Seuil
Seuil, d’Alain Enjary, mise en scène Arlette Bonnard
Que se passe-t-il dans l’instant où l’on va –ou non- franchir le seuil ? C’est le cœur qui en prend un coup. Le désir, l‘attente, la peur, tout cela circule à toute allure dans le sang, dans les nerfs. L’imagination se déploie à la vitesse du rêve : vais-je frapper ? Et si elle n’était pas là ? Pourvu qu’elle ne soit pas là… L’imagination rembobine le film, modifie le scénario, qui revient pourtant toujours au même point : sur le seuil, et à l’instant de frapper, ou non.
Seuil met aux prises, sans jamais qu’ils se touchent (ou presque, et alors, cela prend des proportions immenses), un homme qui revient et une femme qui a cessé d’attendre, quoique… Lui ne plaide pas sa cause, il s’explique avec lui-même, il suit les circonvolutions de sa peur, de son désir. Il laisse les mots faire des étincelles, entre le revenant et le revenez-y , l’éternel retour et le « plus jamais », il en jouit. Elle, c’est la sidération. Le cœur fait cela, aussi : tout mettre en mouvement, et tout arrêter.
L’écriture d’Alain Enjary est à la fois très philosophique et très concrète : l’attente, le retour, c’est le lieu de tous les possibles, c’est aussi une histoire de train à prendre ou à ne pas prendre, de choix entre frapper ou sonner à la porte. Le « presque rien », façon Jankélévitch, est scruté avec abondance, dans tous ses replis, et manifestement avec gourmandise.
Alain Enjary est aussi un excellent diseur. On peut être plus réservé sur la place faite au théâtre proprement dit. Le jeu des variations ici reste bloqué. Le personnage de la femme prend la figure traditionnelle de l’attente et de l’enracinement, dans le « chez soi », le quartier, dans le temps qui passe.
Arlette Bonnard, grande et belle silhouette de danseuse, oppose une résistance quasi muette à l’intrus. Une petite irruption sonore du « dehors », quelques événements minuscules autour du seuil, et la succession sans fin des premières fois : il s’en faut de peu que l’on ne sorte tout à fait content du spectacle. Mais on est bien obligé de reconnaître qu’il y a là du trop qui finit par faire tomber l’attention.
Les amoureux de la langue et du dire, et ceux qui se souviennent de leurs ruptures et de leurs retours, y trouveront quand même leur compte.
Christine Friedel
Théâtre de l’Échangeur, jusqu’au 13 mars -01 43 62 71 20