Little Joe
Little Joe : New York 68 / Hollywood 72 , écrit et mis en scène par Pierre Maillet
Pierre Maillet présente un diptyque autour de Paul Morrissey (77 ans depuis un mois) et de ses trois films qui ont marqué l’histoire du cinéma underground au début des années 70 et qui ont révélé une pure star américaine, Joe Dallesandro ( 67 ans).
Avant de se faire connaître en Europe dans Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg, puis chez Catherine Breillat, il avait été découvert par Andy Warhol qui avait fait jouer cet éphèbe qui plaisait aux femmes comme aux hommes. Il fut aussi et surtout la star des films de Paul Morrissey, Flesh en 1968, puis de Trash en 1970 et deux ans plus tard de Heat.
Ce spectacle en diptyque reprend ces deux premiers films dans une première partie: New York 68; puis Hollywood 72 évoque uniquement Heat . On peut voir l’un ou l’autre ou l’intégrale des deux.
Dans New York 68, deux histoires se mêlent donc et les deux Joe sont interprétés par Mathieu Cruciani et Denis Lejeune. On est assez vite au parfum! La première scène montre un Joe nu comme un ver sur un canapé, tellement drogué qu’il ne peut plus avoir d’érection, même après le strip-tease déluré de l’amie de son frère, l’autre Joe, donnant lieu à une très belle scène où Geri Miller ( Christel Zubillaga) s’effeuille énergiquement dans une belle niche, juste voilée par un tulle qui sert aussi d’écran de projection.
Nous sommes donc plongés dans l’univers des marginaux américains, un peu drogués, un peu gigolos, vivant au milieu d’objets récupérés, cherchant à arnaquer l’aide sociale. Joe se retrouve à poser pour Andy Warhol, en discobole et en prenant un cours d’histoire de l’art, le second sombre dans la drogue et ne quitte plus le lit.
Dans la deuxième partie, c’est le Joe déjà vedette qui s’installe dans un hôtel américain, repaire de vieilles stars, et déclenchant là aussi l’admiration d’une bonne partie des occupant(e)s. Il va vivre une belle histoire avec une comédienne sur le retour qui a été sa partenaire quelques années auparavant alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Il rendra terriblement jalouse sa colocataire à l’hôtel, grâce à qui la rencontre a eu lieu.
Théâtre un peu déjanté, un peu trash avec beaucoup de nudité, des personnages un peu outrés, plutôt drôle dans son ensemble mais qui ne mène pas à grand chose. Il suffit de se souvenir ou de visionner quelques unes des scènes les plus marquantes des films pour se rendre compte du travail fait, les comédiens ressemblent trait pour trait, jusque dans leurs outrages, aux personnages qui jouent des scènes entières avec un sens étonnant du détail et des dialogues fidèlement traduits. Avec un mimétisme total avec à plusieurs reprises: arrêts marqués des comédiens correspondant à l’image projetée, parfois heurtée, craquements de la pellicule,.
Dans la première partie, la distribution est assez homogène: Pierre Maillet incarne Holly Woodlawn, la compagne de Joe dans Trash, qui était jouée par un acteur transgenre dans le film.Il rend très bien l’énergie et l’hystérie de cette femme qui meublait son studio uniquement avec des objets récupérés dans la rue. Le jeu dans la seconde partie est plus inégal, déjà parce qu’il y a une star sur le plateau: Clément Sibony, qu’on a pu voir au cinéma mais aussi dans plusieurs mises en scène de Marcial Di Fonzo Bo, seul à incarner son Joe !
Mais il n’est pas dans le même type de jeu (moins en profondeur que ses camarades), et il minaude parfois, Il a aussi quelques instants de rock star, où il interprète des chansons qui cassent un peu le rythme et n’apportent pas grand chose.
Cette deuxième partie, plus ramassée, est peut-être plus efficace aussi: elle ne présente pas deux personnages et deux intrigues en simultané. Elle est aussi plus drôle. La scénographie est une vraie réussite, avec un premier plan à l’avant scène, un second un peu surélevé qui peut se fermer par un rideau pour laisser s’opérer un changement de décor, pendant que se joue une scène au premier niveau. Enfin il y a aussi une sorte de niche plus en hauteur, tour à tour podium de danse, appartement ou ingénieuse piscine. Cet imposant dispositif offre fonctionne très bien et permet d’enchaîner rapidement les deux parties.
Le spectacle de Pierre Maillet est donc une reconstitution à la fois très fidèle et s’ouvrant à la fantaisie des acteurs, mais il faut bien connaître les films de Paul Morrissey pour s’en rendre compte. Mais sinon, reste quand même un bon moment de théâtre et ces deux pièces originales sont bien dirigées et bien réalisées.
Julien Barsan
Au 104 jusqu’au 29 mars, T : 01 53 35 50 00 www.104.fr