Requiem

Requiem, d’Hanokh Levin, traduction de Laurence Sendrowicz , mise en scène de Cécile Backès

 

requiemRequiem de l’auteur israélien Hanokh Levin, est, pour Cécile Backès, l’œuvre (la dernière!) d’un poète qui retrouve ses origines slaves, et qui s’inspire de nouvelles de Tchekhov, pour raconter le passage de vie à trépas.
Comment écrire la fin d’une existence, notre lot à tous, dans une extrême proximité avec la mort ? Quelle en aura été la valeur, avant que ne se dépose sur son paquet désormais plié, le grand voile du silence ?

Le drame passe, selon la griffe d’Hanokh Levin, par une représentation théâtrale, depuis la gravité de cette situation macabre jusqu’à la farce et au conte. L’œuvre testamentaire s’accomplit ici, à travers le récit d’un vieil artisan malheureux et égoïste, qui subit plusieurs fois l’expérience fatale: celle de sa femme d’abord, expérience qu’il vit en observateur privilégié, celle ensuite d’un nourrisson, cette fois éprouvée par sa mère, et enfin la sienne. Se crée ainsi une initiation pour le Vieux, un fabricant de cercueils! Et une aventure scénique pour le public, l’un et l’autre méditant avec un demi-sourire sur cette expérience égalitaire.
Cette œuvre, à la fois fictionnelle et philosophique, mène le pauvre fabricant à une rencontre avec sa conscience. Cécile Backès a fait le choix judicieux de réconcilier cette fable ultime avec la réalité, à travers la dimension paradoxale d’un carnaval à l’irréalisme spontané, forme d’expression populaire avec masques et déguisements.
Le Vieux en casquette et veste d’artisan (Philippe Fretun, au jeu naïf et paisible) se fait l’humble narrateur de sa propre histoire qui alterne avec, théâtre dans le théâtre, des épisodes illustratifs et colorés, exemplaires de l’intrigue.

  La Vieille, aux cheveux blancs, en jupe noire à motifs brodés, que Le Vieux regrette, maintenant qu’elle est malade, de n’avoir pas assez regardée, balaie le sol de sa cabane, avec de petits pas dansants évocateurs (Anne Le Guernec  qui joue aussi la jeune mère combattive du nourrisson défunt). Ce couple universel de conte populaire rassurant s’accorde avec la figure ludique de l’infirmier alcoolique,  désabusé et sarcastique (François Macheray), consulté pour un avis fatal.
  Mais, avant de rejoindre,  depuis le village, le centre sanitaire du bourg le plus proche, il aura fallu passer par l’épreuve d’un cheminement physique.Une jolie carriole, avec deux belles roues de fer et un habitacle carré, la  véhicule de l’errance quotidienne des personnages, porte les passagers qui la rendent  mobile et qu’ils posent,  quand elle doit s’arrêter. La métaphore du théâtre dans le théâtre ne cesse de se filer dans des tableaux lumineux et surréalistes. Ainsi, à côté du Vieux et de la Vieille qui cheminent, se tient alternativement un autre duo, celui d’un ivrogne et d’une putain.
Félicien Juttner et Maxime Le Gall sont les bouffons grotesques et travestis de cette fête de fous : inversion, jeux de rôle, licences langagières et débauches alcoolisées. Goujats, ivres morts, ils reprochent aux demoiselles légères de sentir le hareng, mais celles-ci ne se font guère d’illusions quant aux «peu galants» qu’elles servent. Mais, pour qu’il y ait une carriole mobile sur scène, il faut un cheval, joué ici par un acteur, imitant le bruit de pas de l’animal, masqué d’une tête à la belle crinière, que mène un cocher superbe et mélancolique à la triste vie (Pascal Ternisien).
Dans ce tableau de conte enchanteur et railleur, il y a aussi une fenêtre poétique qui s’élève ou s’abaisse, des feuilles de branches de saule esquissées, et au loin, un fleuve que l’on devine derrière des châssis verticaux  éclairés. Un masque de chèvre, et trois anges commentateurs (les comédiens qui jouent aussi  l’ivrogne et la putain), et Simon Pineau): l’un aux ailes tombantes, l’autre aux ailes levées, et le troisième aux ailes horizontales, content fleurette à l’invisible, avant de s’emparer de l’âme éclairée des défunts.
  Ce divertissement carnavalesque à la Marc Chagall ne pouvait aller sans une fanfare populaire, façon de renverser les apparences et d’effacer les hiérarchies. La fresque imaginée par Cécile Backès frappe longtemps les esprits après le spectacle, comme un joli conte d’enfance onirique, grâce aussi à la scénographie soignée de Thibaut Fack. Un sol de plumes blanches et volatiles, tel un épais manteau de neige poudreuse, est le paysage d’hiver du Vieux qui rêve, depuis ses cercueils, à un élevage d’oies, puis à un gros volume de plumes qui ferait de bons édredons à vendre…
  La mystique de la réincarnation: chèvre, cheval, saule, fleuve, étoile, s’impose, quand la parcelle du monde – un être vivant – disparaît, mais survit dans un panthéisme où la vie animale et végétale devient précieuse.
  Un songe soyeux, allègre et rieur, soufflant l’air glacé du débordement de toute vie.

