Exposition Tadeusz Kantor

Exposition Tadeusz Kantor

FullSizeRenderOrganisée conjointement par l’Ambassade de Pologne en France et par la Cricothèque de Cracovie, cette exposition marque le début des manifestations culturelles célébrant les cent ans de la naissance de Tadeusz Kantor, né le 6 avril 1915.
De petite dimension, elle occupe les trois salles du rez-de-chaussée de la magnifique bibliothèque, et est consacrée au mythique spectacle Wielopole, Wielopole, créé à Florence en 1980.
À la fois peintre, plasticien, metteur en scène et théoricien,  Tadeusz Kantor est l’un des plus grands créateurs du XXe siècle, et ses  œuvres singulières ont bouleversé l’art du théâtre contemporain. Paradoxalement, ses pièces, de plus en plus oubliées par les jeunes générations polonaises, sont étudiées par les chercheurs  du monde entier.
Dans la première salle, nous découvrons un affiche  de Wielopole, Wielopole, des photos de son petit village Wielopole Skrzynskie, et de ses parents, en particulier, le portrait de son père, en tenue  militaire, qui va devenir avec son grand-oncle, le curé du village, un des personnages emblématiques de la pièce.
Il a construit, pour cette œuvre, ce qu’il nomme sa Chambre de l’Imagination: une chambre de l’enfance reconstituant, en les modifiant, ses propres souvenirs. On peut voir aussi onze photos du spectacle en noir et blanc,  de Jacquie Bablet, et  sept dessins de Tadeusz Kantor des personnages manipulant les objets conçus par lui.
Objets que l’on retrouve dans la deuxième salle, posés sur un plancher en bois, aux dimensions d’origine. Il s’agit de répliques, et  depuis qu’il est mort le 8 décembre 1990,  ils ont figuré dans différentes expositions. Une porte, des chaises, le mannequin du prêtre, des croix… ces uniques témoins de l’œuvre avaient leur propre autonomie artistique et prenaient vie au contact des personnages.
Dans la dernière salle, l’auditorium Jean-Paul II -tout un symbole, tant l’œuvre de Tadeusz Kantor est liée à la religion-, on trouve des photos en couleurs du spectacle par Caroline Rose. Près d’un piano recouvert d’une toile protectrice (ultime clin d’œil au créateur passionné par les emballages, au point d’envelopper, vers la fin de sa vie, toutes ses boîtes de médicaments), un auto-portrait de l’artiste  nous questionne du regard.
Cette exposition, très émouvante pour les connaisseurs du théâtre de Tadeusz Kantor, n’est pas assez didactique pour le néophyte, et on aurait aimé y voir des extraits de  Wielopole, Wielopole avec ses personnages,  ses mannequins et les décors présentés. Signalons, pour tous les nostalgiques de Tadeusz Kantor à la librairie Le Coupe-Papier,  et à La Librairie polonaise, Bd Saint-Germain, tous les DVD de ses spectacles, publiés par la Cricothèque, et un recueil de ses textes Ma Pauvre Chambre de l’Imagination, récemment paru aux éditions Les Solitaires Intempestifs.
Tadeusz Kantor écrivait dans le dernier texte (1990, l’année de sa mort)  de ce livre,  à propos de sa Chambre de l’Imagination, qui a brûlé : «Car les ténèbres m’entourent complètement. Mais dans ces ténèbres je continue à bâtir mes cloisons, fenêtres, portes. A nouveau ! Dans l’imagination. Seulement dans l’imagination ! Et dans la solitude. Quelle obstination ! Et la cheminée se dresse. Comme le squelette de la maison ! Il est déjà tard. Il est sans doute temps de fermer ma Pauvre Chambre de l’imagination.»

Jean Couturier

 Bibliothèque polonaise du 3 au 23 avril, 6 quai d’Orléans 75004 Paris. T: 01-55-42-83-83; http://www.bibliotheque-polonaise-paris-shlp.fr/  . L’exposition sera ensuite présentée au festival Passages du 6 au 17 mai,  puis à la Filature de Mulhouse, et enfin à l’Hôtel de la Mirande pendant le festival d’Avignon.
Les  Ecrits de Tadeusz Kantor sont sont aussi publiés aux Solitaires intempestifs dans leur ordonnance chronologique: le premier volume est  paru en avril à l’occasion d’une grande soirée à l’Odéon, le second paraîtra pour le festival d’Avignon.

 

 


Archive pour avril, 2015

L’Art du Théâtre

L’Art du Théâtre de Pascal Rambert, mise en scène de Julien Bouffier

art_du_theatre_-_logePascal Rambert est un des personnages du théâtre public les plus en vue ces derniers temps,  avec Clôture de l’amour, Avignon à vie ou dernièrement Répétition.  
L’Art du Théâtre a été écrit à la suite d’une controverse, quand Jan Fabre était artiste associé au festival d’Avignon 2005 dont la programmation avait été critiquée, à cause de l’absence de textes.
Pascal Rambert y avait présenté After/Before,  et la légende veut qu’une comédienne qui y assistait, se soit levée pour manifester sa désapprobation  à un spectacle qui passait mal, c’est le moins que l’on puisse dire…

