Richard III
Richard III de Shakespeare, adaptation et traduction de Jean-Marc Dalpé, mise en scène de Brigitte Haentjens
Pour la première fois, Brigitte Haentjens, directrice artistique du Théâtre français, au Centre national des Arts à Ottawa, aborde Shakespeare. Le roi Richard III, dans l’adaptation du Québécois Jean-Marc Dalpé, inflige la souffrance aux autres et en jouit avec un plaisir cru. Sébastien Ricard incarne ici ce corps «si lamentable», dans une représentation du mal moyenâgeux, révoltant qui signifie l’horreur intérieure.
Richard se transforme ici en bête cruelle et rugissante, surtout quand il tente de séduire Lady Anne Warwick et la reine Elizabeth, après avoir tué leurs proches. Réduit à l’état de bestialité la plus absolue, il rampe comme un serpent autour du cou de sa victime, glisse sur son dos, tourne autourdd’elle et lui tire les cheveux, lui saisit le cou et s’accroche à ses cuisses, puis la mord avant de la rejeter au sol, dans un hurlement de victoire. Après avoir lâché la reine humiliée devant ses soldats…
Quand il tente de séduire la reine Elizabeth (Sylvie Drapeau), c’est pour lui un moment de victoire. Avec une jambe déformée, un pied tordu, et un bras quasi paralysé, le dos bossu et la tête presque à la renverse, c’est un énorme lézard qui s’apprêterait à avaler sa proie. Horreur absolue!
Annick La Bissonnière a conçu pour le fond du plateau, des remparts d’un château, ou ruines de bâtiments après une guerre, beaux volumes scéniques où deslumières d’une grande pureté (superbes éclairages d’Étienne Boucher) font ressortir les silhouettes des comédiens surgissant des bas-fonds de ce monde archaïque.
Les costumes d’Yso se marient merveilleusement à ce paysage issu des profondeurs d’une conscience tourmentée. Des éléments sonores vibrent et grondent, évoquant des présences effrayantes, et sur une toile de fond, des touches de lumière reflètent les changements du ciel. Le jeu ritualisé des soldats et des nobles est tout à fait remarquable, surtout quand leurs silhouettes masquées et dorées émergent des ruines éclairées pour annoncer le combat.
Brigitte Haentjens, avec un clin d’œil à Ariane Mnouchkine, impose une chorégraphie raffinée qui fait tourner des ensembles humains, et emporte Richard dans un tourbillon de rage. Des têtes de minotaures font penser, par moments, le monde de Sophocle, de Sénèque, et des tragédies classiques françaises. Voire les paysages d’Ingrid Bergman, quand un bourreau traverse l’horizon et tranche des têtes invisibles, signifiant sans doute ainsi l’omniprésence de la mort.
Mais il y a aussi quelques scènes comiques, quand les soldats parlent le joual, ou quand ils tapotent et se passent entre eux un sac couvert de sang… Sans doute un peu gros mais, dans ce paysage jonché de cadavres, cette image est forte et juste. Le dernier cri désespéré de Richard, quand, vaincu par le duc de Richmond, il lance ces mots fameux : « Mon royaume pour un cheval », est un peu noyé dans le bruit de la bataille.
Brigitte Haentjens a clairement privilégié ici une chorégraphie collective dont la sauvagerie est exacerbée avec la dernière rencontre entre Richard III et le duc de Richmond, quand celui-ci saute comme un cheval, et se lance contre le corps du roi, comme une bête sauvage en rut qui affirme sa supériorité de mâle devant la tribu.
Dernière image de la rage et de la violence fondamentales de ces nobles qui se vengent d’un homme détesté : une confrontation physique et visuelle qui se fait, un peu au détriment du texte de Shakespeare, en effaçant ses nuances psychologiques.
Mais ce choix esthétique et cette magnifique vision d’ensemble mériterait que ce Richard III soit joué dans la Cour d’Honneur au festival d’Avignon.
Alvina Ruprecht
Le spectacle a été joué au Théâtre français du Centre National des Arts (Ottawa) du 21 au 25 avril, en coproduction avec le Théâtre du nouveau monde de Montréal.