La Vie de Galilée

Galilée

La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, mise en scène de Jean-François Sivadier, collaboration artistique de Nicolas Bouchaud

 

On connaît l’histoire et la fin de l’histoire : le mathématicien et physicien Galilée a vu les lunes de la planète Jupiter et en a déduit cette chose toute simple : la terre tourne. Mais il faut vivre : l’Église n’entend pas que sa toute puissance soit ébranlée, et donc il faut que Galilée se taise, qu’il abjure la raison, que le terre cesse de tourner et redevienne, comme chaque petite âme sur laquelle Dieu veille, le centre du monde créé. J’avoue, je reconnais, je me soumets ! «E pur si muove», (Et pourtant elle tourne).
La pièce avait été mise en scène par la même équipe, il y a  plus de dix ans. Si elle y revient aujourd’hui, c’est que ce grand classique populaire retentit d’un écho particulier. Et d’abord, au premier degré, comme une défense et illustration de la raison. La raison ne désenchante pas le monde, elle est, au contraire, une grâce divine qui le réenchante, l’élargit, le met en mouvement : bonne pensée à voir et à entendre en ces temps complotistes et obscurantistes.

  La liberté d’opinion et d’expression n’est pas non plus une réalité si évidente qu’il soit inutile d’en rappeler l’importance, vitale pour les hommes qui voudraient rester hommes. Mais ce sont là des leçons explicites du texte, du reste à leur juste place : Galilée était aussi pédagogue. Il y a en d’autres, comme, par exemple, celle-ci : pour être savant, on n’en est pas moins homme, avec ses petites faiblesses, comme de s’emparer utilement de la découverte d’un autre, et avec ses besoins : il faut payer le loyer et le laitier…
Bertolt Brecht, en déroulant avec une logique sans faille (la moindre des choses pour un chantre de la raison) les tenants et aboutissants de toute l’affaire, développe avec soin chaque contradiction. Il donne la parole à l’adversaire, l’élite cynique de l’Eglise, qui veut bien entendre parler des observations de Galilée, mais à condition qu’elles restent secrètes et qu’elles n’ébranlent pas l’obéissance (plus que la foi) du peuple, comme le curé de campagne charitable pour qui l’aveuglement aide ses ouailles à tenir  dans leur misère.

Évidemment, Bertolt Brecht, contraint par les nazis à s’exiler, parle de lui-même, et il a été amené à réécrire sa pièce après la guerre, dans une Europe hantée par le spectre du danger atomique. Evidemment, il le fait à sa façon, avec un humour très opérationnel. Comme lui, Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud et leur équipe ont remis l’ouvrage sur le métier.
La vie, explosive, en mouvement perpétuel, est toujours là. Le plateau est toujours ce nid de surprises dont on s’était régalé : les planches se soulèvent, se construisent, se rangent et se dérangent, fabriquant le théâtre sous nos yeux, dans l’instant, entre les mains des comédiens. Mais le clownerie virtuose et poétique recule un peu devant la politique.
Le ton est-il plus grave, ou les temps sont-ils plus durs ? La vitalité du spectacle semble maintenant plus rangée. Quoi qu’il en soit, cette Vie de Galilée est exemplaire : jouissive, pleine de sérieux et d’invention, cohérente et rigoureuse dans un accord parfait entre propos et trouvailles scéniques. Du beau, du grand théâtre populaire.
On est prévenu: la représentation dure plus de trois heures. Mais c’est du temps bien employé…

