L’appartement à trous de et par Patrick Corillon
L’appartement à trous de et par Patrick Corillon
Avec son air débonnaire et son sourire enfantin, il nous ferait tout gober. Par exemple, qu’il détient le «grattage» du plancher de la prison d’Ossip Mandelstam, là où le poète exilé, racontait des histoires à ses co-détenus du Goulag, pour garder espoir… Et de nous l’exhiber, avec ses rainures et ses nœuds qui esquissent des paysages.
Mais Ossip Mandelstam n’a jamais vécu au goulag, et il est mort sur le chemin de la Kolyma: ce n’est pas la vérité historique qui intéresse Parick Corillon, mais les translations qu’une fiction opère. Il nous avait pourtant prévenu au départ qu’il ne fallait pas croire tout ce qu’il disait…
À partir de là, c’est à un étrange voyage que nous invite l’artiste liégeois. Plasticien, il a bricolé une table en mélèze de Sibérie, munie de casiers, dispositif scénique léger qui tient dans un sac de golf. Des tiroirs, il sort précautionneusement objets, photos, dessins, pour nous conter l’extravagante aventure d’un gamin crédule qui va apprendre les langues en écoutant les bruissements de la forêt polonaise, parler anglais aux pierres de Stonehenge… et nous dire la légende de l’homme d’eau, notre double utérin qui se cache dans les méandres de la Seine.
A l’instar d’un conférencier, Patrick Corillon s’adresse directement au public, en pleine lumière. Tout paraît couler de source dans ce récit au parfum d’enfance. Subtilement, les mots entrent en résonance avec les objets que l’artiste manipule avec délicatesse sur son petit plateau de planche.
Les nœuds du bois ont fourni l’univers visuel de ce récit: ils deviennent arbres, rivières, personnages, animaux. Pour faire écho aux livres pour la jeunesse de Mandelstam, l’auteur choisit de prendre des formes plastiques très simples; il utilise coloriage, picotage, frottage, découpage...
L’Appartement à trous, sous titré Soixante minutes pour parler toutes les langues, est à la fois une exploration des origines du langage à l’écoute de la nature et une réflexion sur la fiction comme résistance. Il s’ancre dans une poésie qui tient du rêve éveillé. Un vrai bijou.
Mireille Davidovici
Biennale de la Marionnette, Spectacle le 10 mai à la Maison des métallos rue Jean-Pierre Timbaud Paris