Nouvelles Zébrures à Limoges

Nouvelles Zébrures, rencontres littéraires, organisées par les Francophonies en Limousin

 

programme-nouvelles-zebrures-1576294Largement couverte par les médias, la Semaine de la Langue française et de la Francophonie est, en Limousin, l’occasion de donner, en lecture publique, des œuvres dramatiques fraîchement écrites, issues des quatre coins du globe. A Limoges et dans quelques villes alentour mais aussi à Roubaix, Bruxelles et Paris. Ce qui permet aux auteurs de rencontrer d’autres publics, venus nombreux, dans des bibliothèques, théâtres, établissements scolaires…
Nouvelles Zébrures sont un peu les coulisses des Francophonies, en ce qu’elles résonnent avec les créations passées et futures qui y sont présentées. Elles concrétisent un travail de fond sur les textes (via un comité de lecture), avec les artistes, là où se fabrique la programmation du festival. Ces lectures sont, soit comme des sortes de bandes-annonces de futurs spectacles, comme Kamyon/Camion de Mickael de Cock, soit les échos de résidences, comme Pays de Pedro Kadivar (écrit à la Maison des auteurs de Limoges et qui obtint le prix SACD de la dramaturgie de langue française en 2014). Elles dénotent la volonté de placer ces dramaturgies au cœur du théâtre, où, aujourd’hui, elles se trouvent souvent marginalisées.

Défaut de fabrication de Jérôme Richer, lecture dirigée par Jacques Descorde, avec la compagnie de l’Oiseau-Mouche.

“Il était une fois, un homme et une femme qui vivaient dans un appartement HLM, à l’intérieur d’une tour. Ils étaient mariés depuis de nombreuses années. Un jour, l’homme rentra du travail plus tôt que prévu. Pour seule explication, il dit qu’il se sentait fatigué. L’homme et la femme finirent par se disputer. Cette dispute n’était ni plus grave, ni moins grave que les précédentes. Mais quelque chose avait changé.” Le drame qui couvait éclate soudain. Avec une écriture non linéaire, aux dialogues laconiques et,  aux monologues introspectifs extrêmement fouillés, la pièce confère à ses personnages une profondeur existentielle,  hors d’un quotidien misérabiliste.
De Jérôme Richer, on avait déjà pu entendre la lecture de Tout ira bien, l’an passé aux Francophonies; créée depuis à Genève, Défaut de fabrication avait été reprise en  lecture/mise en espace à Roubaix (voir Le Théâtre du Blog). L’auteur suisse poursuit ici son exploration des milieux défavorisés en donnant la parole à ceux qui ne l’ont pas.
La compagnie de Roubaix, L’Oiseau-Mouche rassemble des comédiens en situation de handicap mental ou psychique; Florence Decourcelle et Hervé Lemeunier, choisis par le metteur en scène parmi les vingt-trois permanents de la troupe, entrent de plain-pied dans la peau des deux personnages: L’Homme et La Femme. On aurait pu craindre un effet de redondance, mais leur gestuelle, qui peut paraître maladroite, est en fait très précise, ciselant le texte et lui donnant corps.*
Pour Stéphane Frimat, son  directeur, L’Oiseau-Mouche n’entend pas: “ jouer sur la différence, sur le handicap” mais vise à l’insertion professionnelle des comédiens: « On leur donne un métier, un statut social et ils deviennent comédiens à part entière, à disposition des metteurs en scène invités, même si certains d’entre eux ont besoin de l’accompagnement d’éducateurs spécialisés.
La troupe fait des tournées, en France et à l’étranger, dans les meilleurs circuits professionnels; à son répertoire,  trente-neuf spectacles, avec des textes d’auteurs classiques mais aussi  contemporains comme Valère Novarina. Au  Théâtre de l’Union à Limoges, puis au Lycée Martin Nadaud à Bellac,  les spectateurs, après ceux de Roubaix, ne sont pas trompés à la grande qualité de cette lecture…

* Le texte paraîtra en janvier 2016, aux Editions Espace 34

 

