Les trois Sœurs

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Les Trois Sœurs d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Jean-Yves Ruf

 

Entre bouquets de fleurs et petites lampes, c’est la fête attendrie d’Irina, la benjamine du trio, saluée encore par la présence hésitante du frère Andreï (Pierre Yvon). Juste un an après la mort de leur père relatée par Olga, l’aînée (Géraldine Dupla), jeune professeure de lycée,  à la belle allure: « Il faisait très froid, il neigeait, ce jour-là. Je me disais que je n’y survivrais pas.» Et les voilà maintenant réunies dans la maison familiale d’un chef-lieu, dernière  poste militaire du père, après qu’il ait quitté – promotion oblige- la mythique Moscou,  ville originelle et rêvée des trois sœurs, qui répètent gaiement : «Nous ne sommes pas d’ici.»
Ces drôles d’«étrangères», orphelines de mère, ont reçu, grâce à la volonté paternelle, une éducation moderne et artistique,  dont l’acquisition des langues. La reine du jour est Irina (Elissa Alloula), vivante et enjouée, qui fait virevolter sa robe blanche et soyeuse, telle une Marylin en avance d’un demi-siècle, et qui en est elle-même charmée.
Macha (Lola Felouzi), aussi jolie que mélancolique et taiseuse, souhaite à sa cadette d’être heureuse, et  évoque, non sans tristesse, les fêtes passées et bruyantes, quand elle étaient encore enfants,  avec les officiers; à présent, tout  est désert et sans joie. Mais arrive dans la bourgade, une batterie de jeunes officiers , ui va rompre ce silence pesant de solitude et de nostalgie, et  ils pourraient bien faire tourner la tête de ces jeunes femmes.
Olga n’en reste pas moins seule, prise par ses obligations  au lycée : Macha, elle, qui ne supporte plus le bavardage de son mari, le professeur Koulyguine (Gaël Chaillat), est attirée  par l’éloquent lieutenant-colonel Verchinine (Christophe Brault), malheureux en famille et philosophe à ses heures.
Irina, elle, est courtisée par le major Saliony (Thomas Mardell), provocateur un peu brutal et maladroit, et par le baron Touzenbach (Antonio Troilo), lieutenant-major, qui n’a rien d’un séducteur mais qui possède beaucoup de sagesse.
Quelques mois plus tard, a lieu un grand incendie dans la ville, et Olga et Irina  se sont repliées dans une chambre confinée car leur belle-sœur Natacha (Sarah Pasquier) s’est presque entièrement appropriée la demeure  familiale. Irina, employée au Conseil de la ville, souffre, insatisfaite: «Le temps qui passe, et toujours l’impression qu’on s’éloigne de la vraie vie, de la vie merveilleuse …»
Après bien des malheurs et en reportant à plus tard, la compréhension des souffrances accumulées, la jeune femme, meurtrie par la vie au quotidien, s’oblige à vivre, en dépit de tout : «Demain, je m’en irai toute seule, je commencerai d’enseigner à l’école, et je donnerai toute ma vie à ceux qui, peut-être, en ont besoin. »
La pièce d’Anton Tchekhov, inscrite à une époque charnière, juste avant les bouleversements révolutionnaires qui changeront la face du monde, reste l’expression d’un désenchantement existentiel ; pour les trois sœurs   c’est une douloureuse braderie de toutes leurs attentes, à mesure que les promesses d’avenir s’éloignent de la jeunesse.
Jean-Yves Ruf met délicatement en scène les espoirs de chacune des trois sœurs dans un présent immédiat, à travers l’expression spontanée du bonheur d’être ensemble, en partageant les mêmes souvenirs des peines et des joies. Il y a, sur scène, une teneur presque palpable de ces subtiles et fragiles instants, de cette sensation de vivre et d’être présent, entre sourires entendus et regards complices. Les belles personnes que sont les comédiens cités plus haut, laissent suspendre un temps, ces moments rares et authentiques avant qu’ils ne s’échappent.
Un bel ouvrage scénique, avec sur le plateau, juste un tapis et un canapé de salon, un mobilier de grenier, quelques estrades, et un simple rideau.