 Véronique Hotte

 Comédie de Béthune -Centre dramatique national Nord-Pas de Calais-,Théâtre Olympia  puis au CDR de Tours, du 11 au 14 février. Théâtre de Sartrouville et des Yvelines /CDN, du 12 au 14 mars; La Comédie de l’Est/CDN de Colmar, du 18 au 20 mars et Théâtre des Célestins à Lyon, du 5 au 9 mai.
Le texte de la pièce est édité aux Editions Théâtrales)


Archive pour 17 février, 2015

Medealand

Medealand, de Sara Stridsberg, traduit du suédois par Marianne Ségol Samoy, mise en scène de Jacques Osinski

 

  medealand_3_photo_Pierre_GrosboisCette Médée est proche de celle d’Euripide, en femme humiliée, lançant des récriminations contre Jason et l’injustice de Créon qui l’exile de Corinthe : une figure dangereuse possédée par un démon intérieur.  Psychologiquement en proie à la passion et aux déchirements intérieurs, partagée entre la pitié pour ses enfants et une soif farouche de vengeance, elle se décidera à tuer ses fils.
La tragédie a ici des résonances féministes, avec un regard sur la situation de la femme dans le foyer familial. Cette Médée recèle une profondeur tragique particulière. Une fois accompli le meurtre de Créuse, la fille de Créon et la nouvelle épouse de Jason, suivi de l’infanticide, Médée la magicienne, dans une montée paroxystique de la violence, annule son existence liée jusqu’à présent à l’univers de l’homme, pour reconquérir une virginité, symbolique des origines perdues de Colchide.
Hantée par une soif d’absolu, une volonté farouche de destruction et le désir de se punir des meurtres passés- son frère- et de l’abandon de ses parents, Médée est une âme dont la grandeur monstrueuse répond à un sublime inversé.
L’auteure contemporaine suédoise Sara Stridsberg est sensible, dans notre société indifférente, aux figures féminines marginales,  et en général, à celles qui se sont perdues en chemin. Jacques Osinski voit en Médée une marginale qui ne plie pas, «le corps en miettes mais l’esprit flamboyant».  Sa mère, l’aiguille et le fil à la main, lui dit : « Mais tu dois apprendre à t’incliner devant le monde quand il te regarde. Personne n’y échappe. Aucune femme. Pas même toi, Médée. »
Abandonnée par l’homme aimé auquel elle a tout donné, Médée refusera de plier. Nulle soumission ne saurait lui convenir, si ce n’est un rapport amoureux absolu.  Avec elle, la condition féminine interroge sa destinée dans le monde et son humanité.
L’amour qui devait sauver Médée des obstacles socio-politiques, détruit la femme : «L’amour, c’est le gaz carbonique du sang. L’amour, c’est une punition. Dans le futur, personne n’aimera. L’amour sera supprimé. Une barbarie révolue, incompréhensible et antidémocratique. Tout le monde rira de nous, pauvres fous aimants ». Le cœur brisé, la malade aspire à à être hospitalisée, pour ne plus être ce qu’elle est.
Une déesse, médecin urgentiste, décline l’état civil de la patiente, dans un rapport clinique quasi-policier : « Deux enfants. Des garçons. Dont elle s’occupe seule depuis quelque temps. Sans logement. Sans revenus. A eu une activité professionnelle autrefois, mais a arrêté quand son mari a eu un point de vue là-dessus. A tenté de travailler à domicile mais progressivement son activité est tombée à l’eau. Est originaire de Colchide. Pas de famille, pas d’amis, personne vers qui se tourner. »
Médée, dans l’anonymat d’une salle d’attente, aux urgences psychiatriques, est une étrangère, une sans domicile fixe, face à l’impersonnalité de toute administration, dont la violence anonyme ne peut laisser indifférent.
La scénographie de Christophe Ouvrard répond aux didascalies de Sara Stridsberg; c’est un espace blanc, éblouissant et impersonnel, aux portes battantes: une morgue d’hôpital. Un panneau fait apparaître le lit adultère des amants, ou le tiroir des morts cachés,  et le lit  des enfants défunts.
Maud Le Grevellec, fascinante en grande Médée sensuelle de nos temps difficiles, tenue rock et juchée sur des bottes à talons, arpente lourdement, sans jamais se lasser le sol plastifié blanc, allant et venant, à la façon d’une hyène insoumise et inapaisée qui subjugue, hypnotise ou endort l’adversaire.
Ses ennemis: Jason (Julien Drion), sorti d’une école de commerce, est habillé en  costume de jeune parvenu; réduit à sa fonction volage, il ne fait évidemment pas le poids; Créuse (Delphine Hecquet) n’a droit qu’à une existence de poupée/Lolita.
Créon (Jean-Claude Frissung), veule et lâche, est soumis à un désir frelaté pour Médée. Les autres femmes, comme la mère (Caroline Chaniolleau), la déesse (Gretel Delattre) et la jeune fille qui garde les enfants (Noémie Develay-Ressiguier) se révèlent de belles compagnes lumineuses, grâce à un jeu déclamatoire bien frappé.
Au prix d’une représentation façon chemin de croix, Médée cessera enfin de pleurer…

