L’Or et la Paille

L’Or et la paille de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy,  mise en scène de Jeanne Herry

 

  p183772_8La pièce est de 1956… donc du Moyen-Age ou presque, pour le public d’aujourd’hui. Le stationnement  à Paris était alternatif suivant les quinzaines, la télévision avait une seule chaîne en noir et blanc, ordinateurs et portables n’existaient évidemment pas, et les appareils téléphoniques étaient tous noirs, sauf blancs pour les riches qui acceptaient de payer un surcoût d’abonnement. Il y avait encore peu de voitures et les plus fortunés roulaient en DS Citroën, les voyages en avion étaient coûteux et réservés à une « élite ». Miou-Miou avait six ans, et Julien Clerc, neuf ans !
Certaines maisons du XXe parisien n’avaient pas encore l’électricité,(si, si, c’est vrai, relisez Georges Perec) les réfrigérateurs et les machine à laver le linge étaient des objets de convoitise et de jalousie, la pilule venait d’être inventée par le docteur Pinkus aux Etats-Unis et délivrée aux  seules américaines mariées, et  neuf ans plus tard!
Les premiers membres du F.L.N. étaient condamnés à mort dans une Algérie encore française. L’Egypte allait devenir indépendante, les Soviétiques écrasaient l’insurrection hongroise; Dominique Blanc, Lars von trier, Christine Lagarde poussaient leur premier cri  et Bertolt Brecht, Paul Léautaud, et Marie Laurencin, leur dernier.  Bref, un tout autre monde…

L’histoire de L’Or et la paille? Géraldine et Thierry sont de jeunes mariés parisiens  fauchés: lui, un soi-disant écrivain, à la poursuite d’un scénario qu’il n’écrira jamais, et elle se contente d’acheter des vêtements. Ils squattent l’appartement d’Hervé, un cousin, dont ils vendent, sans aucun scrupule,  tableaux et objets de valeur pour se faire un peu d’argent, et n’hésitent non plus à taper leurs copains et connaissances : Armand, Peter ! («Il est fou de moi, dit cyniquement, Géraldine!  Traduction: encore plus facile  à rançonner).
Pour se nourrir, ils jouent les pique-assiette, mais donnent des fêtes sans jamais avoir un franc devant eux ! Géraldine drague habilement Raoul, un riche magnat français de l’industrie du tuyau rencontré sur son palier, et réussit même à lui emprunter de l’argent, pour payer un taxi qui menace d’appeler les flics….

 Thierry lui, de son côté, rencontre une veuve, française devenue multimilliardaire grâce aux empires immobiliers et mines de platine de feu son mari colombien… Et la charmante et cynique (ce qui n’est pas incompatible!) Géraldine fait accepter à son mari l’idée d’un mariage blanc… (ou presque, on ne saura jamais) avec ce Raoul, petit rondouillard à lunettes: bref, fort peu séduisant. L’idée étant pour elle surtout, de profiter au maximum de sa fortune. La veuve colombienne milliardaire, elle de son côté, exige de Thierry, le mariage en bonne et due forme, ce à quoi, il rechigne mais… c’est le prix à payer pour les largesses qu’elle lui consent.
  Bien entendu, dans ce monde un peu glauque, les choses vont vite déraper : les deux jeunes ex-époux, encore assez naïfs, s’aperçoivent à leurs dépens qu’on ne devient pas riche par hasard, que l’important et fortuné entrepreneur de tuyaux se révèle assez radin, et a bien l’intention de faire vivre Géraldine, non à Paris mais  près de son usine à Sarreguemines, ce qui ne la réjouit guère !
Quant à la Colombienne, elle porte de faux bijoux, garde la copie des vrais au coffre, note la moindre de ses dépenses, trouve la vie à Paris très coûteuse, et exige de Thierry qu’il l’accompagne à Bogota…Cela commence à faire beaucoup pour ce Thierry qui voit ses espoirs d’argent facile s’envoler. Il va évidemment retrouver  Géraldine; séparés mais toujours dans la dèche, ils se retrouvent donc dans les mêmes déboires, ce qui recrée chez eux  des liens amoureux…
Quant à Raoul et Cora, les proies convoitées par les deux tourtereaux paresseux en mal d’argent, ils comprennent vite qu’ils se sont plantés dans leurs projets conjugaux, et, comme c’est bizarre, comme c’est curieux, et quelle coïncidence, découvrent qu’ils se sont connus, il y a  longtemps, quand elle menait une carrière «internationale» de chanteuse d’opérette mais… dans l’Est de la France, entre deux trains, et ils retombent amoureux !

