Les Armoires normandes
Les Armoires normandes, mise en scène de Jean-Christophe Meurisse, création collective des Chiens de Navarre
Avec un rappel en clin d’œil à l’univers de la compagnie Jérôme Deschamps /Macha Makeïeff des années 80/90, Les Chiens de Navarre présentent aujourd’hui un spectacle où ils poursuivent leur exploration mordante d’une société contemporaine, désertée par la permanence des sentiments, ce qu’on pourrait appeler ironiquement la « gestion durable et productive des émotions et de la tendresse dans les relations affectives ».
Situations, portraits de couples, récits, descriptions loufoques, entre illusions troublantes et visions fantastiques composent un catalogue des ratés de la vie, à travers des intentions personnelles gauchies, des volontés mal comprises, et une dégradation générale des relations : matériau volumineux… qui remplit généreusement l’une de ces hautes armoires normandes, en bois sombre, servant à ranger vêtements et histoires de famille oubliées sous les piles bien rangées des services en linge blanc de table et de toilette.
Ici, les histoires de famille, de couples ou de solitaires endurcis, se sont échappées de ces cachettes pour investir royalement la scène. D’abord, en guise de symbole protecteur, ou déstabilisateur? un Christ en croix, vivant, bavard, dénudé et ensanglanté, accueille le spectateur; pour le mettre en forme : l’acteur mime en même temps – tête penchée, corps droit ou plié, bras écartés – les tableaux du Greco, de Grünewald, de Rembrandt …Petite leçon d’histoire de l’art qui évoque aussi le poids de la morale chrétienne sur les relations amoureuses et sentimentales des hommes ici-bas.
Pour entrer dans le vif du sujet, nous avons rendez-vous avec un célibataire en recherche d’une douce moitié, impossible à attraper : il dort, se lève, prend sa douche, va aux toilettes, avale son petit déjeuner puis répond au téléphone et ouvre la porte d’entrée, croyant que la dulcinée est au bout du fil ou sur le palier…
L’homme est en peignoir, et on peut croire qu’il parle mais ce sont d’autres comédiens, installés au premier rang dans la salle, et en régie, qui sonorisent les actions: bruits de liquide versé, de chasse d’eau, de céréales craquantes, et parlent au micro à la place de l’interprète qui, lui, mime un personnage réduit à sa seule marionnette, à la vie à la fois trépidante et désœuvrée, sans but véritable.
Les sketches se suivent, avec des couples vivant sous nos yeux, depuis la rencontre puis le mariage jusqu’à la mort d’un des deux partenaires. Puis comme dans les émissions de télé-réalité, on interviewe des couples auxquels on demande tout simplement de nous déballer de façon impudique, des moments intimes de leur vie sentimentale réduite à sa portion congrue.
Le jeu d’un, deux ou de tous les personnages ensemble sont réglés au millimètre : on peut voir ainsi en direct, l’accouchement d’une mariée dont le nourrisson sert immédiatement de ballon à une équipe improvisée de hand-ball: les invités de la noce initiale qui courent joyeusement sur un terrain de sable.
Des tubes de diverses générations : « With or without you (U2), Un Homme heureux (William Sheller) et Je te promets (Johnny Hallyday). investissent ce bel espace sablonneux un peu vide avec un grand palmier.
L’ensemble, porté par de bons acteurs, est sympathique, et le persiflage gentil et comique façon café-théâtre, est d’une légèreté consensuelle. Mais on attendait des Chiens de Navarre, quelque chose de plus digne de leur nom, et surtout de plus mordant et plus incisif….
Véronique Hotte
Maison des Arts de Créteil, du 3 au 7 février. L’Apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, les 11 et 12 février. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris du 3 au 21 mars. Palais des Beaux Arts de Charleroi, les 27 et 28 mars. Carré Les Clonnes, scène conventionnée de Saint-Médard-en-Jalles et Blanquefort, les 2 et 3 avril. Théâtre Daniel Sorano-Jules Julien, Toulouse, du 9 au 11 avril. La Faïencerie/Théâtre de Creil, le 16 avril. Et Théâtre des Subsistances à Lyon, du 10 au 13 juin.