 Christine Friedel

 Le Monfort, Paris XV ème à 20h, jusqu’au 21 juin. T : 01 56 08 33 88  


Archive pour mai, 2015

Britney’s Dream

Britney’s Dream, texte et mise en scène d’Alexandra Flandrin

 Britney La comédienne franco-américaine, va d’une langue à l’autre et se glisse avec ironie dans la peau de la sulfureuse glamour chanteuse Britney Spears, poupée glamour en short et petits hauts. Chorégraphies ravissantes, incroyables costumes moulants en tissu synthétique, effets vidéo vertigineux, et ballet de lumières dû à Alexandre Dujardin : le spectacle est un raout de couleurs et un concert de sons pop aux couleurs scintillantes flashy, rose, turquoise, doré. Paroles et danse chaloupée au millimètre  sont en accord avec un magma d’images irréelles, entre spots publicitaire et jingles.
  La capacité vocale réelle de Britney Spears paraît en effet dépendante des nombreux effets  spéciaux créés pour plaire à ses fans. L’importance du marketing semblant inversement proportionnelle à la qualité du travail. Pour le bonheur immédiat et illusoire d’un public d’adolescents… Mais la machine à fabriquer des starlettes tourne à vide, laissant sur le bord de la route les âmes les plus sensibles qui deviennent les rebuts d’une société qu’ils ont embrassée sans compter et qui les a dévorées.
Ces objets manipulés par les médias et les  boîtes de communication de l’audio-visuel cherchant à créer le dernier avatar d’une nouvelle star célébrissime et une promesse de fortune sur les ondes, sont des produits n’existant qu’à peine. Britney raconte ainsi qu’elle est « heureuse d’être Britney, mais perdue dans les affres de la célébrité, elle se demande qui elle est. » Prisonnière des drogues, elle sombrera dans un vide qui la conduit vers la dépression, la maladie et la folie. Un cauchemar où elle ne se reconnaît plus ni elle-même, ni reconnaît le monde. Réduite à l’apparence d’un fantôme, ange ou démon, elle brûle sa vie sur les planches et n’a plus d’existence réelle, persuadant l’auditoire qu’elle possède une joie de vivre et un bonheur indéfectibles : « Happy, happy, happy life ».
La petite fille qui a toujours voulu devenir une star – les petits garçons rêvent de football -, incarne  une  réussite paradoxale jusqu’à l’échec. Alexandra Flandrin a aussi écrit les paroles des chansons sur une musique  de David Georgelin;  impressionnante dans la transfiguration et l’incarnation de ce personnage, elle danse ,arpente la scène avec bonne humeur, s’amuse et chante micro tout près du visage, incarnant cette marionnette facétieuse et glamour, mimant la starlette dont elle se moque.
Elle se vêt et se dévêt avec grâce, ne perdant pas un instant ; souple, ondoyante, infatigable sous un maquillage outrancier, et coiffée d’une perruque en cheveux synthétiques.

Un beau voyage plein d’effroi au pays des illusions dont on ne revient qu’avec amertume.

 Véronique Hotte

 Spectacle joué au Théâtre Paris-Villette, les 27 et 28 mai à 20h30

 

La Maison de Bernarda Alba

La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, traduction de Fabrice Melquiot, mise en scène de Lilo Baur

 

620400158.2Federico García Lorca entre enfin au répertoire de la Comédie-Française, avec La Maison de Bernarda Alba, dernier volet de sa trilogie rurale destinée à être jouée par sa compagnie dans les villages espagnols. Il venait de terminer cette pièce en 1936, quand il fut sauvagement assassiné par des miliciens franquistes. L’écrivain s’en prend avec virulence aux traditions rétrogrades d’une société dont les femmes sont victimes dans cette pièce, qui, longtemps interdite  dans son pays, garde aujourd’hui toute son actualité dans de nombreuses parties du monde.
 » C’est une souffrance d’être née femme », constate Amelia, enfermée comme ses quatre sœurs dans la maison familiale.  » Même nos yeux ne nous appartiennent plus », renchérit Magdalena. Leur mère, l’implacable veuve Bernarda Alba, soucieuse du qu’en-dira-t-on, entend garder ses filles loin du regard des hommes, pendant huit ans, en signe de deuil, comme le veut la coutume andalouse des années 30.
Les servantes s’agitent: on prépare les noces de l’aînée, Augustias, avec le sémillant Pepe le Romano dont les cinq filles de Bernarda se disputent l’amour. Adela, la plus jeune, est elle « la vraie fiancée du Romano »,  et la nuit, rejoint « le plus beau gars du village », après qu’il ait fait sa cour officielle à Augustias : « C’est à son argent qu’il en veut. Elle est vieille et flétrie (…) mais c’est la seule femme riche de la maison ». « Je ne veux pas faner, se révolte Adela , mon corps sera à qui je voudrai », et la voilà, virevoltant parmi les plumes, dans sa robe d’anniversaire verte, tache lumineuse au milieu des habits sombres des autres .
La mise en scène de Lilo Baur joue astucieusement sur les effets de couleurs et sur l’opposition dedans/dehors. Le haut mur noir qui clôt l’espace matriarcal, devient, selon l’éclairage, une paroi à claire-voie aux découpes ouvragées, laissant entrevoir le monde extérieur : un cortège funèbre, un chœur de joyeux moissonneurs qui lutinent des filles aux mœurs légères, une foule en furie lapidant une jeune fille, mère infanticide.
À mi-hauteur de ce haut mur noir, s’ouvrent les fenêtres où les jeunes filles en chemise blanche guettent, le soir venu, le passage de Pepe, ombre silencieuse rodant autour du gynécée. Subrepticement, Adela le retrouve pour un corps à corps dansé, muet et passionné.
Du dehors, parviennent des ragots, colportés par les domestiques et la rumeur du village : aboiement de chiens, hennissement d’un étalon en chaleur dans la cour… Autant de sonorités qui renforcent l’impression  d’étouffement, de refoulement sexuel, imposés aux jeunes recluses. Un huis-clos malsain qui, va tourner au  tragique. La vivacité et le franc parler des servantes (Claude Mathieu et Elsa Lepoivre) contrastent avec la sécheresse abrupte de Bernarda (Cécile Brune) ; la fraîcheur et la spontanéité d’Adeline d’Hermy qui interprète Adelia offrent un juste contrepoint au jeu des autres actrices, chacune très juste dans son personnage.
La pièce révèle ici son efficacité dramatique et toute sa force poétique, grâce à la traduction de Fabrice Melquiot qui lui donne un sérieux coup de jeune. Le spectacle séduit par son intelligence et sa sobriété, la beauté fonctionnelle de la scénographie d’Andrew D. Edwards, et l’interprétation sans apprêt des comédiennes.
Federico García Lorca est ici très bien servi !