  Cet Art du Théâtre a été écrit en réaction à cette bronca; un acteur  explique  à son chien ce que doit être un grand acteur, ce qu’il est persuadé d’être. Un manifeste qui vire assez vite à la leçon,  sur un ton très péremptoire, et qui fait le procès de ceux qu’il appelle souvent les «acteurs habituels».
Pascal Rambert dénonce le ici système et n’oublie pas d’être aussi un peu libidineux envers les jeunes comédiens et comédiennes  (surtout !)  prêts à beaucoup pour avancer.
Alex Selmane incarne cet acteur/professeur, accompagné par Alex Jacob, guitariste, qui joue aussi ce chien, premier spectateur de cette leçon qui commence donc par aboyer.
Tous les deux sur une plate-forme, dont les dessous sont filmés: les images, simultanément projetées sur un grand écran rectangulaire tout en longueur. Le comédien va et vient entre ces dessous et le plateau, et se fait recouvrir de charbon de bois.
  Julien Bouffier accentue encore le côté antipathique et donneur de leçon du personnage. Dommage! Il y avait quand même des choses justes à dire, qui pouvaient alimenter un débat sur le théâtre d’aujourd’hui. Mais cette litanie ne nous laisse pas le loisir de penser autrement. Du coup, on ne sait pas vraiment ce que l’on voit et entend : un théâtre à thèse, ou  un texte où pointe l’aigreur et l’insolence d’un homme dégoûté par son milieu ?
   L’Art du Théâtre montre seulement la colère et le sentiment de supériorité du personnage qui nous prend pour des élèves venus recevoir une bonne leçon de théâtre. Ce spectacle fait partie de ces interrogations d’artistes qui ont trouvé un prolongement au plateau (voir La Conférence de Christophe Pellet dans Le Théâtre du Blog) mais  aura du mal à toucher un véritable public.
Dommage pour les comédiens qui ne ménagent pas leurs efforts : Alex Selmane apparaît assez vite comme aigri et désagréable, et Alex Jacob  a une présence animale intéressante et joue une musique toute en nerfs et en pulsations…

Julien Barsan

  Nous confirmons! Et cette reprise au Studio-Théâtre de Vitry n’a rien de bien convaincant. Un grand écran retransmet le jeu d’Alex Selmane, filmé quelques mètres plus loin, accompagné de quelques solos de guitare électrique! Ce petit spectacle aussi prétentieux que narcissique qui fait vite flop, tient d’une mauavise dissertation récitée à l’intention de khâgneux venus parfaire leurs connaissances sur la scène d’aujourd’hui… Et on reste sur sa faim.
Cet Art du théâtre, à la scénographie bien compliquée, là où une chaise et quelques pendrillons aurait largement suffi, participe de la performance, à la fois théâtrale et musicale mais ne fonctionne qu’à de très rares moments entre le guitariste et l’acteur.
Quant aux deux sacs de charbon de bois dispersé sur le praticable  qui dispense gratuitement une belle poussière noire, il faut se pincer très fort pour penser que cela peut servir à quelque chose.
Bref, une sorte de petit ovni qu’on oubliera très vite et que  Daniel Jeanneteau, le directeur du Studio-Théâtre dont la programmation est toujours intéressante, aurait pu épargner à ses amis…

Philippe du Vignal

Le spectacle est programmé pour la saison 2015-2016 au Théâtre du Périscope à Nîmes  et au Studio-Théâtre  à Vitry-sur-Seine.

 

Play House de Martin Crimp

Play House de Martin Crimp, traduction de Rémy Barché et Caroline Chaniolleau, mise en scène de Rémy Barché

 On connaît bien maintenant chez nous l’œuvre théâtrale de cet écrivain anglais que l’on présente souvent comme le descendant d’Harold Pinter. Mireille Davidovici  vous avait parlé de ce spectacle couplé avec  La Ville du même auteur ( voir Le Théâtre du Blog) en novembre dernier, et qui est aujourd’hui repris au Théâtre de Belleville, avec les mêmes acteurs et dans la même mise en scène.
  Comme dit notre consœur et amie: “En treize courts sketches : Se brosser les dents, Nettoyer le réfrigérateur, Appareil mobile numéro 1Post-coïtum, etc… ce sont des  instantanés de la vie d’un très jeune couple entre les quatre murs de leur nouvel appartement où quelque chose de pourri, de moisi, s’insinue, à l’image de leur réfrigérateur qu’ils récurent énergiquement. Les miasmes de l’extérieur, les blessures intimes, et les lourds non-dits contrecarrent leur amour”.  
  Rémy Barché sait mettre en scène les délires d’un grand amour qui doit aussi être vécu au quotidien, ce qui est moins facile, et la rapidité de jeu, qu’impose cette série de treize sketches, empêche les situations et donc l’ennui de s’installer. Le metteur en scène dirige avec efficacité Myrtille Bordier et Tom Politano, deux jeunes acteurs  sympathiques  et qui font très correctement le boulot.
Mais c’est le texte de Martin Crimp qui, pour nous, pose question: le thème du grand amour usé par la routine de la vie,  même quand on est encore jeune et beau comme Katrina et Simon, (qui seront les Clair et Cristopher moins jeunes et moins beaux dix ans plus tard dans La Ville) n’est pas très nouveau,  et rien à faire, on n’accroche pas vraiment . Même si on ne s’ennuie pas durant ces cinquante minutes.

“ J’ai une relation d’amour-haine avec le théâtre conventionnel, dit Martin Crimp. Je détruis la pièce à mesure que je la construis. L’étrangeté gagne aussi parce que je me laisse tirer par le fil de l’inconscient”. Tout se passe en effet si Martin Crimp (dont ce n’est pas, et de loin, la meilleure pièce) s’amusait comme un petit fou à faire monter en neige une scène pour la casser quelques minutes après. Et, au bout du cinquième sketch de ce Playhouse, cela commence à ressembler à un procédé un peu facile.
  Quand la pièce était présentée avec La Ville été écrite peu de temps après,  elle pouvait avoir un véritable sens. Comme le reconnait le metteur en scène: “Bien que chacune d’entre elles soit indépendante et autonome, les deux pièces dialoguent intensément”. Mais Playhouse,  présentée seule, qui tient de ce que l’on appelait autrefois un lever de rideau, n’est quand même ni assez dense ni assez forte pour que l’on  vous conseille de grimper jusqu’à Belleville pour cinquante minutes… A moins d’être absolument fanatique du théâtre de Martin Crimp! Donc à vous de voir.

