Et il n’en resta aucun
Et il n’en resta aucun , d’après Dix petits nègres d’Agatha Christie, mise en scène de Robert Sandoz
Agatha Christie (1890-1976) est l’une des romancières les plus célèbres du XXème siècle. Elle a publié 66 romans, 154 nouvelles et et 20 pièces, traduits dans le monde entier! Et c’est par dizaines que l’on compte les adaptations pour le cinéma et la télévision, de ses romans et nouvelles comme entre autres, Le Crime de l’Orient Express; Le Meurtre de Roger Ackroyd… et Dix petits nègres, très célèbre roman policier, édité à plus de 100 millions d’exemplaires… qui a aussi fait l’objet de plusieurs adaptations au théâtre, comme au cinéma, dont une de René Clair.
Huit étranges personnages sont invités sur l’île du Nègre par Algernon Norman O’Nyme (A.N O’NYME), et Alvina Nancy O’Nyme qui ne sont pas là pour accueillir leurs hôtes… Il y a seulement Thomas et Ethel Rogers, leurs deux domestiques récemment engagés, et le vieux juge Wargrave, Vera Claythorne, une institutrice, Philip Lombard, Miss Emily Brent, Armstrong, un docteur réputé venu soigner Mme O’Nyme , Anthony Marston, Mr. Blore, le général Macarthur. Ils ont dans le passé commis un meurtre resté impuni, et seront mystérieusement assassinés l’un après l’autre. Mais comme il n’y a personne d’autre dans cette île très isolée du continent, le criminel ne peut être que l’un d’eux…
Chacun, en attendant, va tenter de résoudre l’énigme, mais tous, à un titre ou à un autre, peuvent être coupables… Et on entend une voix qui les accuse en effet de meurtre. Très vite, le grand et beau Anthony Marson meurt après avoir avalé un peu de whisky: empoisonné au cyanure, ou suicidé, on ne saura jamais. Ethel Rogers, elle, ne s’est jamais réveillée mais il y avait beaucoup de somnifère dans son thé! Son mari aurait-il fait le coup, mais pourquoi? Le docteur Armstrong aurait-il lui, prescrit une dose trop forte, mais dans quel but?
Puis ce sera au tour du général Macarthur, puis de Rogers trouvé mort alors qu’il coupait du bois et ensuite de Miss Brent qui aurait été piquée au cyanure; le vieux juge Wargrave, lui, est mort d’un coup de revolver, alors que, justement, l’arme personnelle de Lombard qui ne s’en sépare jamais, a disparu! Armstrong quitte la maison, sans laisser de traces, et on retrouvera son corps dans la mer.
Blore lui, meurt près de la maison! Restent donc seulement Vera et Philip Lombard qui a essayé de la séduire, et ils se suspectent mutuellement de cette série de meurtres. Vera tuera Philip d’un coup de revolver à bout portant. Et elle se suicide par pendaison, car elle pense que c’est la volonté d’Hugo, son ancien amant.
En fait, dans le roman, c’est une bouteille à la mer qui révèle l’identité du coupable: le juge! qui confesse avoir simulé sa mort, avec la complicité du docteur Armstrong et qui, à la fin, s’est suicidé, en se tirant une balle dans la tête.
Bel enjeu, pour un metteur en scène: faire vivre au théâtre un tel roman policier- construction intellectuelle échappant à toute réalité crédible, qui prend pourtant soigneusement appui sur des faits évidents. La difficulté étant ici de concilier dans cet art de brouiller les pistes, le temps de la lecture, donc du récit, et celui de la représentation donc d’une certaine action, ce qui ne va pas de soi.
Dans le célèbre polar concocté avec le plus grand soin par Agatha Christie, il y a des enquêteurs mais ici, sur la scène, non. Le résumé des crimes est d’abord annoncé projeté sur écran et ensuite certaines interventions des personnages se passent en vidéo, ce qui parasite encore plus les choses…
Ce n’est sans doute pas la meilleure manière de faire progresser la trame de ce récit que la chère Agatha Christie a compliqué à merveille; l’élucidation de ces crimes en série se fait dans un milieu clos, pour le plus grand plaisir du lecteur. Mais ici, le spectateur subit une intrigue qui va plan plan, et qui, du coup n’a vraiment rien de très passionnant… « Au théâtre, dit lucidement Robert Sandoz, le drame, la tension, et l’humour viennent souvent du fait que le spectateur sait quelque chose que le personnage ignore. dans l’intrigue policière, c’est l’inverse ».
Les personnages sont sans doute trop nombreux, pour que le public arrive à les connaître et à s’intéresser vraiment à leur histoire. Borges disait déjà, en 1933: «La téméraire infraction à cette loi est responsable de la confusion et de l’ennui fastidieux de tous les films policiers.» Bien vu! Et même chose pour la scène.
Le théâtre a besoin de véritables personnages impliqués dans des scénarios qui progressent assez vite, ce qui n’est pas obligatoirement le cas dans un polar. D’où une contradiction dans cette version pour la scène où on a du mal à entrer dans l’histoire. Sauf à de rares moments, par exemple, quand Vera tue Philip.
Et la scénographie est des plus ratées: laide, triste comme s’il était besoin d’en rajouter,dans les tons marron, avec de châssis coulissants de vitres sales, sèche comme un coup de trique; cela tient d’une sorte de cafeteria dans le genre misérabiliste, comme on en voit dans les garages, où les personnages, assis sur des chaises en plastique noir, boivent du whisky dans des gobelets en plastique, issu d’un distributeur de boissons ! Ils n’arrêtent pas de monter les quatre marches qui séparent le plateau en deux, ce qui ne facilite donc guère la circulation des acteurs, et gomme aussi toute crédibilité à cette maison sur l’île, où sont réunis par le plus grand des hasards, croit-on, des personnages qui n’auraient jamais du se trouver là ensemble.
La distribution est, disons-le poliment, assez inégale; Anne Bellec est bien Emily Brent, Michel Cassagne, le Juge Wargrave et Joan Monpart, le docteur Armstrong, mais les autres personnages sont beaucoup plus flous. A la décharge des acteurs, les dialogues ici n’offrent pas beaucoup de grain à moudre. Et un peu plus de deux heures, c’est bien long, quand le metteur en scène a du mal à maîtriser les choses. Les applaudissements ont donc été mous. Bref, un spectacle trop long et un peu ennuyeux; transposer sur un plateau, un texte de roman, surtout policier, est toujours risqué; on en a eu encore ici la preuve.
Dommage pour les nombreux lycéens qui étaient là…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Ouest Parisien à Boulogne-Billancourt T: 01 46 03 60 44 jusqu’au 29 mars.