En filigrane

En Filigrane, spectacle de musique classique et danse hip-hop avec  Ophélie Gaillard et Ibrahim Sissoko, mise en scène de Charles Gonzalès

 

 Visuel 4 © Ben Dumas Rendez-vous pour le moins inattendu  et rencontre décoiffante, au sens propre et  figuré : le danseur facétieux  libère le chignon noué de la musicienne en jetant au vent la chevelure féminine bien rangée.
Violoncelliste prestigieuse, Ophélie Gaillard est agréablement prise entre les bras souples d’Ibrahim Sissoko, danseur colosse, spécialiste de danses urbaines, qui, en 2010, dansait déjà comme soliste pour la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin,  dans Call it…Kissed by the sun… better still the revenge of geography…, au Théâtre de la Ville.
Ophélie Gaillard, que met ici en scène avec un bel esprit ludique Charles Gonzalès, se déplace en portant haut son violoncelle sacré d’une main levée avec panache, avec son archet dans l’autre : une image non convenue de musicienne classique, une figure libre et moderne qui arpente l’espace du plateau.
Sa silhouette agile dessine derrière un écran lumineux et coloré – un vrai théâtre d’ombres – un personnage échevelé de bande dessinée, à la longue et élégante robe de fête. Sur l’écran encore, quelques photos  de  Maurice Baquet, violoncelliste, alpiniste et comédien de théâtre et cinéma, debout sous la pluie, avec  son violoncelle,  en bas des escaliers de Montmartre.
On garde bien sûr, en mémoire, la phrase de Pascal Quignard sur le son délicat de la viole de gambe, qui correspond pour l’étendue sonore à celle du violoncelle : « Elle n’avait pour ainsi dire pas de son, mais d’une tristesse qui ne s’exprime pas, une voix douce avec une sorte de voile sublime, d’éloignement sublime… »
Le violoncelle d’Ophélie Gaillard pleure, geint et se plaint dans une absolue beauté, peignant à merveille les incertitudes de l’âme, mais l’instrument gronde encore, monte et surgit, comme une lame de fond brisée sur le rivage qui viendrait du plus profond des abîmes.
Son instrument a ici affaire non pas avec d’autres cordes, mais avec un corps-instrument à l’agilité athlétique et esthétique du danseur de hip-hop Ibrahim Sissoko, dont le corps majestueux  tisse naturellement des liens avec l’espace. Maître du jeu, il étire ses bras et ses jambes, tournoyant, debout, assis ou allongé; le public  contemple, ravi.
Sous influence réciproque, le danseur attire, enlace la musicienne, la prend dans ses bras, la soulève et  la fait tourner. Assis derrière elle, il  écoute aussi, sérieux et amusé, les Suites 1 et 4 pour violoncelle seul, jouées en direct ou enregistrées, de Jean-Sébastien Bach, la Sonate de Gaspar Cassado, Le Chant des oiseaux, un anonyme catalan, Gramata Cellam, The Book de Peteris Vasks et des Improvisations sur le thème de Carmen d’Ophélie Gaillard elle-même.
L’aventure commune de ces interprètes, audace devenue évidence, donne aussi à entendre deux ballades africaines dans un décloisonnement humoristique et poétique des conventions. L’un et l’autre partent en quête de leurs racines artistiques occidentales et africaines, le danseur suscitant des sons inouïs du violoncelle et l’instrumentiste/danseuse sculptant le corps du danseur avec son archet.
Une belle fête stylistique, musicale et chorégraphique.

Véronique Hotte

 Théâtre du Ranelagh, jusqu’au 10 avril à 21h. T : 01 42 88 64 44


Archive pour 13 mars, 2015

Risk de John Retallack

Risk  de John Retallack, conception d’Eva Vallejo et Bruno Soulier, mise en scène d’Eva Vallejo

 

riskLa pièce de cet auteur  londonien plonge le spectateur dans le monde de l’adolescence, propose dans l’urgence, une succession de petites scènes rugueuses, des éclairages individuels acérés qui alternent régulièrement avec des instants d’expression collective pleins de rage. On assiste d’emblée et sans préparation, au lancer explosif et tendu de bombes percutantes, chez de jeunes gens  fragilisés et déjà précocement abîmés par la vie, avant qu’ils ne prennent leur envol. Vociférations, expression de haine, plaintes, colères, cris et chuchotements.
 L’œuvre chorale – une chorégraphie visuelle et sonore – est mise en scène par Eva Vallejo, avec la musique de théâtre oratorio de Bruno Soulier, qui s’attache à transmettre l’écho des bruits, sons, éclats et cris d’un monde urbain que chacun reconnaît, et l’attirail médiatique (télé, radio, I-Pod, ordinateur) qui caractérise notre temps. Des hurlements criards qui ignorent la paix… Mention spéciale à  Philippe Catalano pour les lumières qui soulignent le tournis d’une ambiance troublante et lourde.
Nulle morale, nul message à capter, si ce n’est le sentiment d’abandon de ces adolescents que les autres, c’est-à-dire les grands, – famille, école, société – se doivent de combattre s’ils veulent assurer la survie et le salut des générations à venir.

 Constat amer, quand  la souffrance d’exister incombe à une garçon ou à une fillette. Le propos sur la transmission est plutôt rebattu : sauvons l’avenir avant qu’il ne soit trop tard… Incompréhension des adultes – les parents – face à l’enfant qui leur échappe, misère sociale et désœuvrement, sur fond d’alcool, drogues et culte de la fête vaine à tout prix. Pour oublier ce qu’on est, ou qui on est.
  Avec, ici, un catalogue de situations-limites, un inventaire de toutes les horreurs que la jeunesse peut s’inventer pour pouvoir, croit-elle, exister. Telle jeune fille timide est confrontée à une camarade de classe agressive qui la bat et à laquelle elle résiste : la violence s’empare alors de l’ancienne victime qui se fait bourreau à son tour.
Tel  garçon vit dans l’agression de ses semblables, petits vols, tours et détours… Tel autre encore, peu sûr de lui, préfère s’enfermer dans sa chambre par peur de l’extérieur, et  s’invente un univers clos où pouvoir vivre mais  qui l’étouffe, ses objets familiers lui tenant lieu d’amis qui n’existent pas.
 L’engagement énergique de chacun des interprètes  donne  ainsi la preuve à la fois tangible de leur être-là au monde. Saluons sans réserve le jeu physique et verbal d’Henri Botte, Lyly Chartiez, Marie-Aurore d’Awans, Gérald Izing et Gwenaël Przydatek.  Beaux petits diables,  brigands malgré eux, et avides d’en découdre  sur un plateau…

 Véronique Hotte

 Théâtre Paris-Villette, Scène contemporaine jeunesse, du 13 au 21 mars. T : 01 40 03 74 20

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