 Mireille Davidovici

Comédie-Française/salle Richelieu jusqu’au 25 juillet (en alternance). T. : 0 825 10 1680 – www.comedie- francaise.fr

 

Marylin, Confession inachevée

Marylin, Confession inachevée, de Ben Hecht, en collaboration avec Marylin Monroe, adaptation de Stéphanie Sphyras, traduction française de Jeanne Hérisson, images de Milton Greene, mise en scène de Benoît Nguyen Tat

 marylin« La pièce s’inscrit dans le projet transmédia Up to date Marilyn. À travers une installation, une pièce de théâtre, un site internet  et deux  séries,  ce projet propose une relecture du mythe Marilyn».
Avec des  photos  de  Milton Greene, récemment restaurées, et une adaptation bien ficelée d’une remarquable fausse autobiographie de l’actrice, My Story by Marylin Monroe par Ben Hecht (1876-1964) .

D’abord; correspondant étranger pour 75 journaux dont The Daily News, puis romancier à succès  avec, notamment Un Juif amoureux, nouvelliste et dramaturge, il fut surtout connu comme scénariste des Nuits de Chicago de Josef von Sternberg, et d’Howard Hawks, Otto Preminger, Henry Hatahaway et Alfred Hitchcock.
  Mais, comme en prévient honnêtement le metteur en scène avant le spectacle, ce sont les débuts de Marylin et sa vie jusqu’à la guerre de Corée qui sont seulement évoqués ici. Norma Jeane Baker, née en 1926,  devenue plus tard la très célèbre Marylin Monroe, est morte en 1962 à 36 ans, sans doute suicidée ou à la suite d’une trop forte dose de somnifères, d’aucuns ont aussi dit assassinée, un an donc avant John Fitzgerald Kennedy qui fut son amant.
Le début de sa vie fut une longue errance ; de père inconnu, abandonnée par sa mère, Marylin fut avec son frère et sa sœur confiée à onze familles d’accueil différentes ! Elle travailla d’abord en usine, avant d’être mariée à 16 ans avec un ouvrier ; elle réussit assez vite à faire la photo de d’une trentaine de couvertures puis devint mannequin en 1945. Elle prend des cours de théâtre, et continue de se teindre en blond.
Elle signe un premier contrat de six mois à la Fox et devient Marilyn Monroe en 47 quand elle joue dans Bagarre pour une blonde et Dangerous Years. En 1948, elle est engagée par la Columbia pour un film musical  Les Reines du music-hall.  Mais c’est un échec, et son contrat n’est pas renouvelé.
 Puis, elle joue dans La Pêche aux trésors des Marx Brothers, grâce à Johnny Hyde, de la William Morris, devenu son agent et amant. Puis dans Quand la ville dort de John Huston, mais, à court d’argent, elle pose nue pour un calendrier,  ce qui contribuera ensuite à sa célébrité. Repérée par Howard Hughes et par Joseph L. Mankiewicz,  elle est engagée pour Eve avec Bette Davis en 1950.
Marilyn négocie un contrat de sept ans avec la Fox  et s’inscrit en art et littérature à l’université de Californie, et en 52,  se marie avec Joe di Maggio, vedette de base-ball. A l’occasion d’un tournage au Japon, elle va chanter en 54 pour les  combattants américains en Corée réunis par milliers fascinés par celle qui accèdera vite au statut de star après Les Hommes préfèrent les blondes, Sept ans de réflexion et Certains l’aiment chaud.
C’est tout cela que raconte dans une petite salle, ce spectacle interprété de façon tout à fait remarquable par Stéphanie Sphyras ; Benoît Nguyen Tat a eu l’intelligence de ne pas lui faire incarner Marylin ; la partie réaliste étant dévolue aux seules photos projetées parfois formidables comme celles prises pendant ses récitals en Corée