 Véronique Hotte

 Théâtre Gérard Philipe -CDN de Saint-Denis, jusqu’au 19 avril. T : 01 48 13 70 00

La pièce est publiée chez Babel Actes-Sud),


Archive pour 1 avril, 2015

Solaris

 Solaris, mise en scène et chorégraphie  de Saburo Teshigawara, musique de Dai Fujikura, d’après le roman éponyme de Stanislaw Lem.

IMG_3242Cet opéra en quatre actes, création mondiale jouée seulement deux fois à Paris, illustre le savoir-faire des deux artistes japonais, le compositeur Dai Fujikura, et le chorégraphe aux multiples facettes Saburo Teshigawara à l’initiative du projet, élaboré avec l’autorisation de l’écrivain polonais Stanislaw Lem: «C’est comme si j’hébergeais dix personnes en moi», dit  le metteur en scène. En effet, ici, il a écrit le livret en anglais et réalisé, comme à son habitude, décors,  costumes, lumières, mise en scène et chorégraphie. Les images en 3D du début, projetées dans le silence, ont été conçues par Ulf Langheinrich.
Solaris est une planète recouverte d’un océan. Le psychologue Kris Kelvin y rejoint une station spatiale où réside Snaut, un chercheur.  Lors de ses phases de sommeil, Kris Kelvin retrouve des êtres disparus :  sa défunte épouse Hari et Gibarian, son ami chercheur, qui s’est suicidé. Le metteur en scène a décidé que les personnages seraient représentés par un couple chanteur-danseur, exception faite de Kris Kelvin, dont les états d’âmes sont exprimés par deux chanteurs, l’un sur scène et l’autre en coulisse.  Rihoko Sato, qui a rejoint la compagnie KARAS de Saburo Teshigawara en 1996, danse Hari, et  Saburo lui-même,  interprète Gibarian ;  Nicolas Le Riche incarne Snaut et Vaclav Kunes, danseur du Nederlands Dans Theater, Kelvin. Tous sont très justes dans leurs mouvements.
Chacun des chanteurs est remarquable, avantageusement  accompagné par les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain, placé sous la direction d’Erik Nielsen. «J’attends des danseurs, dit  Saburo Teshigawara, des mouvements au-delà des mots et, des chanteurs, des choses qui se développent au-delà des mots et de la voix».L’ensemble de l’œuvre dégage une tonalité esthétique forte, même si la chorégraphie est un peu en retrait par rapport à la partition vocale. Avec cette manière de faire exister des vies virtuelles sur scène, Saburo Teshigawara aura réussi son pari,  et l’accueil très du public a été très chaleureux…

Jean Couturier

Spectacle présenté les 5 et 7 mars au Théâtre de Champs-Elysées. Et les 24 et 26 avril à l’Opéra de Lausanne.

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la Pelle du large

 

La Pelle du Large d’après L’Odyssée d’Homère, mise en scène de  Philippe Genty

la-pelle1Imaginez Ulysse en tire-bouchon aux bras articulés, et ses compagnons de fortune en papillotes aux robes multicolores! Tout ce petit monde navigue d’aventure en aventure, sur un rideau de douche bleu, qui parfois se déchaîne en plis houleux. Les objets trouvés dans une cuisine sont bien commodes pour  incarner les personnages de la plus vieille histoire du monde: batteur à œufs, bassine, gants de vaisselles, éponges et autres ustensiles, ingrédients, fruits et légumes… Tout un petit peuple va s’animer entre les mains agiles des comédiens. (Les mains sont par ailleurs le motif d’une exposition de sculptures de Philippe Genty dans le hall du théâtre).
Et vogue le navire : une pelle, un balai à manche court, un éventail y suffisent, manipulés par les trois acteurs qui se disputent à la fois le rôle d’Ulysse et l’avantage de porter ainsi une passoire sur la tête ; n’est-il pas le chef et le héros ? Mais, par ailleurs,  il y a de quoi faire : les aventures s’enchaînent de Charybde en Scylla. Ils seront Circé au cœur d’artichaut, le Cyclope rond comme une barrique,  un des moutons à la gueule de tomate, la mousseuse Calypso, l’évanescente Pénélope et ses prétendants, et tous les autres, sortis de l’univers homérique.

