Le Festival d’Avignon 69 ème édition
Festival d’Avignon: 69 ème édition…
Conférence de presse rituelle d’Olivier Py, dont ce sera la deuxième saison à la tête de ce Festival, une grosse machine à piloter avec plus de quarante spectacles sur une vingtaine de lieux, et plus de 150.000 spectateurs, dont 33% de la région, un peu moins venus d’Ile de-France, 27% des autres régions et 14% de l’étranger, et une fréquentation restée stable depuis plusieurs années à 90%, ce qui est tout à fait remarquable.
Olivier Py a annoncé les couleurs: pas de bouleversement, malgré un budget réduit de 5% et (deux jours de moins, il n’y a pas hélas, de petites économies!) et cette année, pas de Carrière Boulbon, parce que chère à gérer. Mais quand même, quarante sept spectacles, dont vingt et un de théâtre, sept de danse, sept de musique et douze formes interdisciplinaires. Rassemblés sous une même bannière: Je suis l’autre, suite évidente pour Olivier Py du désormais fameux Je suis Charlie … Il y aura un effort sur les prix : de petites réductions pour les jeunes et quand on s’abonne pour cinq spectacles. Pas sûr que ces mesurettes fassent changer la couleur des cheveux dans les salles!
Au programme : quelque trente metteurs en scène qui viennent pour la première fois, avec, notamment, des Argentins comme Sergio Boris, Mariano Pensotti, Claudio Tolcachir, le Theater n°99 d’Estonie, le Russe Kirill Serebrennikov. Cela reste, malgré des conditions économiques pas faciles, un atout considérable du festival d’Avignon qui, durant trois semaines, est un centre de ressourcement des cultures étrangères.
Mais il y aura aussi des metteurs en scène étrangers maintenant bien connus des Français comme l’Allemand Thomas Ostermeier avec Richard III, interprété la troupe de la la Schaubühne de Berlin. Shakespeare reste le grand auteur d’Avignon puisqu’Olivier Py montera aussi Le Roi Lear, interprété par Philippe Girard, qu’il a retraduit et qui, dit-il, est « construit sur un effondrement, celui du langage”, et le Portugais Tiago Rodrigues qui montera une adaptation d’Antoine et Cléopâtre.
Côté textes contemporains, Olivier Py a donné aussi la part belle à des auteurs reconnus comme Valère Novarina avec Le Vivier des noms; Krystian Lupa, metteur en scène polonais maintenant bien connu chez nous montera Des arbres à abattre, d’après Thomas Bernhard… Benjamin Porrée, jeune metteur en scène tout à fait talentueux (voir Le Théâtre du Blog) des Particules élémentaires de Michel Houellebecq mettra en scène La Trilogie du revoir de Botho Strauss, autrefois créée en France par Claude Régy. Trois spectacles qui, à coup sûr, attireront les foules.
Et des lectures, un genre qu’affectionne Olivier Py, avec Juliette et Justine, le vice et la vertu, de Sade par Isabelle Huppert, et Cassandre de Christa Wolf, avec Fanny Ardant et le compositeur Michael Jarrell. Il y a aura aussi des choses tout à fait originales comme Forbidden Di Sporgersi, on pourrait apercevoir le bout du tunnel, mise en scène de Marguerite Bordat et Pierre Meunier, à partir des écrits de Babouillec, une jeune femme autiste de trente ans, qui privée de parole, réussit à écrire et donc, à communiquer, grâce à des lettres en carton! Et une soirée consacrée à la chanteuse tunisienne Dorsaf Hamdani.
Sont aussi programmées d’autres formes de spectacle qui sont, et depuis longtemps dans la tradition du festival: comme ce feuilleton philosophique à partir de La République de Platon, traduite par Alain Badiou, lu en intégralité chaque jour, sous la conduite de Valérie Dréville, Didier Galas et Grégoire Ingold, par les élèves de l’Ecole d’acteurs de Cannes et par des amateurs.
Côté danse, il y aura dans la grande Cour du Palais des papes, Angelin Preljocaj, avec une nouvelle création, Retour à Berratham sur un texte de Laurent Mauvignier. Et Emmanuelle Vo-Dinh avec Tombouctou Déjà-vu, et Hofesh Shechter, Eszter Salamon, et Fatou Cissé.
