Conservatoire national
Conservatoire national supérieur d’art dramatique: Atelier-Théâtre Danse troisième année dirigé par Caroline Marcadé:
Vers le lac, j’entends des pas, librement inspiré de La Mouette d’Anton Tchekhov
Dès son arrivée à la direction du Conservatoire, Claire Lasne-Darcueil avait marqué son intention de favoriser la danse et l’expression gestuelle dans l’enseignement. (Voir son interview dans Le Théâtre du Blog) Et elle avait dix fois raison, surtout quand on compare l’enseignement officiel du théâtre en France, à celui donné en Russie ou en Allemagne!
La maladresse, et le mauvais maintien corporel de nombre d’élèves dans les déplacements individuels et collectifs étaient trop flagrants dans les travaux encore récemment présentés en cours ou en fin d’année. Sans doute la vieille maison n’a-t-elle pas vocation à former des danseurs mais il y a des limites, et il est de plus en plus évident qu’il doit exister, dans le spectacle contemporain, une empathie entre la gestuelle d’un ou plusieurs comédiens et la perception qu’en a personnellement le public.
Que ce soit dans la vitesse, dans l’aléatoire façon Merce Cunningham, ou même dans la plus extrême lenteur, le spectacle de théâtre, en quelques années, aura beaucoup été influencé par la danse contemporaine, à partir aussi de principes énoncés autrefois par des théoriciens comme Rudolf Laban: importance du poids du corps, savoir-sentir les vibrations du monde contemporain, gestion de la verticalité, dynamique du mouvement, et cela parfois loin de tout expressionnisme.
Bref, on ne peut plus absolument plus faire l’économie d’une autre vision du geste, même et surtout quand le geste prend le relais de la parole, et quand on sait que la mémoire psychologique est aussi inscrite dans la mémoire de tout notre corps. Le danger étant bien sûr de faire du sous-Cunningham, et surtout du sous-Pina Bausch, courant où ont voulu s’engouffrer quelques chorégraphes françaises, heureusement sans grand succès, parfois en adaptant avec la plus grande maladresse des pièces de Bertolt Brecht.
Caroline Marcadé, professeur de danse au Conservatoire national, a imaginé, et c’est plus mali, une chorégraphie librement inspirée de La Mouette d’Anton Tchekhov. “ Un fil rouge, une trace, une larme, un état, un horizon, un travail” dit-elle, pour ce travail réalisé avec huit filles et quatre garçons, élèves de troisième année, donc déjà bien aguerris sur une scène, et une élève de second cycle. Ils bougent bien, (les filles mieux que les garçons mais c’est presque une norme! certaines on fait déjà de la danse dans une existence antérieure, cela se voit) mais ils ont tous un plaisir visible à travailler ensemble, ce qui donne une réelle unité à ce travail.
Aucun décor, sinon en fond de scène, quelques praticables et de très belles et légères bannières verticales flottant au vent, où sont projetées des dessins géométriques non figuratifs. De temps à autre, on perçoit quelques répliques de la célèbre pièce, mais bizarrement détachées de leur contexte, ces phrases n’offrent plus le moindre sens, donc leur introduction n’ était pas ici indispensable.
La création musicale de Lucas Lelièvre comprend des morceaux de nombreux compositeurs mais de grande qualité dont Dizzy Gillepsie, Phil Glass, Arvo Part mais aussi Schubert mais Caroline Marcadé a réussi là un beau travail (qui ne revendique pas le titre de spectacle), dénué de prétention mais exemplaire de rigueur et de sensibilité où on perçoit à la fois l’éclatement du champ visuel cher à Walter Benjamin, et, en même temps l’impeccable expression de corps jeunes et pleins enthousiastes, que ce soit en groupe ou en solo, et d’où émane une joie évidente de s’exprimer gestuellement, avec des ensembles filles, ou garçons, ou mixtes, et avec aussi quelques solos moins convaincants. Cette bande de jeunes gens fait preuve d’une rare maturité dans l’expression de ce corps-medium qu’ils ont visiblement appris à bien maîtriser. Bravo!
Difficile de repérer des individualités sans commettre erreurs et/ou injustices, mais en tout cas, Morgane Fourcault, Alyzée Soudet, et Simon Bourgade ont une présence telle que l’on se dit qu’ils ne sont pas n’importe qui.
Et cet atelier semble aussi être une bonne piste de réflexion artistique, s’ils veulent continuer ensemble dans cette direction. Il semble que cela aille dans les chemins ouverts par Claire Lasne-Darcueil. Petit bémol: si un vrai graphiste pouvait se charger de la réalisation de la feuille programme en grande partie illisible (note d’intention de Caroline Marcadé en noir sur fond bleu! et noms des acteurs difficilement lisibles pour les mêmes raisons,) cela ne serait pas un luxe!
Philippe du Vignal
Atelier présenté les 19, 20 et 21 mars au Théâtre du Conservatoire national, rue du Conservatoire, Paris.