Véronique Hotte

Le spectacle a été créé et joué au Studio-Théâtre de Vitry, du 13 au 16 février. 

Le texte est publié chez l’Arche-Editions

 

Tartuffe ou l’imposteur

Tartuffe ou l’Imposteur de Molière, mise en scène de Benoît Lambert
 
photo_tartuffe_10_vincentarbelet«Couvrez ce sein que je ne saurais voir». Le plaisir d’entendre le célèbre vers de Molière est ici d’autant plus grand que l’on rit avec Tartuffe, plutôt que de le prendre en grippe, tout en s’agaçant de la crédulité d’Orgon, ce bourgeois qui a tout abandonné au faux dévot qu’il a introduit chez lui: conscience, biens, fille, et fils renié au profit de l’escroc, et même épouse.
Cet incroyable entichement demeure un mystère de la pièce. Dorine, l’impertinente suivante, un peu «trop forte en gueule», selon Madame Pernelle, la mère d’Orgon, tire pourtant un portrait peu flatteur de l’imposteur : «Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille». A la fois séduisant et enjôleur.

 Ici, point de Tartuffe ventripotent au teint fleuri, mais un homme jeune, fluet et non dénué d’attrait (Emmanuel Vérité). La préciosité de son jeu révèle avec éclat la malice d’un personnage dont on se prend à espérer que l’entreprise aboutira. On jubile quand on le voit ainsi trahir une famille bourgeoise, engoncée dans le confort de sa classe. Ce que traduit bien la scénographie avec une grande table ovale, cernée de cadres dorés impeccablement disposés, autour de laquelle se réunissent les personnages.
Benoît Lambert se place ici dans la lignée de Louis Jouvet qui, le premier, réhabilita le personnage, en le dotant d’un charme trouble. Il va même plus loin, avec une lecture socio-économique que le texte supporte très bien. N’en déplaisent donc aux tenants de l’actualisation à tout prix du théâtre classique, cette mise en scène ne fustige pas un fanatisme religieux, dont on déplore aujourd’hui et avec raison, les vicissitudes.
 Ce « gueux » de Tartuffe (selon le mot de Dorine), grain de sable qui grippe l’ordre bourgeois, devient ici, selon une lecture plutôt marxiste, «un genre d’Arsène Lupin, déguisé en dévôt pour mieux réussir son coup, une charmante crapule, dont l’entreprise malhonnête prend des allures de revanche de classe», comme le dit Benoît Lambert.
Le metteur en scène est donc loin de se réjouir du sort, qu’au dénouement, Molière a réservé à son scélérat, mais en avait-il le choix? Orgon et sa famille, retrouvent ici ce qu’ils ont de plus cher, leur propriété!  Et restituée par le représentant d’un prince éclairé «ennemi de la fraude» ! Cet incroyable retournement de situation est traité avec le ridicule qui sied à cet abracadabrant deus ex machina.
À rebours des costumes actuels que portent les  autres personnages, l’exempt arbore, lui, un habit d’époque, tout de blancheur et de clinquant. La lumière divine et drôlatique qui l’auréole, souligne la tendance obséquieuse à l’endroit du pouvoir, d’un Molière qui n’était en rien le révolutionnaire qu’on présente quelquefois dans les manuels, et son public était, à Paris et à Versailles, celui des aristocrates et grands bourgeois. Il a d’ailleurs vu ce qu’il lui en a coûté, quand il se les est mis à dos.