Philippe du Vignal

Théâtre de Belleville  94 rue du Faubourg du Temple jusqu’au 26 juin. T: 01 48 08 72 34

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La Maison des chiens

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La Maison des chiens d’après Sophocle, adaptation et mise en scène de Vlad Troitskyi

     Pour rejoindre leurs places, les spectateurs montent sur une immense cage métallique d’environ un mètre de haut, rectangulaire, dans laquelle évoluent les comédiens. D’un pas incertain (talons fortement déconseillés!) le public s’installe tout autour de ce dispositif et assiste au quotidien d’une prison, rituel cruel et implacable que d’imposants garde-chiourmes infligent aux détenus.
 À l’exception d’un rebelle, placé dans une cage cylindrique,  ils sont soumis et se plient au règlement, rampent, dorment, s’agitent dans la pénombre, sous les pieds des spectateurs, qui, à l’insu des prisonniers, assistent, voyeurs impuissants, à ce simulacre de goulag …
 Dans un tohu-bohu d’ordres hurlés et de cliquetis métalliques, quelques moments de grâce et de beauté : des chants aux accents religieux, venus d’une autre âge, s’élèvent du chœur des damnés; et sous une lumière blanche, ils déploient des fleurs colorées avant que leurs bourreaux ne balayent leurs compositions florales et n’étouffent leurs voix, en obturant le plafond de la cage avec des planches de bois violemment jetées.
 «Ces fleurs, explique Vlad Troitskyi, font référence à la « centaine céleste », c’est-à-dire aux cent personnes  mortes lors de la dernière journée de Maidan (place de Kiev où ont eu lieu les affrontements meurtriers, au début 2014). Aujourd’hui encore, la place est couverte de fleurs en leur souvenir. »
Car c’est bien la situation de l’Ukraine qu’entend symboliser le spectacle : «La première partie a été créée quand Viktor Ianoukovitch est arrivé au pouvoir, dit le metteur en scène. On y évoquait le climat mental d’un pays en train de s’enfoncer dans un gouffre avec le retour de ce que j’appelle le « soviétisme », à savoir une forme d’infantilisme où l’on attend toujours que quelqu’un décide à votre place. »

Avec les événements de Maidan, le pays est sorti enfin du gouffre pour remonter à l’air libre avec la fuite de Ianoukovitch. C’est là qu’on a créée la seconde partie et qu’on a rajouté la séquence avec les fleurs dans la cage. En effet, après l’entracte, on passe à un tout autre point de vue. C’est au tour des spectateurs d’être encagés, et les comédiens évoluent alors au-dessus de leurs têtes.
Étrange sensation d’enfermement, d’autant que l’on s’adresse à nous, sans que nous puissions répondre, passant pour des morts-vivants sur lesquels des couvercles de bois seront bientôt cloués. Nous ne profitons pas moins, assis dans une épaisse et angoissante pénombre, d’un ensemble vocal étonnant : La Maison des chiens ne s’inspire pas ouvertement d’Œdipe Tyran, mais  chœurs, prières et plaidoyers sont traduits de la tragédie de Sophocle.
  À ces chants magnifiquement interprétés, aux accents quasi religieux, mais aux rythmiques contemporaines, se mêlent quelques textes bibliques, des réflexions sur la destinée humaine, le pouvoir, et la religion.
«Ce spectacle, précise Vlad Troitskyi, c’est une façon de poser la question : qui sommes-nous et que voulons-nous ? Actuellement, en Ukraine, nous vivons une période particulièrement intense, avec le sentiment très fort que tout dépend de chacun de nous, que notre destin est entre nos mains. C’est dur à vivre, mais en même temps, c’est très stimulant.»
L’humour n’est pas loin dans cette deuxième partie, quand les comédiens s’adressent aux spectateurs. Mais c’est bien vite la gravité qui l’emporte, nous plongeant, de manière symbolique et assez radicale, au plus près d’un peuple opprimé à la recherche de la vérité pour se libérer de la servitude. C’est un instantané de la situation ukrainienne, pris sur le vif, que nous fait éprouver et ressentir avec urgence la jeune troupe venue de Kiev. En particulier, grâce à la musique de Vlad Troitskyi, Roman Iasynovskyi et Solomiia Melnyk et aux voix poignantes des comédiens-chanteurs.
Fondé en 1994 par Vlad Troitskyi, sur ses propres deniers, le Théâtre Dakh  «théâtre sur le toit», (car c’est sur le toit d’un immeuble que tout a commencé) est devenu un haut lieu du théâtre ukrainien, avec son école ouverte en 2000, et de nombreux projets théâtraux et musicaux, dont, dernièrement, le récital des Dakh Daughters.

Il ne faut pas manquer ses prochains spectacles.

 Mireille Davidovici

Le spectacle a été joué au Monfort Théâtre dans le cadre du Festival Standard Idéal de la MC93, programmé hors-les-murs.   www.mc93.com
Les Dakh Daughters seront au festival d’Avignon.

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Tadeusz Kantor, artiste du XXIème siècle