Impeccable, elle a une belle présence et Jando Graziani interprète avec intelligence et discrétion les différets interlocuteurs de Marylin.
Cela dit, on ne voit pas bien ce que peuvent apporter les micros HF dans cette histoire, d’autant plus que la petite salle ne peut accueillir qu’une trentaine de spectateurs. On ne voit pas non plus à quoi servent ces praticables que les deux acteurs transportent sans arrêt. Et Benoît Nguyen Tat aurait pu nous épargner ces illustrations un peu naïves du texte par des photos comme si c’était indispensable à la compréhension de son spectacle ; d’une manière générale, cette projection de séries de photos fait mauvais ménage avec le texte et les deux interprètes, qu’elle parasite inutilement.

  En fait, on est assez déçu du voyage et on a l’impression que si Stéphanie Sphyras nous avait révélé le texte de Ben Hecht, seule sur scène, sans micro, sans photos projetées, et sans accompagnement musical, le spectacle « aussi envoûtant que son sujet » (sic) comme le dit la prétentieuse note d’intention! aurait été plus efficace.
En tout cas, malgré cette mise en scène approximative, on écoute avec plaisir cette fausse mais étonnante autobiographie qui nous révèle la vie mouvementée d’une autre Marylin, travailleuse, intelligente, parfois espiègle mais marquée par une enfance difficile et restée psychologiquement très fragile. Elle aurait eu cette année 89 ans…

Philippe du Vignal

Le Local, 18 Rue de l’Orillon, 75011 Paris. Métro Belleville. T: 01 46 39 11 89 jusqu’au 31 mai. http://www.updatemarilyn.com
Confession inachevée, en collaboration avec Marilyn Monroe, de Ben Hecht a été publié  chez Robert Laffont en 2011.

 

Golem

Golem par le collectif 1927, mis en scène de Suzanne Anglade, (en anglais sur-titré)

 

golemLes personnages de cette fable moderne hilarante évoluent dans un univers graphique proche des illustrations d’albums-jeunesse anglais : un film d’animation est projeté en fond de plateau, avec lequel les acteurs interagissent, en se détachant de ce décor mouvant.
Il y a ici la sœur, leader d’un groupe punk: Ann and the Underdogs (Anne et les prolétaires), dont fait partie son frère, Robert, employé sans ambition au Bureau de la sauvegarde où, en mode binaire, l’on sauvegarde les sauvegardes… PJ, le batteur, se joint aussi à eux, et au fond de leur cave, ils répètent un répertoire grinçant « pour pourrir le Noël des gens ».

 La grand-mère, de son coté, vit au milieu de ses livres et souvenirs… Un jour Robert ramène un brave gros Golem à la maison, et leur monde bascule insidieusement et de façon radicale. « Nous avons vu notre entourage devenir de plus en plus accro aux téléphones portables et à Internet, explique la metteuse en scène. Lors de nos recherches sur le mythe juif, nous avons  tout de suite  fait le lien avec l’intelligence artificielle et le clonage »
A partir de la vieille légende, Golem devient ici l’histoire d’une famille ordinaire, peu à peu manipulée par un pantin humanoïde qui, de serviteur muet, devient un tyran domestique, convertissant chacun, jusqu’à l’aïeule, aux nouvelles technologies aliénantes. La poupée d’argile se mue en Golem version n°2, redoutable fils de Google et Facebook, suppôt de Big Brother, qui va entraîner les protagonistes dans une déshumanisation inéluctable. Les cinq comédiens et musiciens du collectif britannique 1927 (date de naissance du cinéma parlant), déploient une énergie et une inventivité surprenante, tant sur le plan visuel que textuel : le livret de Suzanne Andrade, se réfère notamment à l’univers des « nursery rhymes », ces fameuses comptines anglaises pour endormir les enfants, et Lewis Carroll.

