L’être ou pas

L’Etre ou pas de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Charles Tordjman

 

  image002 Jean-Claude Grumberg, auteur de théâtre maintes fois récompensé par des Molière, a aussi été scénariste de télévision et de cinéma, notamment avec Costa-Gavras. Il s’agit ici d’un texte déjà paru sous le titre Pour en finir avec la question juive.
Soit neuf petits dialogues entre deux voisins, jamais nommés, qui se croisent dans la cage d’escalier et se parlent pour la première fois. L’un demande abrupto à l’autre, assez ébahi: « Vous êtes juif,  je l’ai vu sur Internet ». Ce à quoi, le premier lui répond joliment:  » Ah! Bon si c’est sur Internet! ». Bref, cela commence assez mal…
Il est de culture juive mais n’est en rien pratiquant; le judaïsme, c’est la religion de ses parents et grands-parents, mais cela reste un sujet sensible pour lui, même, et il l’avoue avec quelque réticences, s’il ne sait pas grand chose du Talmud et de la Torah.

Le petit bourgeois qui l’a ainsi questionné sur une marche d’escalier n’est pas très ouvert et a des idées bien arrêtées. On ne verra jamais leurs épouses, celle du premier est de Quimper, l’autre de Bordeaux, et d’après ce qu’en dit son mari, elle est assez antisémite, et s’informe uniquement sur des sites pro-Palestiniens.
Mais l’autre voisin trouve normaux les revendications et donc les droits des Israéliens, selon lui « immémoriaux » sur les territoires palestiniens, et il ajoute : « Les rendre, dit-il, o.k.,  mais à qui ? » Mauvaise foi des deux côtés, art de retourner la question, bref, les arguments volent parfois bas!  Les deux hommes parlent aussi sur le même ton d’un grave conflit: la non-conformité de boîtes à lettres de l’escalier A, motif de guerre froide entre copropriétaires des escaliers A et B! L’autre voisin en deviendrait même parfois agressif.  En tout cas, l’idée de prendre un apéro avec leurs épouses respectives, est reportée à plus tard.
  La femme du second semble avoir pris en compte les conseils du premier qui lui a fait dire par son mari de s’initier au Talmud et à la Torah.  Elle va très vite se retrouver au bord de la conversion,  veut acheter de la viande casher, respecter le shabbat et finalement  se convertit, suite aux conseils par Internet d’un rabbin new-yorkais ! A bon entendu salut,  elle proclame même : « Un mauvais juif est pire qu’un anti juif » .
Quand les deux voisins discutent tous les deux de repas, le premier a bien du mal à faire comprendre au second très étonné, qu’il préfère le fromage de tête donc fait avec du porc, à la fameuse carpe farcie juive, et qu’il ne se refuse pas un coup à boire, au grand étonnement du second qui croyait que les juifs ne buvaient pas d’alcool !

  Le premier semble même parfois assez exaspéré mais manie luxueusement le sens de la répartie : « Avant, je veux d’abord vaincre le chômage en France, régler les problèmes sociaux et économiques en Europe, tout en liquidant la dette et la pollution. Après, promis, dans la foulée, je m’occupe du Moyen Orient, pas seulement d’Israël et des Palestiniens, mais de la Syrie, du Liban, et après, s’il me reste du peu de temps, je m’attaque à l’Afrique ».
  Comme on s’en aperçoit très vite, Jean-Claude Grumberg n’y va pas avec le dos de la cuiller, quand il s’en prend aux clichés, aux idées reçues, et à la bêtise humaine. Mais on lui pardonne: son dialogue est ici, des plus brillants, et il sait se servir des figures de style traditionnelles: ellipse,hyperbole, lieux communs au second degré, litote… Le tout sur fond d’ironie et humour décapants, bien souvent même plus que dans ses pièces très connues, et même si  souvent, comme pour se faire plaisir, il ne se refuse un mot d’auteur faon boulevard ou une facilité d’écriture.
  Et puis, il y a Pierre Arditi et Daniel Russo, tous les deux très crédibles, impeccables et bien dirigés par Charles Tordjman; l’un qui joue les cyniques hautains, désabusés avec panache, l’autre les bofs obtus mais finalement, moins sot qu’il n’y paraît, et plus ouvert… C’est vraiment une merveille d’interprétation, et pendant une heure, le public déguste et ne se prive pas de rire très souvent. Il y a bien une petite baisse de régime dans le texte vers la fin, mais sinon, ces neuf séquences se laissent déguster de bon cœur.
 Deux réserves: un escalier blanc vraiment laid, mal foutu (il ne monte pas jusqu’au bout et on voit en coulisse Pierre Arditi le redescendre!). Et le prix des places (on est dans le théâtre privé): de 40€ quand même, au parterre à 15€ mais tout en haut… Mais pour Daniel Russo et Pierre Arditi ensemble, et par les temps qui courent, que ne ferait-on pas, si cela vous fait du bien?

Philippe du Vignal

Théâtre Antoine,14 Boulevard de Strasbourg, 75010 Paris.  T: 01 42 08 77 71, jusqu’au 27 mars.
Pour en finir avec la question juive est édité chez Actes Sud qui a  publié la plupart des pièces de Jean-Claude Grumberg.


