Georges Dandin
George Dandin de Molière, mise en scène de Patrick Schmitt
C’est à se tenir les côtes : à qui l’entremetteur confie-t-il le secret qu’il a juré de garder ? Au mari. Qui profitera, lui, de ce savoir pour s’enfoncer de plus en plus profondément dans le ridicule, le mépris de lui-même, la haine de sa femme, la frustration.
Cette comédie est des plus amères : acheter un titre de noblesse ne lui servira qu’à avoir des enfants nobles, qui se moqueront de leur père paysan. À condition qu’il en ait, ce qui semble difficile, au vu des refus de sa jeune femme, la rebelle Angélique.
Mais quoi, va-t-on le plaindre ? Il a fait un mauvais marché, et il a perdu, aussi s’en prend-il d’abord à lui-même. Puis à ses beaux-parents, fi ! à Monsieur et Madame de Sottenville, qui le ramènent sans cesse à leurs «bonnes manières».
Peine perdue, des deux côtés. Ici, personne n’aime personne, c’est ce qui rend la pièce si amère. Dandin est incapable de profiter des ouvertures de sa femme, prise en flagrant délit d’escapade nocturne : elle veut négocier, il veut vaincre. Tant pis pour lui. Elle croit aimer le fade et lâche Clitandre ? Elle n’aime que l’idée d’être courtisée par un nobliau –comme elle- qui s’ennuie à la campagne. Tant pis aussi pour elle.
Les serviteurs ne valent pas mieux : leurs amours ne sont qu’appétits, vengeance et intérêt. Si Claudine prend si fort le parti d’Angélique, c’est peut-être bien qu’elle a espéré un moment être à sa place, maîtresse du logis ?
On en vient à se demander si ce n’est pas Molière qui n’aime personne, à ce moment douloureux de sa vie conjugale et de sa rivalité avec Lully, qui a mis Gorges Dandin en musique. Mais, avec son habitude de bien écrire, il fait qu’on s’attache quand même aux personnages, tous ridicules, tous méchants, sans indulgence, mais avec une certaine tendresse.
C’est aussi la vertu de cette mise en scène, sobre, sans gras, mais intense et humaine. Et portée par une distribution juste et homogène : délicieux couple des parents, vieux amoureux confits dans leur point d’honneur (Françoise Viallon–Murphy et Marc-Henri Boisse), Angélique mécontente, désabusée et encore candide (Peggy Martineau), Dandin souffrant et borné (Pierre Marzin), touchant de lucidité et d’aveuglement réunis, dans ses colères rentrées. Patrick Schmitt en inquiétant benêt, Elsa Tauveron en redoutable Claudine, David Van de Woestyne en voyou aristocratique, en sous-Don Juan de village…
Ce sont eux tous qui font que la pièce échappe à la noirceur totale autant qu’à la farce (pourtant les coups de bâton y sont, et les quiproquos). Il faut ajouter les costumes somptueusement inventifs de Laurence Chapellier, et cela donne un spectacle devant lequel les élèves de collèges retiennent leur souffle, comme tout le public.
Christine Friedel
La Forge, 19 rue des anciennes mairies Nanterre (RER Nanterre Ville) T: 01 47 24 78 35, jusqu’au 12 avril.