La Collection Lise B.
La Collection Lise B.
La collection Lise B. a été programmée pour la Biennale de danse du Val-de-Marne, à la Briqueterie de Vitry-sur-Seine, et au Théâtre Paul Eluard de Bezons. C’est un triptyque imaginé par Fabrice Dugied, chorégraphe et fils de Lise Brunel, critique de danse disparue en 2011, et par Claude Sorin, chorégraphe, théoricienne et enseignante d’histoire de la danse, et Ninon Steinhauser, qui prépare actuellement un doctorat sur plusieurs critiques dont Lise Brunel, Laurence Louppe…
Avec d’abord une belle et riche exposition, à voir avant le spectacle, et un journal/catalogue regroupant texte, et articles, photos, etc… Malheureusement bien mal mis en page, aux colonnes trop serrées et parfois aux impressions en blanc sur fond rouge, ou en gris sur fond blanc… Dommage! « «Notre projet, dit Fabrice Dugied, c’est d’éditer le catalogue de l’exposition qui accompagne l’installation performative élaborée à partir des archives de ma mère: des centaines d’articles, manuscrits, affiches de spectacles, des dossiers de création, milliers de photographies, enregistrements d’entretiens avec les artistes, programmes de lieux et de festivals, carnets de notes, tee-shirts promotionnels, etc.
A l’accueil du théâtre, un intelligente sculpture Shiva, dont les cinq mains tiennent des petits sacs à main ou de voyage, comportant chacun une tablette où sont inscrites des extraits de textes de Lise Brunel. Bien vu …Puis on est invité à circuler dans le studio du théâtre, où sont installés de nombreux panneaux avec documents visuels, textuels et sonores photos, vidéos, articles sur la danse contemporaine depuis quelques soixante ans de 1956 à 2010, tirés du fond personnel tout à fait impressionnant de Lise Brunel qui, on le sait peu, avait aussi collectionné des milliers d’articles, programmes, notes personnelles, photos, voire T. shirts au nom des compagnies…
Qui était Lise Brunel? Dès 1958, elle écrit des articles consacrés à la danse pour la revue Danse & Rythmes, puis notamment pour le quotidien Le Matin de Paris (1977-1987), et, entre autres, à Politis et aux Saisons de la danse jusqu’au milieu des années 90. Dans les années 70, elle tient la rubrique Danse au mensuel Chroniques de l’art vivant, où nous l’avions bien connue ; François Chevalier, puis Jean Clair avaient réussi à constituer une équipe solide, pleinement engagée dans l’art contemporain de l’époque avec Catherine Millet, Dominique Noguez, ma pomme, mais aussi Daniel Caux, Alain Clerval, Laurence Louppe qui, à l’époque écrivait sur la littérature et pas encore sur la danse, Lise Brunel, et Philippe Lehembre, l’indispensable documentaliste devenu ensuite comédien (chez Joël Pommerat et Bob Wilson)… Ces cinq derniers tous récemment disparus …
Lise Brunel, pas du tout argentée comme nous tous, réussissait quand même à écrire régulièrement, pour défendre le travail d’inconnus ou presque à l’époque, qui lui tenait à cœur, comme Alwin Nikolaïs, Karin Waehner, Merce Cunnignham et John Cage, Susan Buirge, Daniel Larrieu, Odile Duboc, Trisha Brown, Dominique Bagouet, Steve Paxton, Maguy Marin, et bien entendu, l’immense Pina Bausch. Mais aussi Bob Wilson, avec le célébrissime solo de Lucinda Childs dans Einstein on the beach (1976), et Meredith Monk, dont des extraits de sa musique ont été utilisés pour La Collection Lise B.
« Je me suis beaucoup intéressée, disait-elle, à la danse américaine, car pour moi, c’était la danse, ce n’était pas parce qu’elle était la danse américaine». A une époque (c’était avant Jack Lang), où le Ministère de la Culture, n’était pas bien courageux pour soutenir la danse contemporaine qui s’accomplissait davantage en banlieue parisienne que dans les grands théâtres de la capitale.
Tous ces mouvement de danse appartenaient, bien entendu, à différents courants d’avant-garde dans leur esthétique mais tous avaient quelques dénominateurs communs : un espace recréé par chaque interprète, une narration quand il y en avait une, mais non linéaire, des danseurs vivant au rythme de leur corps, une tendance vers l’abstraction où, comme dans la peinture non figurative, il n’y a plus à comprendre que le plaisir du mouvement et à des rythmes imposés souvent par leur seule énergie.
C’est tout cela que donne à voir cette riche exposition, très émouvante et pleines de photos de figures tutélaires comme celles de Martha Graham, Merce Cunnignham, Pina Bausch, etc.. et d’articles qui ont souvent été décisifs dans la carrière de jeunes chorégraphes et qui auront souvent été décisifs dans un parcours de chorégraphe; on entend d’ailleurs Lise Brunel dire très lucidement dans le spectacle : «Un article peut aider à propulser des créateurs encore peu connus, et c’est, je le dis sans fausse modestie, à nous aussi qui le doivent. »
Le troisième volet de ce triptyque est un court spectacle, dénué de toute prétention mais impeccablement conçu avec Ninon Steinhauser et Claude Sorin; chorégraphié par Fabrice Dugied, il évoque avec quelques danseurs, le parcours de sa mère et celui de la danse contemporaine à laquelle elle avait voué sa vie. Et on ressent bien à travers cette évocation, sa complicité avec les artistes qu’elle a défendus.
Rien ici de lourd ou de pédagogique : les cinq interprètes dansent sur des musiques de Meredith Monk, à la fois compositrice et chanteuse récemment revenue à la Fondation Cartier pour un concert (voir Le Théâtre du Blog) mais aussi chorégraphe, dont une chanson inédite qu’elle a offerte à Fabrice Dugied, en hommage à celle qui fut son amie. Ce qui donne une belle unité au spectacle.
Côté cour, Ninon Steinhauser et Claude Sorin, assises à une table, disent des extraits de textes de Lise Brunel. On entend aussi des morceaux d’interviews comme entre autres, celui de John Cage. Au centre du plateau, une dispositif esthétiquement très réussi de trente-deux colonnes à deux faces soit au total 448 photos, suspendues en carré par de minces chaînes, que l’équipe a patiemment choisies et montées : avec, à chaque fois, une thématique précise : mains, tissus, portraits, nudités…) il y a là des photos de spectacles de tous les gens qui ont compté en danse contemporaine depuis cinquante ans, (et cela fait du monde !) et qu’une caméra retransmet en gros plan sur écran.
A la fin, Fabrice Dugied invite simplement les spectateurs à venir voir de plus près cette série de photos. Spectateurs dont la plupart, très jeunes, n’étaient pas nés, quand eut lieu cette période mythique de la danse en France et qui ont applaudi chaleureusement le travail exemplaire des trois complices.
Bref, une opération de grande classe mais seulement présentée à Vitry puis à Bezons, et qui sera reprise une seule fois encore à Creil. Le Centre Georges Pompidou, l’Opéra de Paris, le Festival d’Avignon, ou une autre grande institution ne peut-il reprendre au moins cette exposition ? La France est quand même un curieux pays, nous disent souvent nos amis étrangers…
L’histoire de la danse contemporaine mérite quand même bien cela…
Philippe du Vignal
Triptyque vu au Théâtre Paul Eluard de Bezons. et Aux Quinconces/Le Mans
Spectacle : mardi 22 septembre Exposition du 18 au 25 septembre. Vernissage: vendredi 18 septembre.