 Heureux dénouement, et réconciliation générale bien sûr : les  quatre pantins se retrouvent à la mairie pour se marier, mais évidemment chaque couple de son côté.  Raoul « invite » avec une grande générosité tout le monde  dans un grand restaurant mais rappelle fielleusement à Thierry que ce sera à lui de payer l’addition, pour le rembourser de l’ancien prêt qu’il avait accordé à Géraldine! La morale de l’argent et du pouvoir est sauve!
  Réalisatrice d’un premier film Elle adore, et de plusieurs mises en scène, Jeanne Herry a eu l’idée assez futée d’aller rechercher cette pièce, moins connue que les autres, de Barillet et Grédy et qui n’avait guère été rejouée. L’attrait d’une vie luxueuse, ou,  du moins, d’un excellent confort matériel, grâce au pouvoir de l’argent, le cynisme porté au rang de valeur morale, les rapports entre couples de niveau social très différent dans une société française hiérarchisée, les désordres amoureux vécus en parallèle ?
Cela ne vous rappelle rien? Mais si, mais si: ce sont bien les thèmes traditionnels de la comédie française, déjà traités et concoctés à toutes les sauces, gags, quiproquos et surprises compris, entre autres par  Regnard, Marivaux, Beaumarchais, puis par Eugène Labiche, Georges Feydeau, Sacha Guitry, et qu’ont recyclé avec maestria, les deux  complices …