 Le mariage entre le film d’animation et les scènes  jouées en direct  sont d’une précision diabolique, et il a fallu plus d’un an de travail au collectif 1927, pour mettre en place ce cabaret foisonnant où musique, dessin et jeu se mélangent savamment, pour notre plus grand plaisir.
A ne pas manquer.

 Mireille Davidovici

 Théâtre de Abbesses jusqu’au 4 juin. T : 01 42 74 22 22 ; www.theatredelaville-paris.com

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Gabriel(l)e

Adolescence et territoire(s), troisième édition

 Gabriel(le) par le collectif In Vitro, création collective avec  dix-neuf adolescents, dirigée par Julie Deliquet, Gwendal Anglade et Julie Jacovella

Gabrielle
Depuis 2012, l’Odéon-Théâtre de l’Europe est maître d’œuvred’Adolescence et territoire(s), un projet  qui réunit des  structures associatives et culturelles de  Clichy-la-Garenne, Saint-Denis et Saint-Ouen, voisines des Ateliers Berthier à Paris où,  après Didier Ruiz et Jean Bellorini, le collectif In vitro: Julie Deliquet, Gwendal Anglade et Julie Jacovella  mettent en scène pour cette troisième édition, Gabriel(le).
Gabriel (le) est retrouvée morte accidentellement dans de curieuses circonstances :  dix-neuf jeunes amateurs ont imaginé un spectacle à partir d’improvisations collectives et donnent vie à une fiction : « L’adolescent et le personnage, le réel et l’improvisation cherchent à ne faire qu’un, tel est l’enjeu de ce plateau ».
La question est celle du harcèlement des plus faibles par les plus forts, les groupes de jeunes marginalisant et excluant à plaisir «l’autre». Passer son temps à harceler la personne que l’on sent fragile, fait qu’on s’éprouve soi-même comme plus fort et plus solide dans un geste illusoire de pouvoir mais dont les conséquences peuvent être tragiques.
Être du côté du bourreau, un challenge, et tenir la victime à ses côtés pour la soumettre sans répit à de petites attaques réitérées; l’exciter, l’attaquer par des moqueries, des paroles blessantes ; l’importuner enfin par des demandes, des sollicitations et des pressions ; bref,  lui rendre la vie impossible.
La situation est vite exposée: la faiblesse de l’un(e) face à la puissance d’un groupe constitué, lors d’une soirée bien arrosée. Dans la nuit, il y a un seul personnage, puis  entre  le groupe, et se produit alors l’acte irréversible.

Les jeunes gens essayeront de dénouer le drame en revenant sur les motivations et les agissements des uns et des autres. Deux sœurs parlent entre elles, comme une mère et sa fille, un fils face à son père et à sa sœur, une autre mère encore avec son enfant. Paroles énigmatiques, explications vaines et décevantes : chacun veut échapper à la faute collective et mettre à distance sa propre culpabilité.Les scènes s’inscrivent en étoile dans l’ombre, puis tous reviennent sur le plateau, chantant à l’unisson, au son d’une guitare, aux lumières chaudes d’un beau soleil couchant.
Les jeunes vivent ainsi comme leur propre roman de formation, dépassant le clivage entre adolescence et âge adulte, dépassant l’angoisse et la critique des adultes conformistes, trop adaptés à la réalité. On a volé la jeunesse insouciante de ces enfants, livrés à eux-mêmes, sans cadre parental, et initiés trop tôt à des comportements adultes qu’ils ne saisissent pas, et qui provoquent en eux  désespoir ou haine.
Ils font malgré eux de la victime, une héroïne à l’existence brève :« Et c’est dans la limpide rosée de ce matin, la jeunesse/ Qu’il faut craindre le plus les contagions mortelles. » dit Shakespeare dans Hamlet.
Un spectacle émouvant, tant les adolescents se sentent engagés dans cette histoire de vie et de mort qu’ils se doivent de contourner.

