Orlando
Orlando ou l’impatience, texte et mise en scène d’Olivier Py
Avec ce spectacle créé l’an passé pour l’inauguration de la FabricA au Festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog), on est au théâtre, et l’on ne pourrait pas être davantage au théâtre : panneaux de bois, escaliers sur roulettes, «tournette» sur le plateau, et clin d‘œil humoristique, puisque le décor est à l’envers, le mot «cour», indiqué côté jardin et inversement. Côté jardin (le vrai), la loge minuscule de la Grande Actrice. Son fils la harcèle : je te donne ta robe, si tu me donnes le nom de mon père.
Cela se reproduira cinq fois, comme dans un conte, pour cinq robes aux splendides couleurs, avec la magnifique Mireille Herbstmeyer, libre, puissante, d’un humour souverain. Sur scène, le père (Philippe Girard), successivement Désespéré, Exalté, Déshonoré, Oublié, Recommencé (les majuscules font partie du jeu).
À l’avant-scène, Jean-Damien Barbin prête sa voix profonde («parlez pour le dernier rang ») et sa gigantesque fantaisie, son sens inouï de l’absurde à celui qui sauvera les hommes, successivement, par la Diction, la flagornerie, l’Apnéisme, l’Ostéopathie, l’Affirmation, l’invention du Trou, l’argent et le théâtre. S’ajoute un élément grinçant : un Ministre de la Culture (là aussi, les majuscules sont indispensables, comme il convient à une marionnette).
Les jeunes gens, au centre de l’affaire, Ambre, Gaspard et Orlando, sont le désir, l’impatience chère à Olivier Py, la liberté, la mort. Ambre sait aimer les deux garçons, qui s’aiment aussi, leur donner (non abandonner) un fils ; Orlando (Matthieu Dessertine) se cherche, se trouve et se perd, et Gaspard (François Michonneau) meurt, imprimant à jamais le manque dans le cœur d’Orlando. Les comédiens sont beaux et bons, avec une pluie d’éloges pour Laure Calamy : présence, culot, générosité, engagement, charme, drôlerie, intelligence sans chichis, elle a tout, elle est le théâtre.
Car là est la question. Avec ce conte, Olivier Py n’a pas craint de puiser à pleines brassées dans sa propre vie et d’exposer, avec le recul de l’humour, avec, aussi un peu de l’amertume de la lucidité, ses contradictions d’homme de théâtre et de pouvoir. On n’est pas directeur de l’Odéon, puis du Festival d’Avignon pour rien. Au-delà du jeu de massacre contre le guignol du ministère, il se représente sous son double, le père multiple, en poète exigeant, en artiste soumis, et pour finir, en balayeur du plateau, pour se dédoubler encore en Orlando régénéré par la perte de tout pouvoir et purifié par le manque.
Entre temps, la pièce, intelligente, maline, drôle, se perd dans des tunnels de considérations sur « le Théâtre », « Dieu », qui ne seraient que les avatars d’une même transcendance. Le théâtre est là, pourtant, et bien là, avec ces acteurs formidables. Mais la scénographie même «tourne en rond», comme s’il n’existait qu’une forme de théâtre, qui serait Le théâtre, à sauver du déluge. Olivier Py ne dit pas « après moi le déluge », il dit : je suis le déluge. Et il y surnage, joyeusement, intelligemment, et déjà avec nostalgie, et qui donne ce sentiment de «vieux théâtre».
Ce qui se voudrait incantation: les longues périodes sur Dieu, le Manque, le Théâtre, ne produit que la patience du public, heureux de retrouver la vérité des acteurs dans le conte. Mais Olivier Py n’est pas Paul Claudel, qui, même parfois, n’arrive pas à donner le feu à ses propres débordements (pour ne pas dire enflures) lyriques.
Orlando, entreprise narcissique poussée jusqu’à l’épique, au point (presque) de forcer l’admiration, est un objet théâtral merveilleusement sarcastique sur le fonctionnement de notre société et de ses pouvoirs culturels, et… un interminable sermon sur la nécessité du théâtre et l’aspiration à Dieu (le spectacle dure près de quatre heures, entracte compris!).
Pour Dieu, laissons la question à ceux qui veulent la poser. Pour le théâtre : ne le dites pas, faites-le. Les comédiens ici présents en sont l’exemple éclatant.
Christine Friedel
Théâtre de la Ville, jusqu’au 18 avril. T : 01 42 74 22 77