Al-Zîr Hamlet
Al-Zîr Hamlet, d’après Hamlet de William Shakespeare et Al-Zîr Salem d’Alfred Farrag, texte et mise en scène de Ramzi Choukair
La pièce d’Alfred Farrag, a d’abord été écrite en arabe puis traduite en français, puis adapté par Ramzi Choukair qui invente ici un langage théâtral; il transforme le sîra (à l’origine un conte de tradition semi-orale) en texte dramatique, en empruntant à Shakespeare des tirades d’Hamlet.
Le texte final résulte d’un montage, à la fois récit et dialogue entre des héros a priori étrangers l’un à l’autre. L’auteur en assure aussi la mise en scène d’un spectacle où il s’agit de rendre crédible et vivant un œuvre par-delà les cultures et les siècles.
De Damas à Paris, le texte a changé de langue, mais sa substance et l’essentiel de la mise en scène ont été conservées. Quelques passages en arabe rappellent l’origine du mythe d’Al-Zîr, avec, ici, la force poétique d’un verbe inspiré, sans aucunement nuire à l’intelligence du drame qui confronte deux époques, et deux destins unis par la vengeance. La même question hante ces héros qui se font face, Hamlet et Al-Zîr Salem, à travers leurs cultures différentes. Hamlet doit venger son père, et Al-Zïr, son frère, mais à quoi tout ce sang versé peut-il bien servir?
Comme dans Hamlet, par-delà l’intrigue, ce drame est ici fondé sur une réflexion métaphysique du héros hanté par le doute, quant à la légitimité de la vengeance, et quant au sens profond de cette vengeance au regard de l’humaine condition. Quel est le prix du sang? Au nom de quoi, l’homme peut-il s’arroger le droit d’ôter la vie ?
L’actualité de la question n’échappe à personne et Ramzi Choukair fait ici œuvre de passeur de culture, en nous montrant des héros, aux cultures éloignées dans le temps et l’espace, et pourtant si proches. Frères humains, Hamlet et Al-Zîr transcendent la singularité historique dans un questionnement essentiel à l’homme.
Le metteur en scène a aussi imaginé l’espace scénique, avec un non-lieu intemporel: deux plateaux inclinés disposés face à face. Un femme assure la transition entre ces univers. Orianne Moretti, par son chant et sa danse, tisse les liens entre les intrigues, tour à tour Ophélie et Jalîla, Su’ad et Gertrude.
La réussite de cet ambitieux projet tient à la dramaturgie et au jeu des acteurs. Mais avec quelques faiblesses: le dialogue sent parfois l’artifice, et vire alors parfois au montage textuel laborieux, chacun devenant tour à tour le spectateur du drame proposé par l’autre,
Pantomime, marionnettes et chant lyrique assurent des transitions problématiques. Avec un résultat inégal, car il faut toute la magie théâtrale pour assurer ce difficile équilibre, vu l’extrême dépouillement de la scène.
William Mesguich a heureusement une force lyrique et une intériorité souvent émouvante mais Fida Mohissen, au jeu moins travaillé, peine à convaincre; sa diction en français laisse à désirer: alors qu’il devrait nous faire entendre les articulations franches d’un texte tragique… Mais, quand il déclame en arabe, le spectateur est alors enlevé par la musique et la poésie…
Michèle Bigot
Théâtre de Belleville, jusqu’au 10 avril, du mercredi au samedi à 19h 15, le mardi à 21h 15, et le dimanche à 15 h, relâche les 10, 14, 24, 25 et 31 mars.