de Thomas Sankara, un indépendantiste burkinabé assassiné en 1987) qui incarne la Ministre, intègre, de la Culture, le ton change : voix dissonante de l’Afrique, elle s’attaque de façon frontale au représentant de l’Europe. Face-à-face final virulent : d’un côté, humanisme et honnêteté, et de l’autre, cynisme triomphant du capitalisme. La pièce laisse alors entrevoir qu’avec une nouvelle classe politique, enfin débarrassée des mauvaises habitudes néo-colonialistes, la démocratie pourrait se construire, en donnant aux citoyens un véritable contrôle sur leur pays.
Le théâtre a aussi pour fonction de décrire les travers d’un monde et éventuellement, d’appeler à les corriger…

 Elyane Gérôme

Spectacle vu au Théâtre National Populaire à Villeurbanne

Entretien avec Hideki Noda

 

Entretien avec Hideki Noda

 

FullSizeRenderHideki Noda est dramaturge, acteur et metteur en scène, et directeur artistique du Tokyo Metropolitan Theatre depuis 2009,  qui occupe une place très importante à Tokyo. Il a subi une rénovation complète en 2012, comme le Théâtre national de Chaillot où ont aussi  lieu en ce moment  de grands  travaux.  Egg, que Hideki Noda y met en scène, a été présentée de nouveau au public japonais,  il y a quelques jours.

 - Vous avez donné les représentations de THE BEE au Théâtre national de Chaillot, l’année dernière, et le public français a découvert votre travail.Vous deviez être heureux de son enthousiasme; pensiez-vous avoir un tel accueil ?

  •  - Étonné, au-delà de mes prévisions! Je pensais, comme d’autres personnes, que le public français serait un peu froid. Je l’ai découvert d’emblée concentré et, du coup, je me suis senti tout de suite à l’aise sur scène.

 - Vous êtes célèbre au Japon et dans le monde théâtral anglo-saxon. Quels sont vos références théâtrales, vos souvenirs artistiques de théâtre ou de danse , en particulier en Europe ?

-À 16 ans, j’ai découvert Peter Brook avec Le Songe d’une nuit d’été. Cela m’a enthousiasmé. Plus tard,  j’ai vécu à Londres  où j’ai découvert le Théâtre de Complicité de Simon Mac Burney, et aussi le travail de Lilo Baur, tous deux anciens élèves de l’École Jacques Lecoq, œuvrant avec  le même état d’esprit et  la même approche du corps. J’ai d’ailleurs rencontré Jacques Lecoq quand il était en 1994-1995 au Japon.

 -  Vous allez revenir, en mars de cette année, dans la grande salle Jean Vilar du Théâtre de Chaillot avec Egg, pour  six représentations.

 - Le spectacle sera joué en japonais sur-titré en français par trente acteurs de notre pays. Egg est un sport imaginaire qui consiste à jouer avec des œufs. Je suis né au XX ème siècle et, pour moi, ce siècle a été marqué par deux entités : le sport, étroitement lié aux différents nationalismes politiques  et la chanson populaire, elle, liée au marketing de masse.
Ces deux choses font toujours bouger les peuples. Je veux expliquer le présent et le futur (les Jeux Olympiques auront lieu en 2020 à Tokyo), à travers le passé : ceux de Tokyo de 1964, et ceux de 1940 qui n’avaient pas eu lieu, à cause de la seconde guerre mondiale. C’est un spectacle qui remonte le temps, avec une scénographie simple: dix vestiaires et un rideau de scène, mais  les costumes de Kozue Hibino seront eux très signifiants.

- En cela,  vous rejoignez Jean Vilar qui, sur le grand  plateau de Chaillot,  qui, nommé directeur du Théâtre National de Chaillot, associait pour ses créations, scénographie épurée et riche travail de costumes, en particulier,  ceux de Léon Guischia.

- Oui, mais je voudrais dire que la musique est aussi, bien sûr, très importante; elle a été composée par Shiina Ringo, une pop-star au Japon. Une comédienne jouera d’ailleurs le rôle d’une pop-star imaginaire dans ce spectacle.

 - Vous avez  collaboré avec des équipes anglaises, comme avec celle le Soho Theatre de Londres. Avez-vous envie de  le faire aussi avec des metteurs en scène et directeurs français ?

- Dans notre métier du théâtre, je pense que les rencontres, même fortuites, sont importantes. Rencontrer Didier Deschamps a été un heureux hasard. Quand il est venu voir Egg à Tokyo, nous nous sommes rendus compte que nous avions une communauté d’esprit. Il attache, bien sûr, une grande importance à la notion de corps sur scène, comme moi. C’est pourquoi, je suis ici, et d’autres collaborations peuvent être envisagées dans l’avenir…

 

Jean Couturier

 

Egg sera présenté au Théâtre National de Chaillot du 3 au 8 mars.

 

 

 

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