  Benoît Lambert, lui, voit en Tartuffe une sorte de victime de classe, mais ne prend pas le parti d’une lecture tragique. La scénographie et  le jeu des comédiens exacerbent plutôt les aspects vaudevillesques de la pièce, et les personnages empruntent volontiers les portes dérobées qui se fondent dans  un décor mouvant, tantôt opaque et ceint de dorures à l’image de la cellule bourgeoise, tantôt transparent et mobile, quand vacillent les fondations de la famille.
Les comédiens, dont Yoann Gasiorowski et Aurélie Reinhorn  (Valère et Marianne), ont tous des gestes et mimiques réjouissants. Pas facile en effet de donner corps aux silhouettes un peu falotes des personnages secondaires, souvent un peu délaissés par les metteurs en scène. Laurent, par exemple, une ombre en habit  gris que Tartuffe appelle parfois à la rescousse, participe ici pleinement au comique: il a des allures de gangster inquiétant…
Les interactions entre personnages sont éclairées d’un jour nouveau, et on devine ainsi la séduction trouble qu’exerce Tartuffe sur Elmire (Anne Cuisenier, au jeu subtil); piste  déjà explorée par d’autres metteurs en scène.

  On remarque aussi le regard neuf que porte Benoît Lambert sur la relation qui unit Tartuffe à la truculente Dorine (incarnée avec une grande drôlerie par Martine Schambacher), rivalisant d’adresse avec l’intrigant. Tartuffe et Dorine, les meilleurs ennemis!
Mais ses motivations sont autres… Avec son insatiable bagout, elle est ici un bon garant de l’ordre bourgeois, jalouse d’une place qu’à force de malice, elle a su prendre dans cette famille. Benoît Lambert souligne, de manière inédite, la proximité de ces deux «gueux», perdus en territoire bourgeois.
Les différentes mises en scène de la pièce, et celle-ci en particulier, témoignent de l’extraordinaire potentialité théâtrale qu’elle renferme!

Adèle Duminy


Spectacle vu en février au Théâtre de Meylan.
On peut aussi lire les articles  de notre correspondante sur
http://culturegrenoble.blogspot.fr/

