Con comme la lune
Con comme la lune, d’après Jean L’Anselme
Après les avoir accueillis l’an dernier avec Ex Nihilo (voir Le Théâtre du Blog), l’Atelier du Plateau reçoit de nouveau Corinne Frimas, et l’altiste Guillaume Roy. Avec un texte d’un poète contemporain, Jean L’Anselme, (1899-2011), qui a eu un parcours atypique : sportif de haut niveau, résistant, instituteur et, pendant quarante ans, au Service du livre, au ministère des Affaires Étrangères.
Mais c’est sa rencontre avec Jean Dubuffet qui va orienter son œuvre. L’Art rut le bouscule et marque sa poésie d’une fantaisie et d’un humour inégalables. Jean L’Anselme a une écriture intelligente, à la fois irrévérencieuse et rusée, mais ne franchit jamais le Rubicon de la poésie bête, bien qu’il se reconnaisse « chercheur en art con » ! Son art poétique?«Si vous voulez échapper, disait-il, au convenu, aux convenances, au compassé, aux complaisances, au compliqué, aux conventions, au conformisme, aux contraintes, écrivez « con »!
Les poèmes du spectacle sont surtout issus du recueil Con comme la lune, paru en 2008. Parmi ses nombreux livres: La Danse macabre (1950), Du Vers dépoli au vers cathédrale (1962), L’Anselme à tous vents (1984), Pensées et proverbes de Maxime Dicton …
Corinne Frimas s’invente ici un personnage de conférencière chic et déjantée, un peu comme une baronne de Rothschild devenue foldingue. Guillaume Roy, arrive, lui, tel qu’il est: charisme, belle voix, crâne poli et sourire qui frise. Après un premier morceau d’alto, Corinne Frimas lit quelques aphorismes du poète qui posent le décor : « La poésie, on ne sait pas ce que c’est, mais on la reconnaît quand on la rencontre ». Ou «La poésie, c’est mon cousin Anicet. Sa mère disait toujours de lui en levant les yeux : «C’est un poème», en prenant le ciel à témoin et sa tête entre ses mains».
Les poèmes s’alternent et s’entremêlent, accompagnés, ou séparés par la musique de l’alto qui, parfois propose des sonorités particulières: cordes frappées, tournées, rythmes marqués sur le bois… Corinne Frimas semble incarner les poèmes, comme si elle les lisait pour la première fois, et sait trouver le ton juste et précis. Sans décor ni lumière particulière, dans un angle de l’Atelier du Plateau, où les murs patinés ressemblent à un ciel d’estampe japonaise.
Jamais dans l’exubérance, elle traîne une douce folie qui ne prend jamais le pas sur une bonne diction des poèmes qu’elle nous fait entendre parfaitement. C’est sans doute pour la garantir qu’elle s’abreuve régulièrement au petit flacon d’une grande marque de boisson alcoolisée, à qui elle rend hommage dans un court poème à lire à haute voix ! On rit car on perd nos fils »/ soupire la mère Picon qui trouvait ça très triste/d’entendre parler si con. »
Oui, la poésie contemporaine peut aussi être joyeuse et servir de cadre à un spectacle dont on sort avec le sourire et avec l’irrépressible envie de faire des jeux de mots à tout bout de phrase ! Ces petits plaisirs de la langue française sont rares et précieux, surtout quand une comédienne célèbre un poète trop peu connu et donne envie de se plonger dans son œuvre.
Ce Con comme la lune, d’une heure, a été aussi joué dans des appartements mais devrait trouver sa place dans des programmations, où la poésie reste souvent trop marginale.
Allons, un dernier poème vantant le don d’organes : « Je donne ma main à ma sœur kinésithérapeute,/ je donne mes tripes à Caen, /mon cœur aux restos, /mes reins sûrs aux caniveaux. /Je donne ma tête de lard à l’art, /je donne mon foie aux morues, /mes yeux à Michèle Morgan, /mes dents à Adam /et ma langue au chat d’Ève.
Je donne mon sang impur aux microsillons. /Je donne mon cul à ma chance qui en a besoin. /Je donne mes jambes à mon cou /et mes bras autour du tien. /Je donne mon dernier souffle au bouche-à-bouche,
/e donne mon pied à ma maîtresse, /je donne mon âme. Adieu. /Et ce qui reste aux chiens. /Ou Comment économiser /Un enterrement ».
Julien Barsan
Vu à l’Atelier du Plateau le 17 février; à Cernier (Suisse), les 7 et 8 juillet.