 Véronique Hotte

 Ateliers Berthier /Odéon-Théâtre de l’Europe, les 22 et 23 mai.
Théâtre Rutebeuf, Clichy-la-Garenne le 6 juin à 15h et 20h. T: 01 47 15 98 50.
Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, le 13 juin à 20h. T: 01 48 13 70 00.
Espace 1789, Saint-Ouen, le 18 juin à 20h. T: 01 40 11 70 72

Une Famille aimante mérite de faire un vrai repas

Une Famille aimante mérite de faire un vrai repas, texte de Julie Aminthe, mise en scène de Dimitri Klockenbring

Visuel 5 © Théâtre de l'Homme Dimitri Klockenbring avait monté en 2010, un Misanthrope qui lui avait valu un beau succès. Il s’attaque, cette fois, à un texte contemporain. C’est sur un thème souvent exploité, celui  d’une famille tout à fait ordinaire. Même pas recomposée comme le cinéma s’en empare régulièrement. Mais, on s’en doute, des plus grinçantes (sinon il n’y aurait pas de pièce !), en proie à un bonheur factice que Julie Aminthe  a visiblement savouré à écrire.
 Et cela, dès le titre sous forme d’alexandrin. Il y a dans la famille Lemorand, Barbara,la mère BCBG, 42 ans, visiblement assez perturbée et insupportable, qui ne cesse de demander encore plus d’affection à ses enfants  dont on ne verra pas Amélie, partie elle aussi fonder une « famille aimante »…
 «  Mon amour ! Je ne t’ai pas ratée toi, dit-elle à Justine, 16 ans, chez toi rien à repriser tu es une perfection.Si on avait dû te vendre ton père et moi on en aurait demandé des millions., dit-elle à Justine, 16 ans qui répond seulement : « Desserre, maman ». Elle a nettement encore besoin de  sa mère, mais redoute l’avenir : «Tu te trompes papa. Même qu’en ce moment, il y en a une qui me tenaille franchement la tête. Rapport à la réforme des retraites. Si la nouvelle loi est appliquée, jusqu’en 2050, il faudra cotiser quarante-trois ans et demi pour une retraite pleine. C’est maman qui l’a dit au téléphone à je ne sais plus trop qui. Les générations nées en 1990 et après ne vont pas y échapper ».
  Mais, comme Gabriel (14 ans), elle  n’en peut plus d’être enfermée dans ce cocon familial étouffant et rêve de s’en échapper : « Nous partons avant qu’un nœud de pendu empoigne nos deux pieds, que l’air aseptisé de la maison étouffe le peu de vitalité qu’il nous reste ».
 Son frère est un accro aux jeux vidéo mais un soir  s’enfuira chez son copain Matthieu… avant, bien sûr, de revenir le lendemain !
 Il y a aussi le père, Victor, 42 ans, psychorigide, maniaque de la propreté et de la lutte contre les bactéries, qui ne cesse de nettoyer planchers et plans de travail. On apprendra plus tard qu’il est en fait au chômage, chose qu’il a soigneusement cachée et qu’il finit  par avouer à chacun de ses proches. Et en leur donnant la raison : il n’a pas été viré pour cause de licenciement économique mais parce qu’il a été surpris pour avoir volé quelques centaines d’euros. « T’es con, lui dit sèchement  son fils, t’aurais dû en prendre beaucoup plus ». Il dévoile aussi avec honte quel est son emploi du temps quotidien : à savoir de longues balades en voiture ou en bus, selon la version servie à son fils à) sa fille puis à Barbara…
Ce soir-là, dit-elle à sa fille , « Je prépare un repas de fête à toi, ton frère et papa. Que des choses que vous aimez : terrines de foie au porto filets mignons aux morilles, bavarois aux fruits rouges » On le mérite. Une famille aimante mérite de faire un vrai repas. Un repas qui réchauffe la chair et l’esprit de tribu. Ce soir tu verras nous serons joyeux à hurler à la lune ». Barbara répètera cela en boucle comme pour  exorciser une situation qu’elle ne maîtrise plus…
Bref, tous les ingrédients sont là pour un fait divers dramatique avec du sang. Mais, non aucun meurtre, aucun suicide, on n’est pas chez Tchekhov et il ne se passera rien ; la vie, on le suppose,  continuera… comme chez Tchekhov.  Barbara aura simplement  cassé les assiettes et bousillé le repas en barquettes qu’elle a commandé chez un traiteur avec un chèque sans provision car il n’y a plus d’argent dans cette famille aimante qui n’aura même pas un vrai bon repas…

