Place du marché 76

 

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Place du marché 76, de  Jan Lauwers et la Needcompany

Un village de carte postale, ou de crèche de Noël : épicerie, boucherie, boulangerie, fontaine au milieu de la place, fanfare. Mais ce jour-là n’est pas une fête, c’est une commémoration. Il y a un an, une bouteille de gaz a explosé. Vingt-quatre morts, dont sept enfants, et une paralysée. C’était juste un accident, une maladresse du boucher. Mais…En ce jour de recueillement et de réconciliation, d’autres drames surviennent : le fils de la boulangère se jette par la fenêtre, sa sœur est séquestrée par le plombier dans les catacombes sous la fontaine tarie (l’affaire Dutroux résonne très fort). Le mensonge, l’inceste, la vengeance obscurcissent le village. Un canot de boat people tombe du ciel, le  bigleux venant rejoindre le camp du balayeur, l’étranger qui, à lui tout seul, ne pouvait nettoyer tout ça.Et la vie reprend son cours, les choses se rabibochent.
C’est bien sûr une image du village européen que veut donner le spectacle : une communauté divisée mais réelle, vaille que vaille, où la vie reste douce quand on le lui permet. La mise en scène et la chorégraphie du spectacle rendent directement compte de ce chaos habitable : il n’y a pas à proprement parler de décor, mais une série de praticables d’où l’on peut s’adresser les uns aux autres, ou au public, de l’estrade de la « fête » à la rampe. Le texte est dit, soit en français, soit en anglais, avec des sous-titres animés en direct ( du bout du pied , nous confie le metteur en scène) par la violoniste.
Les outils de la représentation sont à la fois multiples et simples, comme la musique due à trois compositeurs, mais qui s’harmonise, «par chance», ou les costumes « de couleur » (l’orange fluo du balayeur) gagnant peu à peu les habitants du village. Couleur d’un espoir venu de l’extérieur, de l’étranger ? La troupe chante et danse en un heureux désordre et parfois à contretemps, en une comédie musicale déjantée.

Si le spectacle a quelque chose de décevant, c’est du côté du propos, du moins tel qu’on peut le percevoir : l’Europe sait qu’elle va mal,  mais aussi qu’elle reste quand même une aire de « douceur de vivre ». Bon. Mais Jan Lauwers et sa Needcompany apportent une vivacité, une vitalité qu’on trouve rarement chez nous, et la naïveté (c’est un compliment) d’une communauté, la troupe, partageant avec une autre (le public) ses constats et ses cris d’alarme, toniques.
À force de parler du « vivre ensemble », l’expression était devenue insupportable : Place du marché 76 lui redonne de la force et du sens.

 

Christine Friedel

T2G, jusqu’au 8 mars. 01 41 32 26 26

La pièce avait été créée au festival d’Avignon 2013, au cloître des Carmes

 


Archive pour 5 mars, 2015

La grande Chimère

La Grande Chimère, d’après le roman de Michalis Karagatsis, adaptation de Stratis Paschalis, mise en scène de Dimitri Tarlow

 