Tadeusz Kantor, artiste du XXIe siècle

IMG_9138Peintre et sculpteur, scénographe, metteur en scène, auteur et créateur de ses propres spectacles, théoricien, Tadeusz Kantor aurait eu cent ans  cette année.  Une bonne occasion de le faire connaître à tous ceux qui n’ont jamais pu voir ses spectacles. Pour fêter cet anniversaire ainsi que la parution en français de ses Écrits édités par Les Solitaires Intempestifs, l’Odéon-Théâtre de l’Europe a consacré une  longue soirée à  cet artiste hors-normes que nous avons eu le privilège de bien connaître.
 Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, la traductrice de ces Écrits et Jean-Pierre Thibaudat, critique théâtral, ont d’abord retracé avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité le parcours de celui qui fut d’abord metteur en scène, notamment de Stanislas Ignacy Witkiewicz, puis scénographe pour plusieurs dizaines de spectacles polonais, et surtout créateur de ses propres œuvres très influencées par le dadaïsme, à mille lieues de toute analyse psychologique, comme il disait, et encore inspirées au début par ce même Stanislas Ignacy Witkiewicz et par Bruno Schülz: «Je ne joue pas Witkiewicz, disait-il souvent je joue avec Witkiewicz »,  auteur d’emballages à la même époque que Cristo,  de  happenings et « cricotages » comme cet étonnant Concert de la mer dont  a pu voir il y a quelques années une grande photo, dans le métro parisien… pour une publicité d’assurances ! Et surtout créateur d’une dizaine de spectacles, comme, en 1967, La Poule d’eau qu’il présenta ensuite au festival de Nancy où nous l’avions découvert puis Les Mignons et les Guenons.
En 1972, Les Cordonniers de Witkiewicz, fut le seul de ses spectacles (joué à Malakoff) avec une distribution franco-polonaise, qu’il n’arriva pas à vraiment maîtriser et dont il ne voulait jamais parler. Mais son chef-d’œuvre, La Classe morte, magistrale création (1975), joué quelques centaines de fois en Pologne mais aussi dans le monde entier, devint un spectacle-culte du théâtre contemporain. 
Suivirent en 1979, une petite forme proche du happening Où sont les neiges d’antan? Puis en 1980: Wielopole, Wielopole, du nom de son village natal proche de Cracovie, autre tout à fait remarquable spectacle.
  En 1985, Qu’ils crèvent, les artistes,  puis en 1988, Je ne reviendrai jamais, et en 1990 : Ô douce nuit, autre brillante petite forme avec de jeunes comédiens en stage avec lui à Avignon, et enfin le dernier, en 1990, Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, celui dont nous avions pu voir la générale au Théâtre Garonne à Toulouse, avant qu’il n’aille le répéter à nouveau à Cracovie où, victime d’un A.V.C., il n’eut jamais la joie de le voir achevé…
   A cette soirée, on a pu voir et entendre un certain nombre d’archives sonores et visuelles. Et c’est toujours un choc pour nous de le revoir ainsi, aussi vivant, généreux et aimant beaucoup parler d’arts plastiques, scénographie et théâtre, et de façon très subtile dans un excellent français, avec son inimitable voix rocailleuse…
Il  parlait avec une grande simplicité, de son travail artistique, de sa vie personnelle, et de la mort qui l’obséda sa vie durant. D’abord,  pendant l’après-guerre de 14 (il naît en 1915 !) où disparurent plusieurs de ses oncles, puis pendant la seconde guerre mondiale,  deuxième traumatisme très violent pour les Polonais. Il avait vingt-cinq ans en 1940, et du courage humain et artistique à revendre!
Avec quelques amis artistes, peintres, écrivains et comédiens, il réussit à monter clandestinement des spectacles dans des appartements vides pendant l’occupation allemande. Sans affiches bien sûr, mais aussi sans chauffage, sans  lumière électrique, sans décors, sans costumes mais avec une foi immense en son art. Bizarrement, il n’en voulut jamais aux Allemands qui produisirent et accueillirent plusieurs de ses spectacle; il joua dans le monde entier mais refusa toujours d’aller en URSS,  à cause du massacre, sur ordre de Staline au printemps 1940 à Katyń de 20.000 officiers et cadres de l’armée polonaise! Les Russes le nièrent jusqu’en 1990, et en attribuèrent la responsabilité aux Allemands (voir le film d’Andrzej Wajda sorti en 2007, vu sur Arte en avril 2011)

Il nous avait dit avoir vu par hasard son père dans la rue, puis enfin rencontré, alors qu’il était déjà élève à l’Ecole des Beaux-Arts de Cracovie, où il enseigna ensuite à deux reprises. Il vouait une immense affection  à sa mère dont il avait imprimé une photo à cinq âges de sa vie sur des sacs de jute remplis de grain, une de ses œuvres  plastiques les plus réussies. Il avait aussi fait reproduire en bronze un des petits mannequins/écoliers de La Classe morte assis à sa table qu’il fit installer sur la tombe de cette mère tant chérie.
  Mais Tadeusz Kantor  était aussi l’auteur d’une œuvre théorique importante, que le public put découvrir par le biais de textes inédits lus par ces excellents comédiens que sont Marcel Bozonnet, Ariel Garcia-Valdès et Micha Lescot. Mais il aurait mieux valu réduire  la voilure, d’autant plus que ces textes viennent d’être publiés! Même si ces lectures étaient entrecoupées d’extraits de ses spectacles, l’ensemble restait quand même très estouffadou,  et  surtout ne fait pas sens,  quand on connait peu ou mal l’œuvre de Tadeusz Kantor !
IMG_9138Après l’entracte, était très attendue la projection du film réalisé en 1989 par Nat Lilenstein de cette cultissime Classe morte qui avait été de nouveau jouée à Chaillot.
Mais catastrophe! Rien à voir avec la très bonne captation qu’en avait faite Jackie Bablet; on a eu droit à une sorte de peu intelligente recréation filmique, sans véritable rythme, avec éclairages bleutés, gros plans incessants, manque total de respect du dispositif scénographique en angle, présence mal filmée de Tadeusz Kantor dirigeant ses acteurs sur scène, incessants mouvements de caméra non justifiés, son souvent trop fort ou mal capté…
De plus, le film était projeté non sur écran mais directement sur les planches du décor d’Ivanov, mis en scène par Luc Bondy, donc avec des raies. L’Odéon n’a-t-il pas d’écran?
Et très
vite, l’ennui,  évidemment, s’installa ; bref, tout le contraire de cette si vivante Classe  morte, maintenant deux fois morte, puisqu’ont disparu Michal Krzystofelk (le vieux sourd), Kazimir Mikulski (le surveillant d’école), la magnifique Lila Krasicka (le vieux absent du premier rang) que Tadeusz Kantor appelait comtesse, ce qu’elle était réellement !
Tous ceux qui avaient eu privilège de voir  la première version de cette «séance dramatique» , selon son expression créée en 1975 à  la galerie Krysztofory de Varsovie, ou comme nous, à Amsterdam et ensuite une bonne dizaine de fois un peu partout en France ou à l’étranger, n’y ont pas trouvé leur compte. Malgré un sous-titrage intéressant qui révélait un texte très fort, aux mots grossiers, voire obscènes…. Bref, ces cent minutes n’en finissaient pas de finir, et des spectateurs sont même partis!
Dommage, vraiment dommage! L’immense Tadeusz Kantor méritait mieux que cela! Notre ami Jean Couturier vous parlera prochainement de l’exposition de ses dessins  à la Bibliothèque polonaise de Paris.

 Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon le 7 avril.
Les Ecrits de Tadeusz Kantor, traduits par Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, sont parus aux éditions des Solitaires intempestifs

 

 

 

 

 

 

Les Enfants du silence

Les Enfants du silence de Mark Medoff, mise en scène d’Anne-Marie Etienne

1112761_les-enfants-du-silence-un-chant-du-signe-au-francais-web-02118739327_660x400p Pièce à succès dans les pays anglo-saxons, film oscarisé et consécration d’Emmanuelle Laborit, actrice sourde, Les Enfants du silence est une référence sur la question  du «vivre ensemble » et de la différence, dirons-nous, comme la metteuse en scène.
Dans un institut pour sourds, où on leur apprend à lire sur les lèvres, un professeur (Laurent Natrella), doué et un peu en marge-les plus doués sont forcément en marge, et les marginaux sont plus doués !- tombe amoureux (scandale!) de Sarah, une jeune femme de ménage, ancienne élève, sourde, et qui veut le rester.

Pour elle, pas question de lire sur les lèvres, pas question de se soumettre au monde des entendants, ils n’ont qu’à parler la langue des signes, comme tout le monde. Belle et rebelle. Naturellement, des obstacles  se dresseront devant cet amour : Lydia (Anna Cervinka) joue la bonne élève et lit sur les lèvres, mais elle aimerait surtout presser les siennes avec fougue sur celles du professeur. En vain!
  Et puis Denis (Eliott Janicot), l’ami de Sarah, militant radical de la cause des sourds, craint qu’elle ne le trahisse par amour. Pour équilibrer les générations, on verra aussi, comme obstacles ou adjuvants, le discret et compréhensif directeur de l’établissement (Alain Lenglet), un avocat maladroit de trop bonne volonté (Nicolas Lormeau) et une mère détruite par le handicap de sa fille (Catherine Salviat).
 Amour, bonheur, déchirements, remises en question et fin ouverte (sur la réconciliation des amoureux, n’en doutons pas): la pièce est irréprochable. Et les acteurs aussi, sont impeccables et méritent tous un prix d’interprétation, l’Oscar revenant à Françoise Gillard, tout à fait convaincante, impressionnante en Sarah écorchée vive, réactive et étincelante d’intelligence.
Alors pourquoi bouder? D’abord, parce qu’on se trouve face à un théâtre :écriture, scénographie et  interprétation parfaitement efficaces mais aussi  bien connu et reconnu. Y compris de ceux qui découvrent la pièce : l’émotion et le rire naissent dans un équilibre réussi; tout ici est prévisible et arrive, comme il se doit, au moment idéal. Ensuite, parce que se pose la question de l’exploit (et encore une fois, c’en est un)! 

Il faut saluer le travail : les acteurs, relevant le défi, ont appris à jouer dans cette langue étrangère qu’est la langue des signes. Et ce, avec beaucoup plus de finesse que La Famille Bélier qui a récemment rempli les salles de cinéma.
 En ce sens, le spectacle rend hommage à la culture des sourds. Mais pourquoi la Comédie-Française n’a-t-elle pas engagé des comédiens sourds pour jouer les pensionnaires de l’institut? Certains sont excellents comme les entendants. Cela aurait été une façon de tenter réellement le vivre ensemble dont parle la pièce. La troupe a-t-elle peur d’être bousculée par cette différence qu’elle mime si bien sur le plateau ?
Une fois de plus, se pencher sur le handicap, sur la différence, c’est encore une fois parler à la place des intéressés. Si sincère soit ce projet, il reste sans risques, sans aucune fracture, du côté des bonnes œuvres… Le quatrième mur joue ici parfaitement son rôle : il protège, enferme, et sépare si bien qu’on ne s’en rend même pas compte. Étonnante illusion.
 Qu’applaudissons-nous ? L’exploit, on l’a vu ; la romance, attendue. Mais surtout le silence imposé à ces autres, à ces gêneurs que sont ces personnes différentes. Rien à signaler, on reste entre soi, la machine est bien huilée, tout est lisse.
Une bonne soirée, si l’on veut… mais qui n’empêchera pas de dormir.

 

Christine Friedel

 

Comédie Française, Théâtre du Vieux Colombier jusqu’au 17 mai.