Et c’est Justine qui aura le mot de la fin quand elle répond à son frère : « ndispensable petit con». Tout est dit! La connerie humaine, et des personnages qui  ne se supportent pas, et qui ont malgré tout, absolument besoin des autres. « L’esprit de tribu », comme dit Barbara. Les dialogues imaginés pour ces brèves séquences, ponctuées par des airs de musique baroque, sont particulièrement ciselés, et les répliques claquent. Parfois, un peu trop proches du mot d’auteur. Mais bien écrits et savoureux.
 Et Julie Aminthe n’hésite pas à faire parler cru ses personnages  qui parlent souvent  sexe: « Il n’y a plus de Doliprane à cause de tes règles à la con, dit Gabriel ».  « Je suis désolée, lui répond Justine, de pisser des caillots comme des dés à coudre. »
 Bien sûr, on pense à Harold Pinter et à Martin Crimp qui, eux aussi, parlent beaucoup des relations entre proches parents. Ici, en un peu plus d’une heure, tout est dit et bien dit de cette déconstruction de la cellule familiale. Dans une mise en scène impeccable où  tout est précis. Sur le plateau, rien que trois bandes de sols différents, celui en parquet d’une salle à manger avec son petit lustre doré ridicule, celui carrelé de la cuisine avec une table roulante, et salon avec moquette et gros coussins.
Direction d’acteurs tout aussi impeccable: Jean Bechetoille, Olivier Faliez, Fanny Santer et Marie-Céline Tuvache sont absolument crédibles, dans des rôles pas faciles, et cela, dès qu’ils entrent en scène. Il y a juste parfois quelques problèmes de diction qu’on peut résoudre facilement. La petite salle est bourrée et le public a applaudi longuement.
Que demande le peuple ?

 Philippe du Vignal

 Théâtre du Lucernaire 53 rue Notre dame des Champs 75006 Paris jusqu’au 28 juin.

 

 

Adieu,Yano Iatridès

 

Adieu Yano

image La voix douce et prévenante d’une ancienne élève de l’Ecole de Chaillot me  disant gentiment jeudi au téléphone: Yano Iatridès a été emportée en quelques jours, à cinqunate-deux ans, par un cancer du poumon foudroyant! La tristesse absolue en ce matin de mai!
Danseuse, chorégraphe, et comédienne-elle joua dans L’Orage et dans Finnaly de Stéphen Belber, (voir Le Théâtre du Blog), Yano  Iatridès a donné de nombreux cours  aux acteurs comme aux danseurs. Avec une passion de transmettre et une rare générosité.
Elle dansa notamment avec Caroline Marcadé, Christian Bourigault, Anne-Marie Rainaud, et aborda très vite le monde du théâtre quand elle  enseigna à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot, puis à l’école d’Asnières, et  au Conservatoire de Cergy-Pontoise…
Elle créa le Groupe Ecarlate, association de comédiens, danseurs, musiciens, auteurs, et travailla souvent comme chorégraphe avec Paul Desvaux  dans L’Orage d’Ostrovski, etc…), mais aussi avec Eugène Durif, Pierre Vial, Stuart Seide, Christophe Rappoport et la fanfare des Grooms, la compagnie  Gérard-Gérard issue de la dernière promotion de l’Ecole de Chaillot et Julien Bleitrach.
Elle coacha aussi  Vincent Perez pour Fanfan la tulipe, Stéphane Freiss pour  Albert Camus, Gérard Darmon pour Même pas mort et elle assura la chorégraphie de  plusieurs films dont L’Homme sans tête  de Juan Solanas. Et elle participa régulièrement, au festival Banlieues’Arts, n’épargnant ni son temps ni son énergie. Alice peut être fière de sa maman, et tous les élèves de Yano, comme tous ceux qui auront eu la chance de collaborer avec elle, ne l’oublieront pas. « Ne penses pas, écrivait Nicolas de Staël, à la mère de sa femme disparue, que les êtres qui mordent la vie avec autant de feu dans le cœur, s’en vont sans laisser d’empreinte ».

Philippe du Vignal

Les obsèques de Yano Iatridès auront lieu mardi 26 mai à 11 h 30 au crématorium du Père Lachaise, à Paris (XX ème).

Le Kojiki

Kojiri

Le Kojiki- Demande à ceux qui dorment, texte et mise en scène d’Yann Allegret

 