Pierre Barillet, 92 ans et Jean-Pierre Grédy, 95 ans, sont les auteurs d’une trentaine d’œuvres-exclusivement jouées dans le théâtre privé, on l’oublie souvent et qui ont souvent fait de véritables tabacs- et jouées par de grands acteurs, depuis Le Don d’Adèle (1950) consacrée  par Aragon et Elsa Triolet( si, si c’est vrai!), Fleur de cactus, jouée aussi par Lauren Bacall, et adaptée au cinéma. Quarante carats, qui a été aussi mise en scène à Broadway,  Folle Amanda, Lily et Lily, Potiche, sont des pièces à succès qui ont été jouées par  Jacqueline Maillan décédée  il y a vingt ans.
Et Potiche, a été adaptée au cinéma par François Ozon, en 2012, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu et Fabrice Luchini. Mais ces pièces, comme la plupart de celles de Sacha Guitry, ont été curieusement exclues des théâtres publics, où le comique a senti, et sent encore souvent mauvais.
Quant à
L’Or et la paille, créée en 1956  dans la mise en scène de Jacques Charon, cela donne quoi, soixante ans plus tard, quand c’est monté par une jeune comédienne et metteuse en scène? Premier bon point: Jeanne Herry a eu raison  d’abréger un peu les choses, (et elle aurait pu couper encore!). Les auteurs sont en effet d’incorrigibles bavards qui se font parfois plaisir, et deux heures, c’est déjà parfois un peu long.
Deuxième et capital bon point: elle maîtrise très bien cette dramaturgie compliquée fondée sur  les difficiles mais nécessaires relations entre amour, pouvoir et argent; certes, les situations sont invraisemblables mais celles imaginées par Marivaux ou Eugène Labiche, ne le sont-elles pas tout autant ?  Ici, les ficelles ressemblent en effet à des câbles, et les scènes sont souvent téléguidées, avec mots d’auteur à la tonne. Mais, habilement construites et rondement menées, elles déclenchent le rire comme chez Eugène Labiche ! Une convention du genre étant celle d’un personnage féminin central, incarné par une vedette très connue, dont on préparait l’arrivée sur scène, toujours saluée par des applaudissements…
Jeanne Herry rate le début avec une scène d’amour torride, muette ajoutée mais inutile devant le rideau. Pas grave!  Il y aussi des  changements de décor laborieux, et la scénographie prétentieuse, aux couleurs assez laides, mal foutue, n’aide en rien les quatre comédiens. Dommage. Et  la metteuse en scène aurait pu nous épargner l’envoi de coussins dans la salle , comme dans m’importe quel spectacle bas de gamme pour enfants.
Mais bon..et c’est plus important: elle a bien su choisir et remarquablement diriger ses acteurs. Bravo! Même si on ne comprend pas pourquoi Hélène Alexandridis commence à parler français avec un fort accent espagnol, puis tout à fait normalement sans accent (un petit coup de distanciation brechtienne?).
Tous très solides, ils arrivent à camper des personnages crédibles, dans une époque indéterminée mais qui n’est, de toute évidence, plus la nôtre. Cela aussi, c’est assez malin de ne pas avoir voulu actualiser la pièce à tout prix.
Jeanne Herry a donc eu de bonnes intuitions, et c’est évident,  et du plaisir à monter cette pièce, tout  en évitant le piège des facilités et  du cabotinage : Hélène Alexandridis a un jeu précis, sensible, tout en nuances, et excelle dans ce personnage invraisemblable de Cora la richissime; Olivier Roche, que l’on a souvent vu chez Macha Makeieff et Jérôme Deschamps, joue les petits bonhommes un peu ahuris, mais plus malins qu’il n’y parait, avec beaucoup d’intelligence. Et Géraldine Martin-Sisteron et Loïc Riewer, les deux jeunes acteurs,  sont aussi tout à fait  justes et subtils, dans des personnages peu sympathiques,  ce qui n’est pas si facile à interpréter.

 Le public, curieusement, est assez disparate, avec beaucoup de gens qui, visiblement, avaient eu envie de repiquer à une pièce, celle-ci ou une autre, de Barillet et Grédy, qu’ils avaient vu… il y a bien longtemps,  maias aussi  des jeunes gens qui pouvaient être facilement leurs petits-enfants et qui riaient, eux et de bon cœur et sans la moindre nostalgie, à ces dialogues ciselés et souvent virtuoses. Même s’il y a quelques longueurs, et quelques à-coups dans la mise en scène, cela vaut le  déplacement. Pas la peine de cracher dans la soupe, on rit volontiers à ce théâtre populaire, assez méprisé par les intellos, donneurs de leçon de l’époque, et qui était diffusé grâce aux 500.000 postes de télévision de l’hexagone!
Après tout, ce n’est pas si fréquent dans le théâtre français contemporain, plus coutumier de pièces noires, alors autant en profiter… Que demande le peuple? Et, soixante ans après leur création, y-a-t-il de si nombreux spectacles que l’on trouve encore plaisir à revoir?
Question à cent euros: pourquoi une pièce comme celle-là, n’entrerait-elle pas un jour au répertoire de la Comédie-Française ? Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy, c’est aussi l’histoire du théâtre du XXe siècle…

 Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point jusqu’au 11 avril à 21 heures et le dimanche à 15h 30 (relâche les lundis). Représentations supplémentaires les 7, 9, 10 et 11 avril.
 Théâtre de l’Ouest Parisien à Boulogne-Billancourt du 15 au 17 avril; La Comète à Châlons-en-Champagne les 20 et 21 avril,  et les 6 et 7 mai au Théâtre de la Manufacture de Nancy.