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  Il y a bien longtemps qu’on n’avait pas autant ri à cette pièce, ni assisté à une lecture aussi astucieuse que celle de Benoît Lambert qui  a décidé de «sauver» Tartuffe et d’enfoncer, au passage, la famille bourgeoise. Ce Tartuffe-là, qui s’est incrusté chez Orgon, sous prétexte de le conduire sur la voie de  la piété et du rachat de ses fautes, est un voyou moderne : pressé et cynique.
  Tout est bouclé entre le troisième et le quatrième acte : il a l’argent d’Orgon, sa fille, sa femme, et le sourire de Dorine. Et s’il échoue, c’est pour avoir été trop pressé et pour avoir oublié que ça se passe quand même au XVIIe siècle, époque où une femme s’estime à la mesure du temps qu’on a passé à lui faire la cour.
Tartuffe, troussant Elmire, s’est cru déjà dans le vaudeville mais il échoue par présomption plus que par précipitation : après tout, Elmire était prête à céder, non à son charme mais à ceux de la vengeance contre un mari inerte et égoïste. Tartuffe a cru, lui,  qu’Orgon serait cocu, battu, et content : il a oublié la vanité, qui survit à tout, aux compromissions, aux mauvaises affaires. « Qu’est-il besoin pour lui, du soin que vous prenez? C’est un homme, entre nous, à mener par le nez ». (acte IV sc.6).
Et voilà. L’échec avec Elmire n’est qu’une péripétie nécessaire à l’accélération d’un dénouement cynique, et Tartuffe peut dire, en toute légalité, à Orgon qui le chasse : «C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en maître ». Quant au deus ex machina royal, il nous rappelle la double courbette que Molière devait faire à son public privilégié : le Roi, qui nourrit la troupe en lui passant des commandes pour ses fêtes à machines et à grandes eaux, et les bourgeois dont il se moque (les cabales contre le comédien auteur montrent qu’ils s’y reconnaissent parfois), et qui ont besoin d’un dénouement heureux, où l’ordre familial est rétabli.
Il s’agit donc de faire rire sur le dos d’un bourgeois et  Orgon a le meilleur dos du monde! Empêtré dans cette famille qui le fatigue, terrifié sans doute par des affaires politiques trop grandes pour lui, il a trouvé refuge dans la voie –et la sensualité- du salut. Seulement, il sait sans le vouloir  que c’est une illusion, et qu’amour pour amour, il n’est pas sûr que Tartuffe réponde au sien. D’où ses colères, ses emportements dans tous les sens.
Emmanuel Vérité lui donne la flexibilité et l’insolence nécessaires. Tous les comédiens sont à leur affaire, même si Molière ne leur a pas donné d’aussi bonnes partitions, chacun a son moment d’éclat (on vous conseille la colère explosive du « raisonneur »), mais Marc Berman ( Orgon) atteint des sommets, et nous donne une superbe leçon de théâtre. On ne voit pas un personnage du XVIIe siècle en costume actuel, mais un de nos contemporains traversé par les passions et les folies d’Orgon.
Dans cette « maison courant d’air », une fois tout cela calmé et les panneaux remis à leur place de solides murs du foyer, qui règne alors ? Dorine! Impériale, Martine Schambacher est bien la gouvernant, même si le terme est anachronique. Plus patiente, elle a eu aussi davantage d’humour que ce jeunot de Tartuffe.

  Molière, notre contemporain ? Oui, même si cette option, poussée parfois jusqu’à la farce est forcément réductrice, ici ou là. Mais le propre des chefs-d’œuvre est d’être inépuisable. Quant à l’insolence du metteur en scène, on l’en remercie, avec l’envie de lui dire: « Chiche! Tapez plus fort ! »
Mais qui irait chipoter sur un spectacle drôle et intelligent ?

 Christine Friedel

 Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, jusqu’au 29 mars T: 01 48 33 16 16


 

 

 
  

George Kaplan

George Kaplan texte et mise en scène de Frédéric Sonntag

   63974-george_kaplan_1_bertrand_faureCette pièce, qui n’en est pas vraiment une, tient plutôt d’une sorte de mini-trilogie en trois volets. Au début, réunis autour d’une grande table rectangulaire couverte d’une toile cirée jaune pâle à carreaux, trois hommes et deux femmes parlent beaucoup, sans arrêt ou presque, en buvant des bières. Mais ils ne sont visiblement pas d’accord, quant à la poursuite de leurs activités.
 On comprend vite que ce sont des activistes soigneusement planqués, comme le  confirmera une vidéo où on les voit réunis autour de cette même table, dans l’ancienne et très charmante cuisine d’une vieille maison de la campagne française. Un commando de gendarmes cagoulés et fortement armés viendra d’ailleurs les arrêter un par un, de façon très musclée, quand ils sortiront dans le jardin.
Deuxième épisode: on n’est plus à la campagne mais sans doute à Paris, où le temps que dure la vidéo, les cinq comédiens ont pu changer de costume. On est dans une salle de réunion des plus banales, où, suite à un commande, une équipe de jeunes scénaristes et dialoguistes sont à la recherche d’un concept pour concevoir une série télé. Les discussions laborieuses, conduites par une jeune dirigeante dynamique et très sûre d’elle, vont bon train mais le résultat ne se laisse pas vraiment entrevoir. Caricature, bien sûr, d’un milieu avec ses codes et ses personnages stéréotypés, et quelquefois assez drôle, du moins quand on est de la paroisse… 
  Dernier volet: autour de cette même table encore, mais cette fois dotée d’un plateau lumineux, quelques membres d’un gouvernement occidental, tous impeccablement vêtus de costumes/cravates, ou robes noirs. Moment décisif: ils réfléchissent, à coup de cafés, aux meilleures méthodes pour lutter contre un très grave danger terroriste qui menace la sécurité intérieure de leur pays.
Mais on est entre le premier et le second degré: subitement est projetée l’image d’une poule qui picore dans une belle prairie verte mais en fait, très dangereuse et qu’il faut abattre d’urgence, et un organigramme où on peut voir qu’Alfred Hitchkock participe aussi, en compagnie d’artistes célèbres comme Marcel Duchamp, à ce complot international de grande envergure…

