Les Guêpes
Les Guêpes de l’été nous piquent encore en novembre d’Ivan Viripaev, traduction de Tania Moguilevskaia, et Gilles Morel, mise en scène du Collectif Ildi! Eldi
Sous ce titre énigmatique, cette pièce est un objet dramatique tout aussi incertain, à l’image des autres d’Ivan Viripaev. Cet auteur russe, découvert en France en 2005 avec Oxygène, puis avec Danse « Delhi » en 2010, mis en scène par Galin Stoev, nous a habitué, depuis, à sa manière déroutante, biaisée et confinant à l’absurde, à aborder des thématiques aussi essentielles qu’existentielles. Ici, il choisit la structure du vaudeville, en la dévoyant de quiproquo en quiproquo, pour dévoiler progressivement l’impossibilité d’un dénouement.
Un couple, Sara et Robert, et leur meilleur ami Donald, débattent d’une question sans jamais la résoudre : où était Markus, le frère de Robert, lundi ? Chez Robert, en compagnie de Sara, comme elle l’affirme, ou chez Donald, comme le soutient mordicus ce dernier? Et chacun de faire parler, au téléphone, ses témoins évidemment contradictoires.
Qui ment ? Et pourquoi? De digression en digression, la vérité joue à cache-cache : au fur et à mesure que les protagonistes passent à l’aveu, ils soulèvent de nouvelles questions et s’enfoncent ainsi dans les eaux troubles d’une quête de sens. La métaphore du petit bateau, jouet d’enfant emporté par la rivière, résume bien l’image de la perte irrémédiable de « ce que nous avons de plus précieux », éprouvée par Robert (Antoine Oppenheim). » Ceux qui t’aiment, finissent par cesser de t’aimer », constate-t-il quand il apprend l’infidélité de l’impétueuse et sentimentale Sara (Sophie Cattani).
Et l’histoire d’un troupeau de rennes sauvages, regardant une prairie paradisiaque sur l’autre rive d’un fleuve infranchissable, figure le mal à vivre de l’impatient Donald (Michaël Pas), lui que tout fatigue : le chant des oiseaux, la pluie qui tombe depuis trois jours, comme sa propre personne. De quoi noyer le poisson car nous ne saurons jamais chez qui était Markus ce fameux lundi, d’où sans doute le sens du titre.
Les acteurs signent collectivement la mise en scène de cette pièce qui est avant tout un brillant exercice de style et ils en situent l’action dans le vestiaire d’une salle de bal où se déroule un championnat de danse, retransmis par un petit écran-témoin ; nous parvient aussi un vague écho des bossa-nova, be-bop et autres sambas qui rythment le lointain concours et le spectacle. Une bonne idée qui permet d’échapper à un théâtre de genre conventionnel, en ouvrant l’espace vers un hors-champ.
« Nous mettons en scène de l’intérieur, nous montons les textes en les jouant », disent-ils. Les acteurs se sont glissés dans la peau de leurs personnages, en endossant les accoutrements de ces danseurs du dimanche. Avec une interprétation décontractée, le trio prend un malin plaisir à brouiller les pistes. « C’est un matériau de jeu passionnant, disent-ils et dans notre façon de travailler, tout part du jeu. »
Ainsi les gags qu’ils inventent ne sont pas là pour meubler la conversation, mais sont une partie des gestes du quotidien qui sous-tendent les situations. Ce qui permet de créer un espace de jeu dans le jeu, répondant à la nature distanciée de l’œuvre., Ce n’est peut-être pas la meilleure pièce d’Ivan Viripaev, mais elle est ici montée et interprétée au plus juste, et permet de retrouver un auteur qui, à la tête du Théâtre Praktika de Moscou, travaille aussi beaucoup en Pologne. On peut par ailleurs le lire avec plaisir…
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point,Paris. T. 01 44 95 98 21 , jusqu’au 18 avril , et Théâtre du Merlan, Marseille, les 12 et 13 mai.
Le texte de la pièce, ainsi que d’autres ouvrages d’Ivan Viripaev, est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.