  mxath2vlow C’est une gageure que de porter à la scène ce grand roman populaire érotico-mélodramatique, sans tomber dans la sensiblerie et l’anecdote. Dimitri Tarlow, metteur en scène et directeur du Theatre Poreia à Athènes, monte et accueille beaucoup de pièces contemporaines : dernièrement, Blasted de Sarah Kane, et Die Frau von früher de Roland Schimmelpfennig.
Cette fois, il a souhaité rendre hommage à son grand-père, Michalis Karagatsis (1908-1960), l’auteur de La Grande Chimère. Ce faisant, il aborde un sujet plus que jamais d’actualité: la perception que les étrangers ont de la Grèce. Marina, une jeune française férue de culture hellénique, rêve d’un pays idyllique mais  se trouve confrontée à la réalité d’une terre rude, austère et pauvre, déchirée entre modernité et tradition. Fuyant un passé douloureux, elle rencontre dans le port de Rouen, Yiannis, le capitaine de la Chimère, un cargo en escale. Elle, jusqu’alors frigide, en tombe amoureuse et va connaître les émois de la chair, conjugués à une fascination pour la mer et le charme romantique de  la Grèce.
Mariée de fraîche date, elle s’installe dans l’île de Syros, chez une belle-mère qui se transformera vite en une figure sévère et moralisatrice, et sa destinée sera celle d’une femme de marin: Yiannis, toujours en mer, la laisse livrée à elle-même. Malgré la petite fille qu’elle a mis au monde, désœuvrée, elle se plonge en rêvassant dans  Madame Bovary. Son passé mouvementé la rattrape alors : le souvenir de sa mère, prostituée, morte au cours d’une dispute avec elle.  Et des fantasmes érotiques l’obsèdent: elle a une passion coupable pour le frère de son mari, le séduisant et cultivé Minas… Bien entendu, tout finit très mal.
Cette intrigue triangulaire a des accents de drame ibsénien, voire de tragédie antique, grâce à une adaptation sans lourdeur, signée du poète Stratis Paschalis, qui n’a pas hésité à élaguer le texte et à prendre des raccourcis.  Mais, pour ne pas se priver de la dimension romanesque du récit, Dimitri Tarlow fait largement appel au cinéma. Non pas en guise d’illustration mais pour restituer des pans entiers de l’histoire, en les intégrant dans le spectacle. Par exemple, le drame vécu par Marina avec sa mère, projeté en prologue, a été tourné en noir et blanc, et en français par Christos Dimas dans le style du cinéma réaliste de l’immédiate après-guerre.
megaliximairafestt (1280x853)Le
décor d’Eleni Manolopoulou, simple, fonctionnel, est construit sur deux niveaux : un écran, en fond de scène et, avec en bas, les différents lieux, intérieurs ou extérieurs situés sur la terre ferme; en haut, le pont d’un bateau. Les personnages se glissent hors des scènes filmées, pour apparaître sur le plateau, dans un parfait synchronisme. Le reste du temps, on voit la mer, calme ou déchaînée selon les événements, mouvante aux ciels changeants, mais toujours en noir et blanc.
Les acteurs adoptent un jeu distancié, sans surcharge psychologique, évitant ainsi de tomber dans le pathos de ce mélodrame. Alexandra Aidini affuble Marina d’un accent français qui amuse le public, surtout quand elle évoque les clichés de la Grèce vue par les étrangers. Elle devient plus grave, quand elle se rend compte que les héros et les dieux antiques ne sont que pierres et marbres, contrastant avec la réalité du pays et les affres de son attirance pour son beau-frère Minas (Homer Poulaki, qui joue avec l’aisance d’un acteur américain). Dans la scène, violente et érotique  où, au paroxysme du drame, les deux amants s’affrontent, Dimitri Tarlow évite toute vulgarité, grâce à la chorégraphie stylisée de  Zoé Chatziantoniou.
Les obsessions qui hantent Marina sont portées par la musique aux sonorités orientales de Katerina Polemi, dans le style des chants populaires grecs, et des airs français des années cinquante qui accompagnent en sourdine, sur un gramophone nasillard, les séquences d’amour romantique.
mxpvlowLe spectacle comporte quelques passages en français mais la mise en scène est assez claire pour que les non-hellénophones l’apprécient. Joué à guichets fermés depuis novembre, il remporte un succès mérité, en ce qu’il remet au goût du jour, dans une adaptation fine et intelligente, un livre qui pourrait paraître aujourd’hui désuet. Il permet au public étranger de connaître cette œuvre célèbre en Grèce, qui, publiée en 1953, n’est traduite à ce jour qu’en allemand.
Parmi les quelque trente théâtres que compte Athènes, la petite salle du Poreia où la compagnie de Dimitri Tarlow a élu domicile en 2000, est un théâtre privé qui se distingue par un répertoire éclectique, qui va de l’adaptation de classiques à la création de pièces d’auteurs grecs contemporains: Dimitris Dimitriadis,  Giannis Mavritsakis…  et étrangers. Sa devise : «Notre objectif est de trouver un langage théâtral vivant qui exprime le monde d’aujourd’hui. L’ennui est notre ennemi. Nous voulons que nos artistes conjuguent leurs talents pour offrir à nos publics des expériences émouvantes .»
Avec La Grande Chimère, le but est atteint.

Mireille Davidovici

 Théâtre Poreia,  3-5 Trikorfon Street Athènes ; T. +33 210 82 11 09 91 jusqu’au  juin ; puis sur l’île de  Syros. info@poreiatheatre.com

 