  L’inventivité de Philippe Genty, comme d’habitude, n’a pas de bornes (voir Zigmund Follies dans  Le Théâtre du blog).  Avec des interprètes qui excellent autant dans la manipulation que dans le jeu scénique, il magnifie les plus humbles objets en leur insufflant une personnalité. Non content de pousser à bout l’imaginaire, il  a aussi écrit  aussi un texte savoureux et ludique où le geste rejoint la parole, où les mots se concrétisent en images. 
Pour ouvrir une bouteille à la mer, il faut un tire-bouchon : notre Ulysse est bien équipé pour le faire; nus, les marins-papillottes deviennent caramel, guimauve et chocolat ; pour construire un pont sans avoir d’argent, il suffit de «faire la manche» et, aussitôt, deux vestes prêtent les leurs, permettant ainsi au héros de franchir le sinistre fleuve Érèbe,  aux confins des Enfers…
Cette trivialité des objets utilisés n’entame en rien les qualités esthétiques du spectacle ; le comique du texte et du jeu, frisant souvent celui du clown, ne tombe jamais dans la vulgarité facile. Sous une voilure bien modeste, certes, mais sans trahir l’original, le spectacle revisite un chef-d’œuvre, pour le plaisir des petits et des grands. Une réussite  à ne pas manquer.

 

Mireille Davidovici

Joué au Grand Parquet en mars,  et ensuite en tournée. À lire aussi : l’autobiographie de Philippe Genty: Paysages intérieurs,  (Actes-Sud), (voir Le Théâtre du blog)

Vanishing point

 Vanishing Point (Les deux Voyages de Suzanne W.), conception, installation et mise en scène de Marc Lainé, musique du groupe Moriarty

 IMG_9289Nous avons été émerveillés par les manifestations du Festival EXIT 15 à la Maison des Arts de Créteil (du 26 mars au 5 avril), généreux éventail d’expositions numériques, avec, dans de petits espaces fermés, vrais enclos de nuit noire, des éblouissements de rais de lumière et rayons fluo colorés à volonté. On a pu aussi y faire son propre cinéma en prenant place sur le siège avant d’une voiture, dans une situation improvisée et filmée, et où l’on devient d’emblée le héros ou l’héroïne d’un vrai film de suspense américain.
 Et au Théâtre National de Chaillot, Vanishing Point, est aussi une installation vidéo, dernier spectacle pimenté de Marc Lainé. C’est un voyage  où  le spectateur reste immobile dans une voiture qui ne bouge pas, et où des panneaux derrière la voiture et sur le côté latéraux laissent défiler à perte de vue, des paysages du grand Nord canadie, le tout étant retransmis sur grand écran,.
Le véhicule semble suivre à l’infini une route enserrée par  les ombres de forêts immenses et menaçantes, avec tempêtes de neige. lieu de l’action  se situant  dans cette  voiture dont Suzanne, la propriétaire (Sylvie Léonard), est une cinquantenaire au solide accent québécois, et à l’humour vaillant. Elle vient de prendre en stop,  après un rêve en forme de cauchemar menant à la mort, un drôle de jeune homme peu causant et un rien indifférent  (Pierre-Yves Cardinal), un Montréalais subtil et typé, brut de décoffrage qui veut se rendre à Waskaganish, une ville du grand Nord.
Le spectacle, porté par la musique interprétée sur scène par le groupe Moriarty, se présente comme une belle équipée fantastique. Le jeune homme est en quête de sa bien-aimée, disparue un jour, et dont il est depuis sans nouvelles. Cet amour, puissant mais cassé net, reste ancré dans son imaginaire  et il ne fait plus la différence entre les différents points d’un espace où l’on peut être en même temps, selon la magie et les rituels des Indiens du grand Nord.

