Egg, texte et mise en scène d’Hideki Noda, surtitré en français
Comme le souligne Didier Deschamps, directeur du Théâtre National de Chaillot dans le programme japonais de Egg: «De multiples fils, références et tonalités tissent la trame de cette histoire complexe qui évoque et dépeint une société nippone moderne issue des années 1960, illustrée par l’accueil à Tokyo des Jeux Olympiques».
Ce spectacle nous parle aussi du Japon dans la seconde guerre mondiale, de son histoire et de ses fractures, mais ce qui peut paraître lisible (encore que!) pour un Japonais, l’est moins pour un spectateur européen. Le metteur en scène nous fait voyager en une heure quarante cinq, à la fois dans le temps et dans l’espace, et utilise intelligemment tous les artifices de la scène, y compris le théâtre dans le théâtre.
Egg débute en effet par la visite de Chaillot en travaux (clin d’œil drôle et des plus exacts, puisqu’on refait actuellement la salle Gémier et ses accès!) d’un groupe de lycéennes en jupette bleu foncé et chemisier blanc, typiquement japonais, guidée par Hideki Noda, lui-même travesti en surveillante de collège.
Le groupe découvre le manuscrit de Egg, soit-disant écrit par Shuji Terayama (1935-1983) et la pièce commence ! Metteur en scène connu au Japon, Hideki Noda s’est entouré d’un groupe de comédiens très réputés du cinéma et de la télévision, avec en tout, trente artistes!
Plusieurs histoires se chevauchent, et suivre leur récit, malgré un bon surtitrage n’est pas évident, il est donc recommandé de lire le synopsis et les repères historiques du programme avant la représentation. Une chanteuse vedette est amoureuse d’un champion sportif, lui-même, une gloire de ce sport qui consiste à se renvoyer un ballon extrêmement fragile comme un œuf.
Egg a plusieurs sens, ce sport imaginaire devait permettre à l’équipe nationale japonaise de concourir aux Jeux olympiques de 1940, (annulés pour cause de guerre) puis, en 1964, mais il évoque aussi un jeu ayant débuté dans les années 1930 entre les élèves de la faculté de médecine de l’université impériale, qui se déroulait entre les séances de recherche sur les vaccins.
Il y a beaucoup d’aller-retour dans le temps, comme l’auteur/metteur en scène le dit «J’ai pris le parti de raconter l’histoire contemporaine de mon pays à travers celle d’un sport que j’ai imaginé pour l’occasion : Egg s’articule de telle sorte qu’à chaque fois que les Jeux Olympiques sont enfin à portée de cette équipe, un saut dans le passé se produit». Pêle-mêle sont évoquées ici les expérimentations médicales réalisées par le Japon, et l’annexion qu’il fit, en 1932, de la Mandchourie, qui provoqua son entrée dans la seconde guerre mondiale, après son éviction de la Société des Nations.
La forme théâtrale est flamboyante, on y chante, on y danse avec une belle énergie, malgré une évocation historique terrifiante. Hideki Noda a voulu aussi dénoncer ce qui lui parait encore aujourd’hui comme des instruments de manipulation de la population, comme la musique de variété populaire et le sport. C’est à un voyage dans une autre culture et une autre histoire que nous sommes conviés, et nous ressortons un peu enivrés par ces presque deux heures de spectacle remarquablement réalisé et joué, mais trop long, comme en décalage horaire!
Jean Couturier
On confirme: le spectacle d’Hideki Noda, de grande qualité mais inégal, est un peu de la même veine que ceux du célèbre Suji Terayama qui l’a visiblement très influencé. Chroniqueur sportif (tiens, tiens! le sport, un des thèmes de Egg) à ses débuts poète, écrivain, dramaturge, photographe, scénariste et réalisateur d’une vingtaine de films. Son Tenjosajiki (le poulailler, le paradis d’un théâtre) était venu à Paris en 1970, présenter Marie-Vison, un spectacle à la violence revendiquée,influencé à la fois par Bertold Brecht et surtout par Antonin Artaud, proche à la fois du théâtre mais aussi du music-hall dans une scénographie éclatée, entre tradition japonaise et réalité contemporaine. Ce qui a l’époque ne se faisait guère. Le spectacle, joué par de acteurs appartenant à des minorités du pays (handicapés physiques, homosexuels) devait être assez fort, puisque quarante cinq ans après, nous en avons encore des souvenirs assez précis. Il était aussi venu à Chaillot,avec Instructions aux domestiques d’après Jonathan Swift, invité par Antoine Vitez en 1982, avant d’être emporté par une cirrhose deux ans plus tard.
Ce qui frappe dans Egg, c’est la maîtrise absolue du plateau (jeu, danse, chant, musique) et la remarquable direction de ses trente acteurs. Lui-même, comme le dit Jean Couturier, incarne une surveillante de collège avec un métier remarquable, rejoignant le personnage du célèbre onnagata dans le kabuki qu’admirait tellement la grande Pina Bausch.
Quelle discipline de jeu sur le plateau, quelle qualité dans la gestuelle ! Pas un temps mort, pas une erreur dans les déplacements, c’est de la grande virtuosité, et il y a souvent des images d’une belle facture, même si elles sont parfois un peu conventionnelles et déjà vues, comme ces corps plaqués derrière une toile plastique. De ce côté-là, c’est indéniable, Hideki Noda sait faire, et très bien faire.
Mais reste un scénario qui part un peu dans tous les sens et qui manque singulièrement d’unité, et des dialogues souvent faiblards, comme ceux qui se passent dans les vestiaires sportifs: tout cela nuit à l’ensemble du spectacle et en ralentit le rythme. Et on a souvent l’impression, comme nos amis japonais nous l’ont dit aussi, qu’Egg qui semble correspondre aussi à une sorte d’exorcisation d’une mémoire collective sans doute parfois gênante, aurait vraiment beaucoup gagné à être plus clair dans ses évocations historiques, et moins long…
Mais bon, comme on n’a pas l’occasion de voir tous les jours une réalisation japonaise, si vous en avez l’occasion, cela vaut le coup d’y aller, et vite, car la troupe ne reste que quelques jours à Chaillot.
Philippe du Vignal
Théâtre National de Chaillot, du 3 au 8 mars.