Toujours la Tempête
Toujours la Tempête, de Peter Handke, texte français d’Olivier Le Lay, mise en scène d’Alain Françon.
L’écrivain autrichien a choisi de vivre souvent près de Paris, et son œuvre nous est devenue des plus familières depuis Le Pupille veut être le tuteur, et La Chevauchée sur le lac de Constance, Les gens déraisonnables ont en voie de disparition (1978), avec Gérard Depardieu, ou Par les Villages, pièces créées en France par Claude Régy, cette dernière mise en scène au dernier festival d’Avignon par Stanislas Nordey (voir Le Théâtre du Blog). Peter Handke est aussi l’auteur de plusieurs romans et recueils de poèmes.
Toujours la Tempête, (Storm still), dont le titre vient d’une didascalie de La Tempête de Shakespeare, a été publiée en 2010, a connu un grand succès à Hambourg et à Berlin, et a reçu le prestigieux prix Mullien du meilleur auteur dramatique, a été désignée « pièce de l’année » par la revue Theaterheute, et Peter Handke a été lauréat du prix Ibsen 2014…
Pièce ? Récit ? En tout cas proche du Malheur indifférent et du Renoncement, deux de ses très beaux livres. Théâtre/Récit plutôt, avec Moi (Laurent Stocker) et un chœur de personnages qui monologuent, plus qu’ils ne dialoguent, sauf quand ils chantent. Sur le plateau, un seul décor pour ces cinq chapitres :le cadre de scène d’un vieux music-hall aux mur sales, et descendant en pente douce vers le public, un paysage, mal défini «Une lande, une steppe, une lande-steppe, ou n’importe où. Maintenant, au Moyen âge, ou n’importe quand».
Avec juste un tabouret, et deux bancs de pierre escamotables dans ce sol ocre et gris. Un paysage qui est aussi un personnage sinon réel, du moins bien vivant, celui de sa Carinthie natale, celui de son «moi», avec sa mère assise sur un banc , sa mère qui s’est suicidée, et qui parlait un slovène très pur, dit-il. Ce n’est pas l’histoire d’une famille, on n’est pas du tout chez Roger Martin du Gard.
Peter Handke le slovène a voulu évoquer une épopée, celle la résistance de son peuple. « Quand les nazis sont arrivés en Autriche, et que le pays a intégré la grande Allemagne, la langue et la culture de la communauté slovène installée en Carinthie autrichienne ont été menacées. Tout devait devenir allemand ». Ce long récit est aussi une sorte d’exorcisme personnel, puisque, (double peine!) ses deux oncles maternels, enrôlés dans l’armée allemande, ont été tués sur le front russe. Et le père de Peter Handke était allemand…
On comprend donc toute la passion qui l’anime quand il parle de cette Carinthie, des plaines et montagnes de ce paradis perdu, avec ses pommiers, aux pommes blanches précoces et aux rouges plus tardives, de la douceur de la vie quotidienne avec l’espace, le vent, la neige et la lumière de ses campagnes, son gigot d’agneau et son boudin blanc…
Récit transposé sur une scène? « C’est pourtant une pièce de théâtre pur, absolument pur, dit Peter Handke. Seulement, quand je l’ai écrite, j’étais gêné de placer des didascalies.. Didaskalos en grec signifie : qui prescrit les choses. Plutôt que d’utiliser cette convention professorale, j’ai choisi de raconter mon imagination, de décrire mon état mental quand les personnages sont arrivés dans le passé ».
Et cette série de monologues raconte la joie mais aussi la tristesse , les êtres et le paysages qui les ont façonnés, dans un aller et retour permanent entre passé et présent ; loin de tout réalisme bien sûr, le conteur peut dialoguer avec ses ancêtres, être plus âgé que son père, parler avec ses deux oncles Valentin et Benjamin, engagés de force dans la Werhmatch et morts très loin sur le front russe: « Mais sans la guerre, je n’aurai pas la moindre ligne écrite d’eux ».