  Dénominateur commun et seule véritable lien entre ces trois volets de cette mini-trilogie: un certain George Kaplan, qui ressurgit ici de façon quasi-obessionnelle, nom porté entre autres par de nombreux universitaires  et un gangster américains,  un grand rabbin et  une réalisatrice française, et surtout par un personnage fantôme de La Mort aux trousses d’Alfred Hitchkock qui a fasciné Frédéric Sonntag.
« A partir de ce personnage, dit-il, a donc commencé à mûrir le projet d’une pièce au centre de laquelle se trouverait un certain George Kaplan, sans qu’il soit jamais incarné, sans qu’il soit jamais aperçu (…) Comme dans le film, George Kaplan serait ce point aveugle à partir duquel  se construirait toute la pièce”. C
’est aussi l’occasion, on le comprend vite, pour Frédéric  Sonntag, de mener une réflexion sur  le mythe, le réel et les fictions qu’on peut en tirer, mais aussi sur la géopolitique, et les façon de manier l’opinion dans un grand pays.
  Et cela donne quoi? Parfois le meilleur, et trop souvent, le vraiment pas bon et singulièrement ennuyeux comme un cours de fac mal foutu. Le meilleur? D’abord une remarquable direction d’acteurs : Lisa Sans, Feleur Sulmont, Alexandre Cardin, Florent Guyot, Jérémie Sonntag réussissent à être tous crédibles, avec une étonnante unité de jeu. Et les vidéos de Thomas Rathier, qui sont d’une force et d’une précision exemplaire comme, à la fin,  cette fusillade dans un hall de société qui fait froid dans le dos.
  Le pas bon du tout: les dialogues bavards de Frédéric Sonntag, où il semble se faire surtout plaisir à lui-même, mais qui sont bien peu efficaces. Et quand il fait part de ses intentions, cela devient assez prétentieux: “une identité fictive à laquelle on essaye de donner un semblant de réalité et qui finit par en recouvrir une, par le plus grand des hasards, trouvait une résonance particulière avec certains de mes thèmes et de mes préoccupations concernant les espaces de friction et de confusion entre réel et fiction, la définition des identités et leurs limites, ainsi que leur potentielle perméabilité.”
 Tous aux abris! D’autant plus que sur le plateau, sa mise en scène, par ailleurs précise et bien rythmée, n’arrive pas à soulever un texte vite et mal écrit.”Et les scénarios  qui balancent sans cesse entre fiction et humour n’ont rien de crédible, sans doute d’abord et surtout, à cause de ce dénominateur commun de George Kaplan, qui n’en est pas vraiment un! Peut-être une bonne idée sur le papier mais qui n’arrive à prendre corps sur un plateau. Et le second degré  quelque peu laborieux que Frédéric Sonntag essaye d’y infiltrer, n’arrive pas à faire passer la pilule.
Résultat: rien de bien passionnant dans ce texte trop long, soporifique, sauvé (mais à quelques rares moments seulement du troisième volet) par cette bande d’acteurs, à qui Frédéric Sonntag peut dire merci. Sans eux, le spectacle serait encore plus inconsistant…
  Mais les nombreux  lycéens qui s’ennuyaient comme nous, avaient eux trouvé la parade: ils s’étaient sagement endormis épaule contre épaule ou envoyaient des SMS… Et ils n’ont pas, ou très peu, applaudi. Cherchez l’erreur! Va-t-on au théâtre pour voir des acteurs, sauf si on en cherche, quand, du moins, on est metteur en scène ou réalisateur télé mais le public, lui, dans tout cela?