Egg de Hideki Noda

Egg, texte et mise en scène d’Hideki Noda, surtitré en français

  IMG_8922Comme le souligne Didier Deschamps, directeur du Théâtre National de Chaillot dans le programme japonais de Egg: «De multiples fils, références et tonalités tissent la trame de cette histoire complexe qui évoque et dépeint une société nippone moderne issue des années 1960, illustrée par l’accueil à Tokyo des Jeux Olympiques».
Ce spectacle nous parle aussi du Japon dans la seconde guerre mondiale, de son histoire et de ses fractures, mais ce qui peut paraître lisible (encore que!)  pour un Japonais, l’est moins pour un spectateur européen. Le metteur en scène nous fait voyager en une heure quarante cinq, à la fois dans le temps et dans l’espace, et utilise intelligemment  tous les artifices de la scène, y compris le théâtre dans le théâtre.
Egg débute en effet par la visite de Chaillot en travaux (clin d’œil drôle et des plus exacts, puisqu’on refait actuellement la salle Gémier et ses accès!) d’un groupe de lycéennes en jupette bleu foncé et chemisier blanc, typiquement japonais, guidée par Hideki Noda, lui-même travesti en surveillante de collège.
Le groupe découvre le manuscrit de Egg, soit-disant écrit par Shuji Terayama (1935-1983) et la pièce commence ! Metteur en scène connu au Japon, Hideki Noda s’est entouré d’un groupe de comédiens très réputés du cinéma et de la télévision, avec en tout, trente artistes!
Plusieurs histoires se chevauchent, et suivre leur récit, malgré un bon surtitrage n’est pas évident, il est donc  recommandé de lire le synopsis et les repères historiques du programme avant la représentation. Une chanteuse vedette est amoureuse d’un champion sportif, lui-même, une gloire de ce sport qui consiste à se renvoyer un ballon extrêmement fragile comme un œuf.
Egg a plusieurs sens, ce sport imaginaire devait permettre à l’équipe nationale japonaise de concourir aux Jeux olympiques de  1940, (annulés pour cause de guerre) puis, en 1964, mais il évoque aussi un jeu ayant débuté dans les années 1930 entre les élèves de la faculté de médecine de l’université impériale, qui se déroulait entre les séances de recherche sur les vaccins.
Il y a beaucoup d’aller-retour dans le temps, comme l’auteur/metteur en scène le dit «J’ai pris le parti de raconter l’histoire contemporaine de mon pays à travers celle d’un sport que j’ai imaginé pour l’occasion : Egg s’articule de telle sorte qu’à chaque fois que les Jeux Olympiques sont enfin à portée de cette équipe, un saut dans le passé se produit». Pêle-mêle  sont évoquées  ici les expérimentations médicales réalisées par le Japon,  et l’annexion qu’il fit, en 1932, de la Mandchourie, qui provoqua son entrée dans la seconde guerre mondiale, après son éviction de la Société des Nations.
La forme théâtrale est flamboyante, on y chante, on  y danse avec une belle énergie, malgré une évocation historique terrifiante. Hideki Noda a voulu aussi dénoncer ce qui lui parait encore aujourd’hui comme des instruments de manipulation de la population, comme la musique de variété populaire et le sport. C’est à un voyage dans une autre culture et une autre histoire que nous sommes conviés, et nous ressortons un peu enivrés par ces presque deux heures de spectacle remarquablement réalisé et joué, mais trop long, comme en décalage horaire!

Jean Couturier

On confirme: le spectacle d’Hideki Noda, de grande qualité mais inégal,  est un peu de la même veine que ceux du célèbre Suji Terayama qui l’a visiblement très  influencé. Chroniqueur sportif (tiens, tiens! le sport, un des thèmes de Egg) à ses débuts poète, écrivain, dramaturge,  photographe, scénariste et réalisateur d’une vingtaine de films. Son Tenjosajiki (le poulailler, le paradis d’un théâtre) était venu à Paris en 1970, présenter Marie-Vison, un spectacle à la violence revendiquée,influencé à la fois par Bertold Brecht et surtout par Antonin Artaud, proche à la fois du théâtre mais aussi du music-hall dans une scénographie éclatée, entre tradition japonaise et réalité contemporaine. Ce qui a l’époque ne se faisait guère. Le spectacle, joué par de acteurs appartenant à des minorités du pays (handicapés physiques, homosexuels) devait être assez fort,  puisque quarante cinq ans après, nous en avons encore des souvenirs assez précis. Il était aussi venu à Chaillot,avec Instructions aux domestiques d’après Jonathan Swift, invité par Antoine Vitez en 1982, avant d’être emporté par une cirrhose deux ans plus tard.
  Ce qui frappe dans Egg, c’est la maîtrise absolue du plateau (jeu, danse, chant, musique) et la remarquable direction de ses trente acteurs. Lui-même, comme le dit Jean Couturier, incarne une surveillante de collège avec un métier remarquable,  rejoignant le personnage du célèbre onnagata dans le kabuki qu’admirait tellement la grande Pina Bausch.
Quelle discipline de jeu sur le plateau, quelle qualité dans la gestuelle ! Pas un temps mort, pas une erreur dans les déplacements, c’est de la grande virtuosité, et il y a souvent des images d’une belle facture, même si elles sont parfois un peu conventionnelles et déjà vues, comme ces corps plaqués derrière une toile plastique. De ce côté-là, c’est indéniable,  Hideki Noda sait faire, et très bien faire.
Mais reste un scénario qui part un peu dans tous les sens et qui manque singulièrement d’unité, et des dialogues souvent faiblards, comme ceux qui se passent dans les vestiaires sportifs: tout cela nuit à l’ensemble du spectacle et en ralentit le rythme. Et on a souvent l’impression, comme nos amis japonais nous l’ont dit aussi, qu’Egg qui semble correspondre aussi à une sorte d’exorcisation d’une mémoire collective sans doute parfois gênante, aurait vraiment beaucoup gagné à être plus clair dans ses évocations historiques, et moins long…
Mais bon, comme on n’a pas l’occasion de voir tous les jours une réalisation japonaise, si vous en avez l’occasion, cela vaut le coup d’y aller, et vite, car la troupe ne reste  que quelques jours à Chaillot.

Philippe du Vignal

Théâtre National de Chaillot, du 3 au 8 mars.

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