Kamyon/Camion de Mickael de Cock

   Du haut de son mètre quatre-vingt-cinq, l’auteur qui parle le français chantant des Belges  flamands déroule, devant les enfants installés dans une bibliothèque, le récit d’une petite fille, en route dans un camion, cachée avec sa mère derrière un vieux cheval. Elle a quitté son pays, ruiné par la guerre; “avec, comme elle dit, deux petits sacs, dix millions d’idées et tous mes espoirs dans la paume de mes mains”, elle fait semblant d’effectuer un voyage dans l’espace…
Le metteur en scène, directeur du théâtre Arsenaal à Malines (Belgique), travaille depuis dix ans autour du thème de la migration. Il a signé aussi de nombreux albums jeunesse. Dans les bibliothèques de Vigenal, Bourganeuf, Panazol,  et à l’école primaire de La Jonchère-Saint-Maurice, il a pu expérimenter son texte en cours d’écriture. Interrompant ça et là le récit de la fillette, il s’adresse aux enfants spectateurs, avec des questions sur le voyage, l’émigration; il leur demande s’ils ont déjà déménagé, changé de pays, et ce qu’ils emporteraient avec eux s’il étaient dans la situation de l’héroïne.
Il espère collationner les objets cités pour accompagner le voyage, cette fois réel, de Kamyon/Camion. En effet, il mettra en scène ce monologue dans un semi-remorque. Après Istanbul, en juin, le spectacle  joué par une actrice turque, sillonnera l’Europe, comme la fillette, pour gagner la Slovénie où il sera joué.. en slovène, puis la Belgique…en néerlandais  et, en septembre prochain, il rejoindra les Francophonies  pour des représentations en français. Le camion, dans plusieurs lieux de Limoges et des environs, y accueillera les enfants.

 Pays de Padro Kadivar, lecture dirigée par l’auteur

Nouvelles Zébrures se “décentralisent” jusqu’à Roubaix et Bruxelles mais aussi à Paris, dans les ors de l’Odéon à la rencontre de Pays. “C’est l’histoire d’une mère et d’un fils. Elle ne se raconte pas. Elle s’incarne et se désincarne” annonce le prologue. “ (…) Je vois à l’horizon très loin un pays fantôme qui est celui de ma mère/ Ma tête est pleine d’images/ L’Orient des Européens/ Lieu d’une révolution/ Magma incompréhensible de contradictions insolubles/ Un lieu aussi concret que ton corps/ J’aurais pu sortir de ton ventre là-bas »
Ainsi s’adresse le fils (Gurshad Shaheman) à sa mère (Behi Djanati-Ataï) qu’il est venu voir à la campagne pour la questionner sur ses origines: Qui est son père? Comment était le pays qu’elle a quitté? Venue de Téhéran, elle l’a mis au monde en France, pays qu’elle a dû conquérir en en apprenant la langue. Vingt-cinq ans après, le fils cherche en elle les traces de cette France. À partir de sa visite, la pièce opère un va-et-vient spatio-temporel : on retrouve la mère dans les geôles de Téhéran, face à son interrogateur, et à Paris, à son arrivée avec son professeur de français.
Oratorio à plusieurs voix où alternent dialogues et monologues, le texte, d’une écriture dense et rythmée, faite de reprises et variations, croise les niveaux de langue. Ce qui demande aux acteurs une grande habileté et un jeu modulé, pour trouver le ton juste. La lecture, dirigée par l’auteur/metteur en scène, amorce des pistes de travail, apportées notamment par l’interprétation nuancée de Marianne Basler, en énigmatique professeur de français.  Iranien, Pedro Kadivar vit maintenant à Berlin, après des études de théâtre en France. Auteur d’une Tétralogie de la migration et de Pays, il a aussi écrit Le Petit livre des migrations, qui sera prochainement publié chez Gallimard.

 Mireille Davidovici

Les Nouvelles Zébrures se sont poursuivies le 23 mars, à Brive-la-Gaillarde, avec Coma bleu de Sylvie Dyclo-Pomos (Congo); elles auront ensuite lieu les 26 et 27 mars à Limoges avec  Comme je descendais des fleuves impassibles de Dany Boudreault (Canada-Québec); les 3 et 4 avril, à l’INSAS de Bruxelles avec Des mondes meilleurs de Paul Pourveur (Belgique), Les Paratonnerres de Marc-Antoine Cyr et Les Jours gris de Christian Lapointe (Canada-Québec),  et Pas grand chose que rien de Joël Maillard (Suisse).

 Les Francophonies en Limousin. T: 05 55 10 90 10 ; www.lesfrancophonies.fr

 

 

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