 Philippe du Vignal

 Le spectacle a été créé du 10 au 14 février au Théâtre Paris-Villette et sera joué en tournée.

Le Petit Marcel

Marcel de et avec Jos Houben et Marcello Magni

  cote-slide-marcel-3Jos Houben, dont le spectacle-conférence L’Art du Rire se joue encore (voir Le Théâtre du Blog), revient aux Théâtre des Bouffes du Nord avec Marcel, son dernier opus.  Jos Houben et Marcello Magni, tous deux anciens élèves de la fameuse école Jacques Lecoq,  ont créé à Londres, le Théâtre de Complicité avec Simon McBurney et ont joué sur cette scène des Bouffes du Nord Fragments de Samuel Beckett, mis en scène par Peter Brook. Pour eux, Marcel, disent-ils, est «l’homme-gag que nous sommes tous et qui, dans un monde concret aux multiples obstacles, maintient tant bien que mal son équilibre. Son corps âgé n’a plus l’agilité de la jeunesse mais Marcel a gardé un atout : l’esprit d’enfance. Il invente des raccourcis, joue à contrepied et va dans le contresens. Pour Marcel, rien n’est jamais gagné, mais  rien n’est jamais perdu non plus. (…) Le gag est un poème . Il fait rire par son effet de surprise, la virtuosité de son exécution et l’humanité qu’il révèle».   On découvre ici un personnage qui vient chercher une sorte d’attestation de capacité qui lui permettra de continuer  à travailler. Il sent bien qu’il vieillit et il est un peu angoissé, avant d’aller effectuer une batterie de tests. Ce Marcel, (Marcelo Magni) râblé, bronzé, pas très grand,casquette vissée sur la tête a un physique méditerranéen; bref, le contraire de Jos Houben, lui, grand et pâle, en blouse blanche et  portant des lunettes, incarnant tous les pontes qui vont tenter de faire flancher Marcel, dans un duo qui rappelle les grandes heures du clown mais aussi évidement les grands comiques américains, notamment Buster Keaton, Laurel et Hardy…  La scénographie, une belle courbe ascendante en bois, sert à de nombreux jeux, chutes et glissades. L’argument est vite posé, avec des gags comme un parapluie qui ne cesse de se déplier, un chapeau, et  un premier niveau de la courbe sur lequel Marcel ne cesse de riper… Ces deux clowns burlesques n’ont rien de révolutionnaire, mais leurs petits trucs et gags, même connus, participent d’une grande tendresse, avec, en toile de fond, la vieillesse et l’exclusion auxquelles Marcel, dont on apprend qu’il est un enfant de la balle, se prépare peu à peu.  Quand une lune descend des cintres, elle devient dans les mains de Marcel, un chapeau napoléonien, puis une gondole vénitienne, une harpe… Tout fait jeu, tout ici est détourné, pour le plaisir de tous. C’est un clown simple et tendre, qui  réunit un public de tout âge, fait rire les plus petits, et émeut les plus grands; il y a des images qui sonnent très juste, comme ce cadre de porte qui aide Marcel à se déplacer et qui évoque très clairement un déambulateur...   Jos Houben laisse beaucoup de place à Marcelo Magni, et c’est tant mieux; il déploie en effet un univers italien qui rappelle Federico Fellini, ou ces compagnies de cirque jouant sur la tendresse, l’humour et la modestie, comme le Circo Rippopolo. C’est aussi le monde des simples et des petites gens qui est ici magnifié.  La petite heure passée en leur compagnie, dans le cadre enchanteur des Bouffes du Nord, ne restera pas inoubliable, mais a le grand avantage de faire passer un excellent moment.

Julien Barsan

 Spectacle vu au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.  Théâtre d’Arras, les 31 mars et 1er avril; Hippodrome de Douai, le 2 avril et La Comète de Chalons-en-Champagne, les  14 et 15 avril.

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