 

 


Archive pour 31 mars, 2015

Mary Stuart

 Mary Stuart de Friedrich Schiller, traduction en néerlandais de Barber van de Pol, mise en scène d’Ivo van Hove

 Marie Stuart par Ivo Van Hove 25© Jan VersweyveldCette tragédie est un joyau,  à la fois noir et scintillant qui met en scène deux figures emblématiques de l’histoire de l’Europe occidentale,  Elizabeth I d’Angleterre, et sa cousine catholique Mary Stuart, reine d’Écosse qui attend son exécution pour trahison, accusée d’un complot visant à assassiner Elizabeth.
En fait, l’emprisonnement de la coupable est la conséquence de la rivalité entre Elizabeth et Mary qui prétend aussi au trône. La reine d’Angleterre, puritaine, froide et calculatrice, hésite à prendre la responsabilité de la mort de la reine d’Écosse, sensuelle, vivante et séductrice.
Il semblerait même que Mary ait moins peur de mourir qu’Elizabeth de la tuer.  C’est un  drame historique sur le pouvoir, l’ambition et la responsabilité au féminin. Tout oppose ces deux femmes, leur relation au monde, à la vie. Autour d’elles, tournent des hommes, dont Burleigh et Schrewsbury, pragmatiques et politiciens ; Mortimer et Leicester, le premier a le feu de la jeunesse, et le second, semblable au précédent, mais plus âgé, est roué et cyniquement intégré au système en place.
Le metteur en scène crée de très beaux  tableaux de groupe, où des hommes en tenue sombre et sévère, debout ou assis, en rang ou dos tourné, agissent en révélateurs de l’âme noire de leur souveraine respective. L’asservissement
au  pouvoir de ces  personnages régnants et de leurs acolytes est telle, que, portés par leurs contradictions intimes, leurs obstacles intérieurs, et leurs doutes, ils irradient une lumière trouble et inquiétante,. Dans l’opposition entre Mary et Elizabeth, transparaît une guerre de religions, comme celle des deux Roses qu’évoquent aussi les drames historiques de Shakespeare.
La pièce a  aussi à voir avec l’architecture symétrique racinienne en cinq actes, soit avec Mary d’abord, Elizabeth ensuite, puis avec la rencontre des héroïnes, le retour d’Elizabeth, le retour final et la mort de Mary.
Ces magnifiques rôles de femmes sont portés par des monologues, tour à tour narratifs et poétiques,  aux envolées lyriques. Pour Friedrich Schiller, le théâtre de qualité est pédagogique (il doit éclairer le spectateur sur les mécanismes politiques du pouvoir  mais  être aussi esthétique, la vocation de l’art  étant d’élever la sensibilité.
Ivo van Hove  sait imposer dans sa mise en scène, la menace d’un enfermement et d’une capacité réduite de mouvements,  dans chaque royaume des reines, celle qui emprisonne  et celle qui est emprisonnée. Avec juste, dans  un espace vide, un banc à cour et à jardin: soit un lieu exposé aux lumières qui retourne dans l’ombre, la scène achevée.
Les murs somptueux semblent bas, comme ceux d’une prison ou le dais d’un trône. Et quand les reines se rencontrent et que la prisonnière humilie sa geôlière, lors d’un croisement dans une clairière forestière, ces cavalières élégantes, ont de grandes bottes noires et un pull sombre, à la façon de nos contemporaines qui goûtent aux bienfaits de la nature.
Sur les murs, bougent des ombres de feuillages et de branches, images à la fois de consolation et signes d’inquiétude d’une force brutale mais cachée. Les acteurs du Toneelgroep Amsterdam & Toneelhuis sont d’un professionnalisme rigoureux, droits et tendus vers l’action ou la pensée à venir. Saluons particulièrement Chris Nietvelt  (Elizabeth), et Halina Reijn (Mary Stuart)  à l’allure souveraine. Et, quand elles revêtent la robe seyante qui leur est due, ce sont des figures féminines éblouissantes de grâce qui traversent le monde…

 Véronique Hotte

 Spectacle joué à la Maison des Arts de Créteil, du 26 au 28 mars, dans le cadre du festival EXIT 15.

 

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