La Cerisaie

 

La Cerisaie, d’Anton Tchekhov, mise en scène de Lev Dodine

 

laCerisaie-1Les pauses, dans l’œuvre d’Anton Tchekhov, sont de plus en plus nombreuses,  et dans  sa dernière « comédie », La Cerisaie, créée en 1904, elles sont éloquentes, tel un grain stylistique spécifique que le dramaturge analyse dans la nouvelle Les Ennemis (1887), en se fondant sur la valeur esthétique des mots tus : « Je ne sais pourquoi, le bonheur et le malheur extrêmes ne s’expriment le plus souvent que par le silence ; les amoureux se comprennent mieux, quand ils se taisent. »
Lev Dodine joue la partition des notes et des silences avec un art des plus subtils, rattrapant le temps et le freinant d’une bride assurée. La vie connaît ainsi un écoulement lent et sinueux, éprouvé à travers l’inaction lassée des personnages, leur dispersion dans des événements quotidiens et anecdotiques, alors qu’ils sont aussi victimes consentantes de leurs états d’âme, chaos incontrôlable.Dans La Cerisaie, décidément empêchés, inaptes à s’accomplir et non révélés à la vraie vie, à la fois complexes et dessinés à grands traits dans ce qu’ils avouent de leur vie apparente, ils restent encore stimulés  par un vague espoir de temps meilleurs, à la manière d’un temps passé qui serait à retrouver.
Ainsi, le marchand Lopakhine comprend, le premier, l’intérêt financier de la vente du terrain de la cerisaie, mais ne sait s’il aime Varia, la fille adoptive de la maîtresse des lieux, aristocrate déchue et ruinée, vivant dans un temps présent illusoire.  Ania, la fille de cette mère blessée  d’avoir  brader sa maison de famille et sa cerisaie au nouveau propriétaire et marchand, homme actif et pragmatique, fils et petit-fils de serfs de ces maîtres historiques, essaie de la consoler: « Maman, nous planterons un nouveau jardin, encore plus splendide, tu le verras, tu comprendras, et la joie, une joie tranquille et profonde descendra dans ton âme, comme le soleil à l’heure du soir, et tu auras le sourire, maman ! »
Sur un rideau de scène, sont projetées les branches aux fleurs blanches  qui vibrent au vent dans le printemps éternel d’un ciel radieux ; les figures du présent y sont projetées, les traces d’une une enfance et d’une jeunesse disparues, la mère et ses filles en robe blanche, le petit frère défunt en costume de marin, jouant non loin de la rivière fatale.

  Le comptable Epikhodov (qui ne gère plus rien!) joue de la guitare, d’autres chantent ou murmurent ; les bruits de la  nature se mêlent à ces sons expressifs, jusqu’à celui de la hache sur le tronc des cerisiers condamnés. Le rêve éveillé et le songe se transforment ici en cauchemars réels, et la pièce délivre les aveux inconscients d’un auteur visionnaire sur le sens de l’histoire, dont l’œuvre est située à la charnière exacte de la fin d’un monde – celui des aristocrates russes, aveugles sur les mouvements préparatoires de mutations historiques mais incapables d’en analyser l’injustice – et le début d’un autre, aux soubresauts violents, et  qui se fermera pour de longues années au capitalisme et au libéralisme de l’Occident.
On vogue de la chanson d’avant-guerre a capella et en français, Tout va très bien Madame la Marquise, à  la reprise américaine de cette chanson avec  My way par Franck Sinatra. Le public d’aujourd’hui ressent ces mêmes troubles diffus, autour d’un monde qui bascule, sans  que l’on puisse  en deviner l’avenir.

Anton Tchekhov n’en recherche pas moins ici la beauté et le sens d’une vie en fuite, en méditant toujours sur la philosophie de l’existence. Lev Dodine installe délibérément cette comédie sombre en dehors hors du plateau déserté,  où il y a juste  un écran alors que la caméra d’époque au moteur bruyant est installée en haut de la salle. L’armoire de la chambre d’enfants, la table et  le lit sont remisés dans la fosse d’orchestre, recouverts d’un drap blanc ; dans les gradins, une table de billard au tapis vert, où de temps à autre, quelqu’un lance une boule. Les personnages investissent l’espace du public, montent et descendent dans les travées, puis  reprennent leur souffle,  leurs chaussures crissent…
Chez Lev Dodine, la fameuse cerisaie n’est plus seulement sur la scène ou sur un film d’amateur en noir et blanc, mais bien inscrite dans tous les cœurs,  comme une cicatrice intérieure  dont le mal doux-amer et poétique court toujours…

 Véronique Hotte

 Le Montfort Théâtre, Paris 13 ème, dans le cadre du Standard Idéal 10 ème édition jusqu’au 18 avril à 20h30, relâche les 12 et WWW.MC93.COM .

 

 


3 commentaires

  1. LIVCHINE dit :

    Oui j’ai lu trop vite certes mais n’empêche que vous ne faites pas passer le souffle que j’ai ressenti moi . Quand on lit tout ce blog on a l’impression peu à peu de la terrasse , tout est pareil, tout se ressemble Est ce que le theatre est immobile Iu il bouge , je vioudrais savoir. C’est un truc pour passer des bons moments ou ça réveille les gens ?

  2. hotte véronique dit :

    Vous nous avez mal lue : la mise en scène est exceptionnelle et le jeu des comédiens russes est fulgurant.
    La Cerisaie est dans toutes les maisons et dans tous les coeurs, comme dans la salle de théâtre même et c’est ce qui a été dit : voilà pourquoi la scène a été basculée dans la salle.
    Lisez la critique avec plus de sérénité et non d’animosité.

  3. LIVCHINE dit :

    Excusez moi mais votre critique est vraiment fadasse. Vous nous racontez la pièce que tout le monde connaît vous ne relevez pas l’originalité de la scénographie qui englobe toute la salle qui est ainsi considérée comme la maison couverte avec les 400 fauteuils tout blanc. Tout ça va permettre à lopakhine de monter et descendre à toute vitesse les escaliers dans un monologue fou et décoiffant et le jeu de Lioubov est d’une finesse et d’une complexité dont seuls les russes sont capables . Et puis faut dire que c’est cent fois meilleur que Luc Bondy dans Ivanov et puis la modernité de la pièce ? Vous nous laissez croire que c’est une mise en scène de plus c’est tout

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...