Amor, performance

Amor, performance de Théodoros Terzopoulos
 
Amor~716834-253-1(1)Le spectacle est une sorte de martelage numérique, où tout le corps et notamment avec un mouvement rapide, les doigts, joue un rôle primordial. Un corps/marteau donc  qui casse la quantité, ici exprimée en nombres, et qui dissout la matière  en fractions non conventionnelles. Et tout cela dans un monde qui fait commerce de ses charmes et qui, comme la vie devenue totaux matériels, est un sombre récepteur des nombres, à tel point que la mémoire numérique,  c’est-à-dire la logique de la mémoire, en est perdue.
Toute la performance, fondée sur un texte de Thanassis Alevras, est une critique virulente de la société de consommation où la qualité fait défaut et où règne la quantité. Tout y est liquidé et mis aux enchères! Même les membres du corps humain ont un prix.
Les opérations arithmétiques de ce spectacle sont symboliques : la multiplication exprime l’augmentation rapide des cas de maladies de la quantité, la soustraction renvoie à l’élimination de la vie, l’addition accumule les carcasses d’expérience, la division divise l’indivisible… et pourtant divisible.
Tout est axiome algébrique, et le corps d’Antonis Myriagkos s’avère une machine parfaite  pour la gestion des numéros, l’égout de nombres, et l’enfer de montants et quantités. L’acteur
incarne  très bien le calculateur, et Aglaia Pappa, lui, interprète avec une précision remarquable l’homme encaissé. Des sons vocaux, qui accompagnent la parole articulée avec rapidité, créent une deuxième classe de signes, parfois plus importants que les mots, et consomment le sentiment sauvage du calculateur dont toute l’énergie est ainsi épuisée, de sorte qu’il ne reste plus de ressources pour Amor (amour). L’homme est piégé: plus d’issue salvatrice...
      Un spectacle conforme à la méthode de Théodoros Terzopoulos qui évolue constamment, sur les bases d’une recherche que l’on peut qualifier d’avant-garde.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Attis, Leonidou 7, Metaxourghio, Athènes. T: 0030 210 52 26 260.

Hallo de Martin Zimmermann

Hallo  concept, direction et  scénographie de  Martin Zimmermann

  9mVT6YDcOSl8OlIxbBJ60Dl72eJkfbmt4t8yenImKBVvK0kTmF0xjctABnaLJIm9Martin Zimmermann avait déjà présenté Öper Öpis aux Théâtre des Abbesses avec son complice Dimitri de Perrot, mais c’est la première fois, à quarante cinq ans, qu’il se lance dans  un solo. Créée en 2014, cette pièce, absolument muette, est  soutenue par la remarquable musique au piano souvent répétitive et obsédante, et les bruitages de Colin Callon.
G
rand et mince, le visage émacié, en collant noir et T-shirt blanc, il est seul,  sauf, à un moment précis, quand il est aidé par un complice qui lui renvoie l’image d’un double obsédant, façon Tadeusz Kantor. Il commence par faire un tour de scène, avec des chaussures noires qui émettent un  grincement insupportable mais qui deviennent silencieuses, dès qu’il revient. Des murs/châssis circulent tout seuls et/ou s’abattent d’un  coup, légers comme une plume. Lui,  disparaît pour réapparaître un peu plus loin.
La scénographie qu’il a aussi conçue, faite de châssis rectangulaires, est une remarquable merveille de rigueur, de beauté et d’intelligence plastique qui doit beaucoup à l’art minimal américain, en  particulier à Don Judd, et il a sans doute eu de bons profs à l’école de décorateurs suisse dont il est sorti. Avant de rejoindre le Centre National des Arts du Cirque à Chalon où il a aussi visiblement beaucoup appris.

« Cette scénographie, dit-il, est liée à mon premier métier : décorateur de vitrines de grands magasins ! Bien que non réaliste, cette vitrine évoque le monde et la consommation, de la mode, ou encore les thèmes de l’apparence et du désir de reconnaissance».
 Il joue avec une chaise, enfin plutôt avec un cadre de chaise en inox qui a des allures de fantôme, prêt à resurgir d’on ne sait où. Ou s’adresse avec un interlocuteur qu’on ne verra jamais, enfermé et surgissant d’une trappe éclairée. Illusion magique… où des mécanismes parfaitement au point donnent à Martin Zimmermann, la liberté de faire ce qu’il veut sur le plateau.
  D’une gestualité étonnante, il est toujours là où on ne l’attend pas, et semble s’affranchir des lois de la logique en s’enfermant dans une grande boîte de contre-plaqué dont les côtés vont se démultiplier. Puis il se moque de la pesanteur quand il monte en équilibre instable à quelques mètres sur un parallélépipède qui se déforme, de gauche à droite, puis de droite à à gauche pour redevenir absolument plat, et dont il  redescend parfois depuis une trappe ou  en se laissant couler.
  Visage impassible, corps élastique d’acrobate qu’il maîtrise à la perfection, aucun temps mort : on pense souvent à Buster Keaton sur sa General. Comme chez lui, tout ou presque est imprévisible et il sert de sa formation de circassien, pour créer un curieux personnage, plein d’humour glacé, et rompu aux lois de la magie et de l’illusion.
  Il y a bien, dans cette petite heure, des  gags qui se répètent trop et quelques longueurs ou baisses de rythme. Mais qu’importe, les enfants comme les adultes ont fait un accueil triomphal absolument mérité à ce spectacle hors normes mais délicieux.

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses à Paris jusqu’au 29 avril. T : 01 42 74 22 77.
www.theatredelaville-paris.com

 

La Mate de Flore Lefebre des Noëttes

La Mate,  texte , conception et jeu de Flore Lefebvre des Noëttes

  L’auteur reprend ici son texte après en avoir fait de nombreuses lectures (voir Le Théâtre du Blog). Pendant un peu plus d’une heure, seule en scène, elle va convoquer les personnages illustres qui ont peuplé son enfance. Le sous-titre du spectacle: Première partie ou l’enfance laisse espérer un retour de la comédienne avec cette histoire rocambolesque.
  Elle raconte avoir ressenti le besoin d’écrire sur son enfance au décès de sa mère: «Les souvenirs se libèrent, pour la première fois, je prends la plume et j’écris l’histoire de notre famille si singulière. Les mots font image et les images font écriture. Des petits tableaux naissent avec précision. C’est l’occasion pour moi de rire beaucoup. Je reconstruis une nouvelle histoire familiale en renversant le tragique en fable comique brossée à la Honoré Daumier, inspirée de mes lectures récurrentes du Combray de Marcel Proust.
L’idée me vient d’en faire théâtre. J’en lis d’abord des morceaux choisis à une amie comédienne, puis à des copains, et encore à des cercles de plus en plus larges dans des appartements et salles de répétitions, une trentaine de fois. Ainsi le chemin que j’avais fait vers moi-même, le spectateur le faisait vers lui-même et se libérait à son tour par les mots. Aller à la rencontre des gens et les amener au théâtre par le rire et l’universel, est une expérience enrichissante pour chacun».