Le Théâtre Dunois présente la première création jeune public de la compagnie (&) So Weiter, (plus facile à écrire qu’à prononcer !)  qui propose aussi recherches et rencontres, entre autres, avec des sportifs comme pour La Plénitude des Cendres (voir Le Théâtre du Blog). Le Kojiki s’inspire d’une très ancienne légende japonaise, dont le texte vient d’être réédité dans une jolie version illustrée, aux éditions Gallimard-Jeunesse. Une  version radiophonique a aussi été enregistrée, et diffusée sur France Culture*.
Un père est venu embrasser dans son lit sa fille, dont la mère est absente. C’est certainement cette absence inhabituelle qui la contrarie un peu et l’empêche de s’endormir. Elle s’imagine tout un monde et une voix qui  lui pose deux questions auxquelles elle devra impérativement répondre sous peine de ne plus jamais fermer les yeux. Comment tout a commencé ? Pourquoi tu es toi-même ?  Deux interrogations que la petite fille relaiera à son père qui, pour bien y répondre,  lui racontera une histoire qui va remonter  jusqu’avant la création du monde.
C’est évidemment un récit initiatique qui prend la forme d’une épopée avec deux héros, Izanami et Izanagi, sorte de démiurges. Comme dans beaucoup d’autres textes, l’idée est de raconter une belle histoire aux enfants pour répondre à leurs premières questions et angoisses existentielles.  Comme dans Kant, un texte  magnifique de Jon Fos, où là aussi, un père doit répondre à son fils qui ne trouve pas le sommeil…
Aurélia Poirier incarne la petite fille en pyjama; elle évolue parmi des éléments réalistes : table et chaise, lit-c’est là la force du conte et du rêve- qui vont se retrouver noyés dans la fumée et la couleur. Maya Vignando  (la mère) et Pascal Farré, (le père) jouent aussi les deux divinités. Il s’agit de rêves aux lumières très colorées;  les comédiens s’enduisent aussi de pigments de couleur et lancent des confettis .
Mais le jeu trop appuyé, et les gestes, trop amples, manquent de naturel.  Quant à l’histoire, déjà  bien difficile à suivre, elle se perd en circonvolutions, malgré une belle idée de départ. Avec des situations  décrites, au lieu d’être simplement jouées. Certains effets fonctionnent mal  et ce qui est donné à voir est souvent trop riche; bref,  nous sommes vite noyés par une abondance de couleurs et de paroles. Un peu d’épure dans la mise en scène et l’écriture, aurait  sans doute amélioré cette légende.
Le Théâtre pour le jeune public est une alchimie difficile mais peut être magnifique, quelque soit l’âge. Ici les ingrédients sont là mais la mayonnaise ne prend pas malgré des idées et de bons acteurs .

Julien Barsan

Théâtre Dunois à Paris,  les 23 et 30 mai à 18h; les 24 et 30 mai à 16h, et le 27 mai à 15h  T. 01 45 86 39 24

*http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4760404

Dogugaeshi

Dogugaeshi©Richard Termine

 

Dogugaeshi, mise en scène de Basil Twist

 

Par un jeu de perspective impressionnant, des châssis mobiles richement décorés de motifs abstraits ou d’animaux du bestiaire japonais (aigles, tigres, dragons)  glissent les uns après les autres, et  s’ouvrent  jusqu’ au vertige vers le fond du plateau, créant  des effets d’optiques fascinants. Folâtrant dans  ce dédale mouvementé, une seule marionnette : un renard blanc à neuf queues, bien connu des Nippons pour sa ruse et son caractère maléfique.
 Ici, le sympathique animal  évolue sur la musique de Yumiko Tanaka qui  rythme aussi  la  danse du décor par son chant, et sur les cordes de son shamisen. Se découpent de petites fenêtres sur la mer, où naviguent des bateaux,  ou sur un kiosque où valsent de délicates figurines…
Basil Twist , seul Américain diplômé de l’École Supérieure Nationale des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières, est l’un des pionniers de la marionnette contemporaine aux Etats-Unis. Il s’est inspiré, pour son spectacle, de l’ancestrale  technique du dogugaeshi, née sur l’île d’Awaji, au sud du Japon, notamment utilisée dans le théâtre bunraku d’Osaka et Tokyo.  Littéralement, le terme signifie «changement de décor » et consiste à faire coulisser sur des rails des portes décorées de part et d’autre d’un castelet, horizontalement ou verticalement, pour s’ouvrir à la fin sur le  saint des saints Mont Fuji.
L’artiste new yorkais  bâtit un somptueux spectacle. Il s’agit  aussi d’une véritable prouesse de manipulation, car, en coulisse, plus de quatre-vingt  châssis de toutes tailles s’ouvrent, se referment, sans relâche. La pièce, bien que purement formelle, où les séquences s’enchaînent de manière onirique, sans véritable progression dramaturgique, nous  entraîne  dans l’univers fabuleux d’un Japon mythique et nous hypnotise.

 Mireille Davidovici

Biennale Internationale des arts de la marionnette au Mouffetard  73 rue Mouffetard 75005 Paris T. : 01 84 79 44 44 jusqu’au 28 mai.

 

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