Dancefloor Memories
Dancefloor Memories de Lucie de Pauw, mise en scène d’Hervé Van der Meulen
Ils sont trois à valser dans l’ovale d’une piste de bal. Les blancs nuages peints sur le parquet se reflètent dans trois miroirs inclinés, en fond de scène, et les acteurs semblent évoluer, d’un pas glissant, sur un ciel de traîne.
Mais pour Pierre, la fête est finie. Il a la mémoire qui flanche, malgré l’amour de Marguerite, sa femme, qui tente de la lui rafraîchir par des post-it, petit cailloux blancs dans un quotidien qui se brouille au fil de temps. « Diagnostic : je viens d’apprendre que je vais crever à petit feu (…) que, dans trois ans cinq ans dix ans, on nous fera manger à la petite cuillère, un rosbif qu’on oubliera de mâcher, qu’un jour on oubliera de sucer la moelle (…) », dit Pierre. Un troisième larron entre dans la danse : Gary. Une nouvelle vie s’annonce pour Marguerite et son amant américain, une course contre le temps pour les vieux jeunes amoureux, tandis que, pour Pierre, le compte à rebours a commencé …
Dancefloor Memories résulte d’un appel à projet pour une pièce radiophonique, sur le thème de l’infidélité. D’où sa forme : trois voix qui s’entrecroisent, se répondent ou pas . Sa construction en cinq mouvements évoque une musique de chambre avec ses variations rythmiques et ses motifs récurrents. La toute jeune auteure, Lucie de Pauw, déploie une écriture pointilleuse et dynamique, composée d’une suite d’instantanés, où se mêlent souvenirs du passé et événements du présent. Cette fluidité spatio-temporelle confère au spectacle une légèreté de bon aloi, qui dédramatise la lente disparition de Pierre. Le trio amoureux a quelque chose d’intemporel, et la douceur des amours fanées.
Hervé Van der Meulen, metteur en scène et comédien, qui dirige par ailleurs le Studio d’Asnières, a confié la pièce à des interprètes qui n’ont pas l’âge des rôles, sans leur demander de composer des personnes âgées. « Le fait que nos trois acteurs soient entre deux âges, dit-il, permet de travailler sur une histoire du corps, de leur corps, du poids des années qui commence à se dessiner, du chemin déjà parcouru, et de celui à parcourir encore. »
Hervé Pierre, excellent comme toujours, campe un brave père de famille aux allures de grand nounours un peu poupin. Elsa Lepoivre, elle, a le charme discret de la bourgeoisie, et la grâce fragile d’une jeune fille. La chorégraphie, assurée par Jean-Marc Hoolbecq, place la danse au centre de la mise en scène. « Comme le titre de la pièce l’indique, dit-il, ils ont pratiqué le dancefloor une grande partie de leur vie. Des choses sont donc dites à travers les corps qui ne sont peut-être pas dites avec des mots. »
Tout est ici réuni pour faire de Dancefloor Memories une comédie légère, sur un texte d’une gravité sereine qui laisse filtrer les angoisses en sourdine. Il parle de gens vieux, mais peut très bien s’adresser à un public jeune. Tout le monde se pose des questions sur la fin de vie, et a été plus ou moins confronté à la maladie d’Alzheimer.
Mireille Davidovici
Studio-Théâtre de la Comédie-Française jusqu’au 10 mai ; T. : 0825 10 1680 – www.comedie-francaise.fr
Dancefloor Memories est publié aux Éditons Koïnè
À noter : on peut voir la maquette de SAS, Théâtre d’opérations et suites cinq étoiles de Lucie Depauw, mise en scène par Guillaume Tarbouriech au Théâtre 13/Seine, le 7 avril à 12h30 ; entrée libre. T. : 01 45 88 62 22