L’histoire qu’elle nous raconte, mêle tendresse, humour et extravagance, il y a aussi des souffrances et des vexations qui sont le lot des familles nombreuses, surtout quand elles sont menées à la baguette par la mère surnommée la mate : «Si nous voulions survivre, il fallait abattre le Pate et la Mate, ou fuir très loin et faire sa vie tout seul.»
  Flore Lefebvre des Noëttes arrive sur scène avec un grand livre dont elle va extraire des photos,  et  nous présenter  son  père, le « pate », lieutenant-colonel, médecin militaire tombé fou l’année de sa naissance. Maniaco dépressif, il enchaîne les phases: homme cultivé, il devient quelqu’un de «bête, vulgaire, porno et raciste». On ne peut s’empêcher de rire, quand elle nous le décrit sifflant les joues creusées parce qu’il n’avait pas mis son dentier.
 La Mate, qui traverse ce récit, est un personnage plus complexe : c’est une petite bonne femme ronde  en jupe, les cheveux teints et empestant le parfum.  Avec de nombreuses  bagues qu’elle perdait régulièrement dans les éviers. Comme Pablo Picasso, elle eut aussi sa période bleue! s’habillant de boubous bleus, colliers de lapis-lazuli et perles bleus. Autour des parents, une dizaine d’enfants à «mater»,  mais on ne savait jamais vraiment combien: le nombre variait souvent entre ceux qui étaient décédés, ceux qui avaient pris le même prénom que ceux décédés (comme Elisabeth II ),  ou  les autres qui, dès 18 ans révolus,  avaient quitté le nid.
  On voit cette grande famille évoluer, dans son appartement parisien avenue Saint-Mandrin, entourée de dignitaires militaires, ceux qui avaient tapé dans l’œil de la Mate qui arrosait ses géraniums à moitié nue, à l’affut du général Galaire,  ou ceux qui avaient la préférence de Flore, chez qui elle s’offrait souvent un deuxième service de diner.
   Il y a aussi les vacances à la mer, à St Michel-Chef-Chef, et l’expédition ferroviaire pour y parvenir, la maison en bord de mer, les maillots en laine qui, une fois mouillés, montrent plus qu’ils ne cachent … Et la torture des nuits où il fallait aller dormir sans se rincer, la peau brûlée par le soleil et pleine d’un sable qui crissait à chaque mouvement dans le lit ! Ces anecdotes nous rappellent tous quelque chose de ce qu’est une famille, mais  sont aussi parfois tellement extravagantes qu’on peine à y croire !
  Flore Lefebvre des Noëttes donne vie à tous ces personnages avec de petites touches : un œil mi-clos, une mimique, un petit déhanché  nous font tout de suite savoir avec qui nous sommes. Le texte est bien écrit, subtil, et on perçoit bien l’amour qu’elle éprouve pour cette famille (on ne choisit pas sa famille mais on l’aime, parce que c’est la sienne !)
Chaque anecdote, chaque épisode se conclut juste quand il faut, aucun fil de trop n’est tiré, aucune métaphore n’est filée, on est souvent cueilli par la chute, nous laissant attendri et riant, tandis qu’elle enchaîne déjà sur autre chose, comme la vie qui passe si vite !
 Avec un jeu teinté de burlesque, elle s’autorise des clowneries qui collent bien avec l’esprit parfois absurde qu’elle insuffle à son spectacle. Des chansons de Jean Ferrat, Michel Polnareff, Christophe, Sœur Sourire et  de Colette Magny (un très beau Melocoton) sont diffusées ou chantées par Flore Lefebvre des Noëttes.
C’est une malle aux trésors qu’elle nous ouvre  et on aurait tort de s’en priver; on ne sait plus trop si l’humidité de nos yeux est  faite de rire ou d’émotion; en tout cas,  elle nous offre un moment de théâtre généreux et modeste qui met du baume au cœur. Merci !

Julien Barsan.
Le texte de la pièce est publié aux Solitaires Intempestifs.

Février 2015 :
– Création du spectacle du 4 au 6 à la Comédie de Picardie à Amiens
– Du 9 au 13, tournée « Hors les murs » du Théâtre du Nord, CDN
– Du 17 au 20 à la Comédie De l’Est, CDN de Colmar

Avril 2015 :
– Du 8 au 10 à Chatenay-Malabry et Anthony, La Piscine
– Les 15 et 16 au Théâtre Montansier de Versailles

Mai 2015 :
– Du 11 au 13 au CDN de Besançon
– 6 représentations courant mai/juin dans le cadre du festival des caves de Besançon, en partenariat avec le CDN.

Juillet 2015 :
Festival d’Avignon- Du 4 au 26 juillet au Théâtre des Halles, Chapelle Sainte-Claire à 20H

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Simon la Gadouille

Simon la Gadouille  une pièce imaginée par Rob Evans, Andy Manley et Gill Robertson, texte de Robert Evans, traduction de Séverine Magois, mise en scène  d’Arnaud Anckaert