Peter Handke, à partir de son histoire personnelle, celle d’un «bâtard », comme il dit, a tenu à écrire cet hymne à la Carinthie, et c’est d’une poésie souvent des plus intenses, avec un sens de l’épique rare dans le théâtre contemporain . « C’est la poésie qui réveille les esprits et rien d’autre, dit l’auteur issu de cette région autrichienne, donc toute proche de la Slovénie, petite république européenne très attachante aux sublimes paysages, mais mal connue et qui fait pourtant partie de la zone euro.
A Maribor, deuxième ville de la Slovénie toute proche, on ressent cette même paix, cette même douceur, avec une admirable treille de vigne datant de plusieurs siècle sur le mur d’une vieille maison. La Carinthie est aussi la patrie de Robert Musil, de Peter Turini mais aussi de Thomas Bernhard..
Et pour porter la parole de cette minorité ethnique, Peter Handke convoque les personnages d’une même famille (on pense parfois aux pièces de Tadeusz Kantor, dont la famille proche a vécu, une guerre avant déjà contre les Allemands, les mêmes horreurs. Circonstance aggravante ici : « Ce sont les Anglais qui ont brûlé nos vergers pour en faire des parkings ! »
Il y a ici le narrateur : moi (Laurent Stocker), presque tout le temps en scène, Pierre-Félix Gravière, (Benjamin), Gilles Privat, (l’oncle Gregor) Dominique Reymond (la mère), Nada Strancar, (la grand-mère) Dominique Valadié (la tante Ursula) toutes trois exemplaires), et Wladimir Yordanoff, (le grand-père) Stanislas Stanic (Valentin). C’est une troupe d’acteurs de premier ordre; ils ont une parfaite unité de jeu et sont dirigés avec efficacité, et de main de maître comme d’habitude, par Alain Françon. Vraiment de la belle ouvrage.
Oui, mais… Car il y a un mais : la première partie très statique de cet exorcisme personnel, jouée dans une quasi-pénombre, très monologuante, où les autres personnages font souvent de la figuration intelligente, dispense un ennui persistant, et on finit assez vite par décrocher. Même si on est sensible à la formidable qualité du langage poétique de Peter Handke.
Après l’entracte, les choses vont mieux, il y a comme une certaine aération dans le texte, et Gilles Privat est tout à fait remarquable, mais Peter Handke avait-il besoin d’autant de temps pour nous dire cette épopée sur une scène? Pas si sûr…«Le théâtre, dit-il, est pour moi une contradiction : une mathématique remplie d’âme ». Il admire beaucoup Goethe, Virgile et Hölderlin, mais il semble qu’ici, le poétique, avec cette osmose si particulière chez lui entre intime et universel, et quelle que soit encore une fois l’indéniable beauté de ce texte, ne fasse pas vraiment bon ménage avec le dramatique.
Donc, à vous de voir , mais armez vous de patience, cette beauté se paye : cela dure trois heures vingt, même si on a le plaisir de découvrir non pas une grande pièce mais un grand texte, interprété par d’excellents acteurs. « Ce qui compte pour moi, écrivait Peter Handke, c’est de faire quelque chose qui, d’une manière ou d’une autre, dérange le regard et l’ouïe des gens.Qu’il n’y ait pas quelqu’un qui entre en scène. Donc que tout ne se déroule pas comme on le sait déjà ».
De ce côté-là, on reste un peu?- beaucoup? c’est selon! -sur sa faim…
Philippe du Vignal
Ateliers Berthier Paris 17 ème, juqu’au 2 avril.
Comédie de Saint-Etienne du 8 au 10 avril; Maison de la Culture d’Amiens du 15 au 18 avril ; Théâtre national de Nice du 22 au 26 avril ; Comédie de Clermont-Ferrand du 5 au 22 mai et à la MC 2 de Grenoble du 22 au 26 septembre.
Toujours la tempête est publié aux éditions Le Bruit du temps.