Qu’est-ce qu’un festival réussi ? se demande Olivier Py. « Peut-être celui qui prend acte d’un changement du monde et arrive par la force des artistes et des applaudissements à accueillir ce changement avec un plaisir paradoxal. Même si la guerre est présente dans beaucoup d’œuvres de l’édition 2015, c’est pour limiter son pouvoir de séduction et comprendre les moyens d’arrêter sa fatalité ».
Vieux débat : l’art, y compris l’art théâtral et chorégraphique, a-t-il une possibilité d’avoir une influence morale sur le cours de l’histoire ? On aimerait encore le croire mais rien n’est moins sûr. Mais s‘il est juste un révélateur, ce n’est déjà pas si mal… Nous y pensions en passant devant le supermarché casher de Vincennes où des milliers de bouquets de fleurs demeurent encore, témoignages bien réels de la tragédie qu’a vécue la France et qui apparaîtra en filigrane dans l’édition 2015 de ce festival, avec une évocation de la guerre, et des dictatures, dont l’exposition Hope, consacrée aux événements tragiques de Srebrenica, il y a vingt ans.
Il y aura aussi une exposition consacrée au travail de Patrice Chéreau disparu il y a déjà presque deux ans.
Peut- être faudrait-il se dire que la grande Cour du Palais des papes, le Cloître des Célestins et celui des Carmes, la Carrière Boulbon, ces endroits devenus mythiques et qui auront compté dans la vie de centaines de milliers de spectateurs mais où rien ne sera programmé cette année pour raison d’économie, sont toujours bien là, et ce n’est pas rien, même si le festival in s’est de plus en plus embourgeoisé, et s’il est encore l’apanage des metteurs en scène hommes, comme si Olivier Py leur faisait davantage confiance…
Reste aussi toujours le problème de la Fabrica, héritage de la précédente Direction, ce territoire du festival situé dans un quartier pauvre, hors remparts de la ville, lieu de répétitions et qu’on ne construirait sans doute plus aujourd’hui. Apparemment, les choses n’ont guère évolué quant à une meilleure intégration dans le tissu urbain…
D’un autre côté, comme de façon irréversible, le in a dû céder des parts de marché au festival off, dont nous vous reparlerons, et ce phénomène s’est encore amplifié ces dernières années, au point que le off est souvent devenu une sorte de festival bis, avec, lui aussi, ses codes et ses territoires bien délimités.
Qu’en est-il, en ces temps troublés, de ce festival unique au monde et qui, comme ailleurs un peu partout en France, doit faire face à la fois aux restrictions budgétaires, à un public plus très jeune mais aussi aux menaces terroristes? Peut-il rester aussi le même, après les attentats de janvier auxquels Olivier Py a fait évidemment référence au début de sa conférence de presse.
Que pensent les très jeunes gens de ce monument national, richement subventionné que l’on respecte, qui donne envie longtemps à l’avance à de nombreux metteurs en scène d’y faire une création, qui arrive même à choper quelques minutes sur les chaînes de télé nationales, alors même qu’il intéresse finalement peu le public de la France profonde, en proie à d’autres soucis….
Mais bon, on l’a dit, cette édition sans grandes surprises, sera de bonne qualité. Tiens, une idée: ce serait bien que, dans un lieu du festival, il y ait une grande photo avec une bio de l’américaine Judith Malina, décédée cette semaine, grande metteuse en scène et fondatrice avec Julian Beck, du légendaire Living Theater dont le spectacle Paradise now, en 1968, avait mis le feu aux poudres du Festival…
“La force d’Avignon, toujours reconduite par son public, c’est de poser cette question non pas seulement en termes intellectuels, mais dans ce moment d’expérience partagée que sont les trois semaines du Festival » a finement conclu Olivier Py.
Et, de l’autre côté du Rhône, à signaler aussi: les Rencontres d’été, à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon avec, notamment, une installation-parcours, création immersive numérique de Carole Thibaut. Et Mensonges, textes de Davide Carnevali, Nicoleta Esinencu, Christian Lollike, Yannis Mavritsakis, Josep Maria Miró, Frédéric Sonntag, mise en espace de Véronique Bellegarde, sur la question du mensonge d’État. Et Lumières d’Odessa de Philippe Fenwick, mise en scène par Macha Makeïeff. Depuis l’aube (ode au clitoris), texte et mise en espace de Pauline Ribat. Et enfin Italiennes, textes de Francesca Garolla et Lucia Calamaro.
Philippe du Vignal
Festival d’Avignon du 4 au 25 juillet.
www. festival-avignon.com