 C’est d’abord une  chose tout à fait insolite dans le théâtre pour enfants:  Simon la Gadouille est un monologue, une sorte de conte empreint de tendresse et un peu dur,  en une heure qui retrace l’histoire de deux  enfants  devenus inséparables, Martin et Simon; ils s’étaient jurés de rester amis pour toujours mais dont l’amitié s’est bêtement brisée. Avons-nous vingt ans après, encore deux, voire  un seul copain de l’école primaire?
“Des gamins qui hurlent, mamie est assise, maman inspecte le rayon parfums, vaporisant des nuages de Chanel N° 5, déjà en vacances. Tous attendent d’embarquer. De s’envoler loin, ailleurs. Personne ne remarque ces deux hommes. Sauf la femme de ménage. Lavant le sol. Elle les voit marcher l’un vers l’autre. Deux paires de chaussures. Celles en cuir verni blanc qui ont fait tout le chemin depuis Los Angeles et celles en daim brossé marron qui ont fait le chemin depuis Édimbourg. Marchant. Comblant la distance. Sur le point de se rencontrer. Pour la première fois depuis trente ans… »

Martin est un nouvel élève dans l’école de Simon. Ils font connaissance  et deviennent vite inséparables.  Il sont dans la classe de M. Truman. Martin est assez fort au football. Simon, lui pas vraiment mais il n’a pas d’autre ami que lui. Mais il dessine de mieux en mieux.
Il va tomber dans la gadoue, les autres se moquent de lui et l’appelleront aussitôt Simon la gadouille. Martin  se détachera petit à petit de son ami pour être copain avec les autres. Martin est devenu capitaine de l’équipe de foot. Et ils ont remporté le championnat. »

  « Simon lui a eu un de ses dessins publié dans le Evening Times. Un dessin humoristique où l’on voyait un lampadaire faire pipi sur un chien. Et qu’on lui a payé 10 £. Ils se croisaient dans la rue quelquefois. Sur le chemin de l’école. Sur leur dernière photo de classe, Martin se tient entre Stuart et Colin. Meilleurs copains. Simon se tient au fond. Le dernier jour de l’année, monsieur Truman leur dit à tous : « Donnez le meilleur de vous- mêmes. Travaillez dur. Soyez la fierté de l’école. » Tout le monde se dit, oui, oui, promis. Et voilà. Fin de l’école primaire. »
Ils deviendront adolescents puis adultes. Mais c’est curieux la vie, un jour, Martin croit voir à un feu rouge le visage de  Simon dans une voiture.  Encore sous le choc, rentré chez lui, il tape le nom de son ancien ami. Rien!
Quand, pris d’une soudaine mais efficace intuition, il tape Simon la Gadouille et, miracle, il trouve aussitôt : Simon est à la tête d’un orchestre rock à Los Angeles; Martin lui écrit, Simon lui répond, et ils vont bientôt se retrouver dans un aéroport… La pièce débute et finit par cette rencontre qui va avoir lieu…

Mais  Robert Evans laisse astucieusement aux enfants le soin d’imaginer la suite. La pièce se termine mais ne finit pas… Brève rencontre, ou retrouvailles à nouveau pour la vie, régulièrement , ou  rendez-vous fugitifs, juste  le  temps de se recroiser dans un aéroport, de  se parler au téléphone,  ou  de s’envoyer sans trop d’illusions,  un courriel? Leurs femmes et enfants, s’ils en ont, connaîtront-ils un jour le vieux copain de leur papa?
  Le texte de Robert Evans est d’une rare simplicité mais très efficace auprès des enfants, et il parle avec une grande simplicité du courage quand on est enfant face aux autres, mais aussi du remords qui vous prend ensuite plus âgé de n’avoir pas été à la hauteur de la situation quand on était encore gamin, puisqu’il sait leur parler de leur univers: l’école, de leur amitiés naissantes ou déjà existantes, et des adultes qu’ils deviendront un jour? Les prénoms sont tous anglais bien sûr, mais Judith Montgomery, Sharon McGuinness et Colin Maxwell, mais cela n’a pas l’air de les surprendre et ajoute même un certain exotisme tout à fait favorable à l’énonciation d’un conte. Enfin, on voit cela comme cela, de notre hauteur de grand-père…
  La mise en scène d’Arnaud Anckaert est comme toujours d’une absolue rigueur. Rien d’autre sur le plateau que deux banales chaises d‘école,  et dans le fond de la salle, un autre petite scène couverte d’herbe synthétique où officie Benjamin Delvalle qui soutient certains moments du texte à la guitare électrique et  lance la bande-son.
Les enfants sont assis pour la plupart sur des bancs en arc-de-cercle ou sur des gradins. François Godart,  comédien qu’on avait déjà vu dans les autres mises en scène d’Arnaud Anckaert est impeccable, et assure à la fois le  récit et tous les rôles comme dans un conte. 
Silence absolu dans la salle : les enfants écoutent avec une rare attention et sont très sensibles à cette histoire un peu triste (à peine une heure), qui, en même temps, laisse la porte ouverte à l’espoir. Et il y a eu un très beau moment après le spectacle, quand Arnaud Anckaert a demandé si les enfants avaient des questions à poser. Un petit garçon  a demandé pourquoi la fin était pareille que le début ! Un autre  (huit ans au garrot maximum) a dit aussi d’une voix douce : «Comment fait le comédien pour garder tout le temps une telle émotion avec une histoire triste comme celle-là ».
  Voir un spectacle aussi juste et aussi émouvant, et entendre de telles phrases, il y a des jours comme cela à marquer d’une pierre blanche, et cela valait le coup d’aller à Béthune… Simon la gadouille est un spectacle qu’il est mieux de voir,  disons à partir de huit ans, guère avant mais les adultes le savoureront aussi.       

 Philippe du Vignal

Le spectacle a été créé à la Comédie de Béthune, dirigée maintenant par Cécile Backès, dans le cadre du festival  jeune public Artimini, les 17 et 18 avril.

Le Bateau-Feu, Scène Nationale de Dunkerque du 13 au 17 octobre. Le Grand Bleu à Lille du 9 au 14 novembre. Théâtre Dunois à Paris du 1er au 13 décembre. Festival Momix à Kingersheim entre le 27 janvier et le 8 février 2016 (à confirmer) et Phénix/ Scène Nationale de Valenciennes du 10 au 12 mai 2016.

 

 

 

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