Festival de caves
Festival de caves, 10 ème édition:
A l’heure où d’aucuns montent les marches, les spectateurs du Festival des Caves préfèrent les descendre. Un théâtre de crise en prise avec la conjoncture économique? Que nenni. Dix ans déjà que ce festival, né à Besançon sous l’impulsion de Guillaume Dujardin, invite à la catabase (la fameuse descente des épopées grecques).
Si le jeu de mots sonne cruellement dans un contexte culturel inquiet et prudent, le festival conserve sa ténacité, grâce souvent à de jeunes compagnies, à des propriétaires qui prêtent leur cave et à des bénévoles. Avec trente-huit spectacles et soixante-quinze villes participantes, l’événement est maintenant bien implanté.
Du 1er mai au 26 juin, le rituel se répète chaque soir: le spectateur inscrit rejoint ses semblables dans un lieu de rendez-vous tenu secret jusqu’à la veille, d’où il est conduit dans une cave. Que ce soit chez des particuliers, dans un édifice public ou un monument historique (effet Journées du patrimoine garanti!), la jauge minimale (moins de dix-neuf spectateurs, sécurité oblige!) crée un sentiment d’intimité.
Le lieu, souvent peu confortable, humide et pas très chaud, convoque les peurs enfantines: endroit où se terrent les secrets de famille, abri en temps de guerre, garde-manger interdit, réunions d’initiés… Dans ce huis-clos aux allures de caverne platonicienne, les experts en confection d’images sont proches de leurs contemplateurs. Technique réduite, le plus souvent assurée par les comédiens, et scénographie limitée…
Cette année, au sein d’une riche programmation, Louise Lévêque et Anaïs Mazan signent texte et mise en scène de Où?. C’est à une véritable plongée dans l’interrogation que nous convie ce dispositif emmené par une seule comédienne qui égraine les questions quotidiennement récoltées depuis janvier dernier, et diffusées grâce à des casques audio amplifiant la voix du personnage qui évolue dans le noir. S’y entremêlent l’intime, la sphère professionnelle et le tout-venant de l’actualité: « Est-ce ma faute à moi, si toute la merde du monde me saute aux yeux? »
Les questions posées à et par la comédienne, invitent à choisir entre pratiquer l’amour à trois, ou faire un bébé, décrocher son téléphone, imaginer un nouveau projet (passage obligé pour tout acteur culturel) avoisinant les vagues de fond des débats post-Charlie. La vox populi et la presse déversent ainsi leur lot d’inquiétudes sur la liberté, la sécurité, l’immigration, l’intégration, émaillé de récurrentes banalités quotidiennes: «Avez-vous la carte Monoprix?»
Le dispositif sonore, qui isole et relie tout à la fois les spectateurs, permet de murmurer des phrases dites à l’oreille, tel un focus sonore. Il semble figurer la germination créative où dehors et dedans se fertilisent, et rappelle aussi le combat ordinaire des responsabilités individuelles et collectives, donné à entendre avec puissance par le metteur en scène suisse Milo Rau, par exemple, dans Hate Radio où il évoque le génocide rwandais, via l’exacte reconstitution d’une émission de la Radio-Télévision libre des Mille Collines, avec ses animateurs qui appellent au meurtre, en plaisantant entre deux plages musicales.
Mais ici, la pénombre, faiblement percée par la lueur d’un téléphone et d’un ordinateur (faisant office de dictaphones et de diffuseurs musicaux), nous tire davantage vers la solitude de la séance psychanalytique et éclaire joliment nos petites scies tragi-comiques. Nulle décision n’est évoquée et la mise à nu reste en suspens. La cave devient l’antichambre où se répondent, en écho, nos inconscients. Un travail délicat.
Au-dessus, à jamais, adapté d’un texte fort de David Foster Wallace, mis en scène par Raphaël Patout, est moins convaincant. Le bricolage ici lasse. A trop vouloir étirer le temps, à jouer des borborygmes et des grimaces de clown, du smartphone (encore!), il prend le risque de la dilatation temporelle improductive.
La proximité peut être agaçante, quand tragique et farce cherchent malaisément leur espace et leur registre de jeu. Le spectacle se comporte alors comme son personnage adolescent qui, au bout de sa planche, n’ose plonger. Dans une cave, «le temps ralentit, s’épaissit autour de toi».
Ce festival dont les racines ne cessent de s’étendre propose au spectateur une expérience un peu frissonnante de descente (en soi), en petite compagnie, à la bonne franquette. Reposant sur un mode de production et de diffusion louable, risqué, il offre un théâtre quasi brut, pratiqué à mains nues, où l’on extraie du charbon… et quelques pépites.
Stéphanie Ruffier
Festival de caves du 1er mai au 26 juin:
Où : le 24 mai à Arbois; le 27 mai à Orléans; le 30 mai à Chavignol; les 2 et 3 juin à Lyon-Villeurbanne ; le 4 juin à Lons-le-Saunier; le 5 juin à 18 h et 20h et le 6 juin à 19 et 21 h à Belfort; le 7 juin à Strasbourg, et le 12 juin à Morteau.
Toute la programmation sur: www.festivaldecaves.fr