Les Inquiets et les brutes
Les Inquiets et les brutes de Nis-Momme Stockmann, mise en scène d’Olivier Martinaud
Nis-Momme Stockmann, trente-quatre ans, couvert de prix en Allemagne, élu jeune auteur de l’année 2009 par la revue Theater Heute, est traduit de fraîche date en français par Olivier Martinaud. Ce jeune metteur en scène a voulu réaliser cette pièce, après avoir déjà mis en espace une autre œuvre du dramaturge allemand, L’Homme qui mangea le monde.
Cela commence comme une comédie, macabre certes : deux frères viennent de découvrir le cadavre de leur père, figuré ici par un grand mannequin, assis de dos dans son fauteuil ; ils ne savent quoi faire de ce corps encombrant, d’autant qu’ils ne sont pas d’accord sur la marche à suivre. Appeler les pompes funèbres, comme le suggère Berg, le plus jeune ? Impossible avant d’avoir nettoyé la merde du chat, mêlée à celle du père, et l’appartement, envahi de poubelles, estime Eirik, l’aîné, soucieux du qu’en dira-t-on.
Bientôt, les retrouvailles des deux garçons virent à l’aigre : sans céder aux miaulements agaçants du matou affamé, ils se donnent de leurs nouvelles, mais se reprochent l’un à l’autre de n’avoir pas fait grand chose de leur vie.
Les vieux contentieux resurgissent, et les traumatismes d’une enfance peu heureuse s’expriment : Berg reproche à Eirik son narcissisme et son autoritarisme, et lui traite son cadet de raté velléitaire… Confidences, chamailleries et réconciliations alternent, au chevet d’un géniteur mal connu. Ils découvrent chez lui des cadavres de chats, et des poèmes noirs et abscons qu’on entend, dits en voix off par Claude Aufaure, pendant les noirs entre les séquences. Ce huis-clos angoissant se conclut par une série de violents passages à l’acte.
Ecrite à l’économie et ponctuée de longs silences, la pièce s’enfonce, séquence après séquence, dans la noirceur. Nis-Momme Stockmann aborde frontalement, mais non sans humour, des thèmes comme l’incapacité de notre société à faire face à la mort, que l’on cache et qu’on n’arrive pas à envisager, la solitude et l’isolement des individus privés de repères, et la haine et la violence au sein des familles.
La mise en scène, toute en finesse, trouve la juste tonalité pour pallier quelques répétitions du texte, notamment dans les considérations existentielles du cadet, sur la mort et sa vie catastrophe. Quand l’écriture se fait un peu bavarde et explicative, le jeu sobre et sans affect des comédiens n’en souligne pas les méandres.
En n’entrant pas dans la psychologie des personnages, ils rendent d’autant plus inattendue la tournure que prend l’action. Daniel Delabesse compose un Eirik psycho-rigide et maniaque ; en contrepoint, Laurent Sauvage donne à son rôle une inquiétante étrangeté et, comme c’est par lui que passent les réflexions sur les tares de notre société contemporaine, il désamorce ainsi le côté donneur de leçons de la pièce.
Le spectacle permet de découvrir un auteur et une comédie grinçante servie par une mise en scène rigoureuse.
Mireille Davidovici
Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris ; T. 01 45 44 57 34 jusqu’au 16 mai www.lucernaire.fr