Dehors devant la porte

Dehors, devant la porte de Wolfgang Borchert, mise en scène de Lou Wenzel

 

Dehors 14, Pierre, ElbeLes propos incisifs du prologue justifient le titre de la pièce que Wolfgang Borchert, blessé de guerre et très malade, a vu créer avec un grand succès, la veille de sa mort, en 1947; le jeune écrivain  avait vingt-six ans et  appartenait à ce courant littéraire allemand qu’on a dénommé « littérature des ruines ».
« C’est, dit-il, l’histoire d’un homme qui rentre en Allemagne, comme tant d’autres. Tous ces gens qui reviennent chez eux sans pourtant rentrer car ils ne savent plus où aller. Chez eux, c’est dehors, devant la porte. Leur Allemagne, elle est là, dehors, dans la nuit, dans la pluie, dans la rue.
 Voilà leur Allemagne ! »  C’est un drame, un conte noir fantastique à l’esthétique expressionniste et réaliste. Avec un rêve amer d’effroi et un cauchemar clownesque.
Cela se passe à Hambourg, à la fin de la seconde guerre mondiale, ville natale en ruines d’un homme de vingt-cinq ans, retour d’un camp de prisonniers en Sibérie.
Epuisé, souffrant de froid, en haillons, un genou abîmé, et portant des lunettes incongrues de masque à gaz, accessoire qui lui crée une distance salvatrice avec cette Allemagne blafarde, le dénommé Beckmann (Pierre Mignard engagé rageusement) est accompagné de l’Autre (Richard Pinto, au verbe puissant et ironique), une conscience existentielle optimiste qui contrecarre le fatalisme de l’anti-héros.
Dans l’embrasure d’une porte éclairée, comme découpée dans un long mur de toile mouvante, Beckmann converse d’abord avec un arrogant concessionnaire de pompes funèbres, allégorie de la Mort florissante qui ne cesse, en rotant, de digérer la matière macabre de ces temps d’Année Zéro. Il ne reste plus au soldat déchu qu’à se jeter dans l’Elbe pour oublier les morts dont il est responsable en tant que soldat, et pour conjurer ainsi sa prise de conscience tardive : la vanité de toute guerre, avec ses tromperies et ses trahisons.
Mais l’Elbe, figuré par la chute vertigineuse d’un lais de plastique, et personnifié ici par une Nathalie Nell rayonnante et facétieuse, n’accède pas à la demande de celui qui veut mettre fin à ses jours. Mère autoritaire, elle lui intime le devoir de vivre pour faire œuvre de mémoire, malgré les circonvolutions de l’Histoire.
Le revenant fantomatique se sent étranger dans sa propre ville, perdu dans ses repères : sa femme l’a remplacé dans son lit, et lui-même,  dans son errance, prend la place d’un soldat porté disparu, dans le lit d’une épouse compatissante (Valentine Vittoz, moqueuse, et ouverte à une vie plus joyeuse).

Beckmann s’en ira encore demander des comptes à son colonel (Jan Peters, à la belle rigueur militaire naturelle et un rien hypocrite), qui dîne en famille et qui prend l’initiative pour une plaisanterie. Il exigera de l’ex-soldat qu’il se recycle dans un numéro de clown… Comme un rappel du même destin dramatique du Hinkemann d’Ernst Töller (voir Le Théâtre du Blog) qui a été blessé et a perdu sa virilité  à la guerre.  
La directrice du cabaret (Lorène Menguelti), bien que compréhensive, demande à l’apprenti-comédien de travailler davantage son rôle pour un engagement ultérieur. Après les souffrances endurées dans une guerre qui ne peut plus compter ses morts, le soldat, ahuri et égaré, subit encore l’épreuve de la démobilisation.  Il doit  quitter son uniforme  et sa raison combattante militairement imposée mais devenue maintenant obsolète, et il peine à trouver une place dans la société civile. Beckmann  lutte avec peine  contre cette destinée tragique, vivant pour renaître dans un monde dont la reconstruction, amnésique, est imminente.
  Lou Wenzel  a construit une belle mise en scène de théâtre engagé et poétique qui parle furieusement de nos temps rugueux, allant droit au but, avec la révélation de scènes éloquentes.

Véronique Hotte

La Parole errante, chez Armand Gatti à Montreuil,  jusqu’au 19 avril, www.la-parole-errante.org


Archive pour 12 avril, 2015

Le Cercle des utopistes anonymes

Le cercle des utopistes anonymes d’Eugène Durif, mise en scène de Jean-Louis Hourdin

Le-cercle-des-utopistes-anonymes-de-Eugène-DurifDans le paysage théâtral contemporain, Eugène Durif, à la fois auteur, comédien et grand connaisseur des auteurs de langue française d’hier et d’aujourd’hui, occupe une place particulière.  Le style de l’homme, avec un air timide  et un petit sourire permanent peut décontenancer :  on ne lui ferait pas jouer les tragédiens ! Cela tombe bien,  il s’agit d’autre chose avec ce cercle des utopistes anonymes !
Pour ceux qui ont vu son précédent spectacle La Faute à Rabelais,  il s’agit de la suite:  on retrouve Pierre-Jules Billon à la musique, Eugène Durif  qui dit ses textes, chansons et poèmes,  et un rideau rouge de velours. Mais, ici, un élément perturbateur sème le trouble dans ce duo bien huilé: Stéphanie Marc vient, avec son sac de courses, passer une audition, et un petit jeu à trois s’instaure: méfiance du musicien envers la jeune fille qui cherche à séduire le patron, et qui met toute sa bonne volonté pour intégrer le projet d’un petit cercle un peu secret qui s’interroge sur l’utopie…
Mis en scène de Jean-Louis Hourdin, le spectacle alterne avec les textes d’Eugène Durif, un très beau fragment de Fourier, une belle citation de Maïakovski, des chansons et des gags,  et de nombreux slogans de mai 68 proches de haïkus, refleurissent sur scène! L’amour aussi est une vraie question, peut-être une utopie ? En tout cas, c’est la quête de Stéphanie Marc tout au long du spectacle, son leitmotiv.
L’écriture d’Eugène Durif est très précise, légère et pleine de jeux de mots: montage savoureux, autant dans le fond que dans la forme, avec un petit jeu entre les personnages, même si il n’a pas l’air très naturel. C’est  aussi cela, son théâtre, comme s’ils savaient que l’on sait qu’ils jouent! Les chansons sont un peu plus laborieuses mais en allègent le rythme.
On retrouve un peu, et cela manque un peu de surprise, le même principe que dans La faute à Rabelais, qui  présentait un éventail d’auteurs plus large et plus divers. Stéphanie Marc, la nouvelle venue,  a une belle naïveté et un jeu complet.
C’est un agréable moment, une petite rêverie utopiste et littéraire, mais pour laquelle, seule réserve, il faut bien se concentrer et faire abstraction du bruit à l’extérieur  du Grand Parquet…

Julien Barsan.

 Le Grand Parquet jusqu’au 3 mai les jeudi, vendredi, samedi à 20h et le dimanche à 15h. T : 01 40 05 01 50

 

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