C’est ce que chante avec grâce et sensibilité, la belle disparue (sincère Marie-Sophie Verdane) qui répond malgré elle, à la force de l’appel envahissant de la nature, source à la fois de consolation et d’effroi. Cette épopée à la manière d’une initiation existentielle, se situe au-delà de l’amour. Et la brave Suzanne découvre alors le souffle d’un vent nouveau,  avec ce voyageur si différent d’elle.
On peut concevoir cette aventure comme une sorte d’initiation à une géographie mentale voyageuse, virée fantasmatique à travers des paysages imaginaires sur une musique rock qui convient bien  à cette aventure. La jeune femme mystérieuse,  qui attire les voyageurs en les envoûtant, pourrait bien avoir  affaire avec la Mort dont on ne se départit pas, une fois qu’on l’a approchée.
Un spectacle étrange, plein de charme et d’envoûtement céleste, avec des notes pop.

 Véronique Hotte

 Théâtre National de Chaillot, Paris,   jusqu’au 17 avril.

 

Georges Dandin

George Dandin de Molière, mise en scène de Patrick Schmitt

 

george_dandinC’est à se tenir les côtes : à qui l’entremetteur confie-t-il le secret qu’il a juré de garder ? Au mari. Qui  profitera, lui, de ce savoir pour s’enfoncer de plus en plus profondément dans le ridicule, le mépris de lui-même, la haine de sa femme, la frustration.
Cette comédie est des plus amères : acheter un titre de noblesse ne lui servira qu’à avoir des enfants nobles, qui se moqueront de leur père paysan. À condition qu’il en ait, ce qui semble difficile, au vu des refus de sa jeune femme, la rebelle Angélique.
Mais quoi, va-t-on le plaindre ? Il a fait un mauvais marché, et il a perdu, aussi s’en prend-il d’abord à lui-même. Puis à ses beaux-parents, fi ! à Monsieur et Madame de Sottenville, qui le ramènent sans cesse à leurs «bonnes manières».
Peine perdue, des deux côtés.  Ici,  personne n’aime personne, c’est ce qui  rend la pièce si amère. Dandin est incapable de profiter des ouvertures de sa femme, prise en flagrant délit d’escapade nocturne : elle veut négocier, il veut vaincre. Tant pis pour lui. Elle croit aimer le fade et lâche Clitandre ? Elle n’aime que l’idée d’être courtisée par un nobliau –comme elle- qui s’ennuie à la campagne. Tant pis aussi pour elle.
Les serviteurs ne valent pas mieux : leurs amours ne sont qu’appétits, vengeance et intérêt. Si Claudine prend si fort le parti d’Angélique, c’est peut-être bien qu’elle a espéré un moment être à sa place, maîtresse du logis ?
On en vient à se demander si ce n’est pas Molière qui n’aime personne, à ce moment douloureux de sa vie conjugale et de sa rivalité avec Lully, qui a mis Gorges Dandin en musique. Mais, avec son habitude de bien écrire, il fait qu’on s’attache quand même aux personnages, tous ridicules, tous méchants, sans indulgence, mais avec une certaine tendresse.
C’est aussi la vertu de cette mise en scène, sobre, sans gras, mais intense et humaine.  Et portée par une distribution juste et homogène : délicieux couple des parents, vieux amoureux confits dans leur point d’honneur (Françoise Viallon–Murphy et Marc-Henri Boisse), Angélique mécontente, désabusée et encore candide (Peggy Martineau), Dandin souffrant et borné (Pierre Marzin), touchant de lucidité et d’aveuglement réunis, dans ses colères rentrées. Patrick Schmitt en inquiétant benêt, Elsa Tauveron en redoutable Claudine, David Van de  Woestyne en voyou aristocratique, en sous-Don Juan de village…
Ce sont eux tous qui font que la pièce échappe à la noirceur totale autant qu’à la farce (pourtant les coups de bâton y sont, et les quiproquos). Il faut ajouter les costumes somptueusement inventifs de Laurence Chapellier, et cela donne un spectacle devant lequel les élèves de collèges retiennent leur souffle, comme tout le public.

 Christine Friedel

 La Forge, 19 rue des anciennes mairies Nanterre (RER Nanterre Ville) T: 01 47 24 78 35, jusqu’au 12 avril.

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