Mesure de nos jours

Mesure de nos jours, de Charlotte Delbo, mise en scène Claude-Alice Peyrotte

 

Mesure de nos jours ensemble@Stéphanie PetitjeanClaude-Alice Peyrotte a été l’une des premières à donner sa place à Charlotte Delbo parmi les grands témoins de la shoah, à côté de Robert Antelme et de Primo Levi. Sa compagnie avait organisé un monument vivant à sa mémoire et à celle du Convoi du 23 janvier 1943, donnant à lire, simultanément dans toute la France, des lettres de déportées à des duos de comédiennes, une jeune, une plus âgée, reflétant la terrible diversité de ses propres camarades de déportation.
La plupart étaient des militantes, résistantes, communistes ; quelques-unes étaient des «droit commun», et d’autres des « erreurs judiciaires », entraînées dans la brutalité et l’horreur de la collaboration avec l’occupant nazi. La manifestation a donné lieu au livre de Sylviane Gresh : Les Veilleuses (éditions Le Bruit des autres, 1997). Il était important de ne pas effacer la mémoire de la mémoire.
Pour ces mortes et ces survivantes, Charlotte Delbo a commencé à écrire dès son retour, sur son lit de convalescente, Aucun de nous ne reviendra (éditions Gonthier, 1965) mais ne l’a publié que vingt ans plus tard, au moment où elle écrivait sa première pièce, Qui rapportera ces paroles ? (éditions P.J.Oswald, 1974). Comme Primo Levi, comme d’autres témoins, elle écrit sans illusions, mais avec toute la force de sa conviction. Il ne faut pas que ce crime contre l’humanité soit effacé, oublié. Et pour cela, elle fait appel à la mémoire de chacune, elle retrouve ses camarades survivantes, elle leur écrit, leur demande leur témoignage, elles se revoient régulièrement et peuvent enfin parler de l’indicible.
Ce sont ces femmes-là que nous écoutons. La Mesure de nos jours est celle d’un temps dénaturé par la déportation. L’une après l’autre, tout à tour, les cinq comédiennes viennent se placer dans la lumière, en une sorte de jeu entre elles, et raconter, s’adressant à Claude-Alice Peyrotte qui jouera elle-même le rôle de l’auteur. Chacune des femmes évoquées rend compte à sa façon de l’impossible : la vie, l’apparence de la vie, après avoir partagé autant avec les mortes qu’avec les vivantes. Il leur arrive de rire. Chacune se souvient de son retour, et de ses oublis, pires encore que le souvenir. Ce ne sont pourtant que des femmes ordinaires, qui passeraient inaperçues sans ce voyage entre deux rives : comme les héros de l’Antiquité, dont la marque est de revenir vivants des enfers, elles auront vu « « deux fois les sombres bords ».

Les comédiennes sont parfaites : Sophie Amaury, Sophie Caritté, Marie-Hélène Garnier, Maryse Ravrea et Maud Rayer. La mise en scène l’est moins : d’inutiles et timides effets d’éclairage, des objets trop insignifiants, l’image banale de l’auteur écrivant…
Il est dommage qu’elle ne réponde pas par une audace qui pouvait s’imposer dans la plus grande simplicité au courage de Charlotte Delbo, d’écrire, de témoigner de l’indicible. Celle qui fut la secrétaire et l’assistante de Louis Jouvet, et qui permit à ses camarades de tenir en leur récitant intégralement le Malade Imaginaire, croyait en la force du théâtre. Elle est ici dans la voix des comédiennes, et nous permet d’entendre son testament de vie : « je vous en supplie, faites quelque chose… Apprenez à marcher et à rire, parce que ce serait trop bête que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie ».

Un spectacle à écouter, donc, et un auteur à lire.

Christine Friedel

 

Théâtre de l’épée de bois, à la cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 22 mars, 01 48 08 39 74 et

Les textes de Charlotte Delbo ont été réédité (éditions de Minuit) à l’occasion du centenaire de sa naissance en 2013

 

 


Un commentaire

  1. fize-roussel dit :

    Je n’ai découvert Charlotte Delbo qu’à l’occasion du centenaire de sa naissance et je n’imagine pas vivre sans relire le tryptique d’Auschwitz.un texte d’une poésie incandescente qui touche au plus profond de nous mêmes et nous donne une leçon de vie à nous médiocres mortels–

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