Archive pour 18 février, 2015

L’être ou pas

L’Etre ou pas de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Charles Tordjman

 

  image002 Jean-Claude Grumberg, auteur de théâtre maintes fois récompensé par des Molière, a aussi été scénariste de télévision et de cinéma, notamment avec Costa-Gavras. Il s’agit ici d’un texte déjà paru sous le titre Pour en finir avec la question juive.
Soit neuf petits dialogues entre deux voisins, jamais nommés, qui se croisent dans la cage d’escalier et se parlent pour la première fois. L’un demande abrupto à l’autre, assez ébahi: « Vous êtes juif,  je l’ai vu sur Internet ». Ce à quoi, le premier lui répond joliment:  » Ah! Bon si c’est sur Internet! ». Bref, cela commence assez mal…
Il est de culture juive mais n’est en rien pratiquant; le judaïsme, c’est la religion de ses parents et grands-parents, mais cela reste un sujet sensible pour lui, même, et il l’avoue avec quelque réticences, s’il ne sait pas grand chose du Talmud et de la Torah.

Le petit bourgeois qui l’a ainsi questionné sur une marche d’escalier n’est pas très ouvert et a des idées bien arrêtées. On ne verra jamais leurs épouses, celle du premier est de Quimper, l’autre de Bordeaux, et d’après ce qu’en dit son mari, elle est assez antisémite, et s’informe uniquement sur des sites pro-Palestiniens.
Mais l’autre voisin trouve normaux les revendications et donc les droits des Israéliens, selon lui « immémoriaux » sur les territoires palestiniens, et il ajoute : « Les rendre, dit-il, o.k.,  mais à qui ? » Mauvaise foi des deux côtés, art de retourner la question, bref, les arguments volent parfois bas!  Les deux hommes parlent aussi sur le même ton d’un grave conflit: la non-conformité de boîtes à lettres de l’escalier A, motif de guerre froide entre copropriétaires des escaliers A et B! L’autre voisin en deviendrait même parfois agressif.  En tout cas, l’idée de prendre un apéro avec leurs épouses respectives, est reportée à plus tard.
  La femme du second semble avoir pris en compte les conseils du premier qui lui a fait dire par son mari de s’initier au Talmud et à la Torah.  Elle va très vite se retrouver au bord de la conversion,  veut acheter de la viande casher, respecter le shabbat et finalement  se convertit, suite aux conseils par Internet d’un rabbin new-yorkais ! A bon entendu salut,  elle proclame même : « Un mauvais juif est pire qu’un anti juif » .
Quand les deux voisins discutent tous les deux de repas, le premier a bien du mal à faire comprendre au second très étonné, qu’il préfère le fromage de tête donc fait avec du porc, à la fameuse carpe farcie juive, et qu’il ne se refuse pas un coup à boire, au grand étonnement du second qui croyait que les juifs ne buvaient pas d’alcool !

  Le premier semble même parfois assez exaspéré mais manie luxueusement le sens de la répartie : « Avant, je veux d’abord vaincre le chômage en France, régler les problèmes sociaux et économiques en Europe, tout en liquidant la dette et la pollution. Après, promis, dans la foulée, je m’occupe du Moyen Orient, pas seulement d’Israël et des Palestiniens, mais de la Syrie, du Liban, et après, s’il me reste du peu de temps, je m’attaque à l’Afrique ».
  Comme on s’en aperçoit très vite, Jean-Claude Grumberg n’y va pas avec le dos de la cuiller, quand il s’en prend aux clichés, aux idées reçues, et à la bêtise humaine. Mais on lui pardonne: son dialogue est ici, des plus brillants, et il sait se servir des figures de style traditionnelles: ellipse,hyperbole, lieux communs au second degré, litote… Le tout sur fond d’ironie et humour décapants, bien souvent même plus que dans ses pièces très connues, et même si  souvent, comme pour se faire plaisir, il ne se refuse un mot d’auteur faon boulevard ou une facilité d’écriture.
  Et puis, il y a Pierre Arditi et Daniel Russo, tous les deux très crédibles, impeccables et bien dirigés par Charles Tordjman; l’un qui joue les cyniques hautains, désabusés avec panache, l’autre les bofs obtus mais finalement, moins sot qu’il n’y paraît, et plus ouvert… C’est vraiment une merveille d’interprétation, et pendant une heure, le public déguste et ne se prive pas de rire très souvent. Il y a bien une petite baisse de régime dans le texte vers la fin, mais sinon, ces neuf séquences se laissent déguster de bon cœur.
 Deux réserves: un escalier blanc vraiment laid, mal foutu (il ne monte pas jusqu’au bout et on voit en coulisse Pierre Arditi le redescendre!). Et le prix des places (on est dans le théâtre privé): de 40€ quand même, au parterre à 15€ mais tout en haut… Mais pour Daniel Russo et Pierre Arditi ensemble, et par les temps qui courent, que ne ferait-on pas, si cela vous fait du bien?

Philippe du Vignal

Théâtre Antoine,14 Boulevard de Strasbourg, 75010 Paris.  T: 01 42 08 77 71, jusqu’au 27 mars.
Pour en finir avec la question juive est édité chez Actes Sud qui a  publié la plupart des pièces de Jean-Claude Grumberg.

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