Dans la Solitude des champs de coton
Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, conception et mise en scène de Roland Auzet.
La pièce, austère, met face à face un dealer et son client, celui qui possède ce que désire l’autre, et celui qui n’existe que par le désir de l’autre. Mais ils ne dialoguent pas vraiment et échangent des monologues. Roland Auzet a tenté d’en donner une nouvelle lecture: à une époque où on s’interroge sur le genre et l’égalité des sexes, il a décidé de faire jouer la pièce par des comédiennes. Et, dans notre société qui redoute le silence au point de vouloir le meubler sans arrêt, il a composé une bande son-pour accompagner le texte. Et il a délaissé la confortable salle à l’italienne des Célestins, pour utiliser le centre commercial de La Part-Dieu, élégant temple de la consommation…
Ainsi le soir, après la fermeture, le public s’installe sur les deux niveaux qui entourent la fontaine centrale. Les comédiennes vont évoluer le long de l’escalier à double révolution, ou dans les allées du centre. Et un projecteur les éclairera, lorsque la nuit tombera sur la vaste verrière.
Chaque spectateur est muni d’un casque qui lui permet d’entendre au plus près la voix des actrices et la bande-son, au demeurant très discrète, qui vient souligner certains moments du texte, mettre en évidence les tensions ou simplement créer une atmosphère.
Ce dispositif permet aux comédiennes de parler de façon naturelle. Les nombreuses allusions de la pièce au commerce trouvent ici un écho. Mais le face à-face entre ces deux personnages se dilue dans ce grand espace, et même s’il a une certaine beauté, il y perd de sa rudesse et de sa brutalité.
Anna Alvaro, silhouette noire, mince dans son blouson Perfecto, est le Dealer, obstiné prédateur qui n’existe que dans le désir de l’autre, et elle joue, avec habileté, de sa voix au timbre particulier. Audrey Bonnet, en short et tee-shirt gris, et baskets, est plus dans l’émotion ; comme un animal flairant le piège, elle court et se débat. Elles sont toutes les deux formidables Chaque personnage est prisonnier de la rhétorique de l’autre, et se met à nu, pour mieux le posséder. S’imposent, à l’évidence, leur solitude existentielle et leur souffrance.
La tension dramatique ne pourra se résoudre que par la disparition de l’un ou de l’autre. Bernard-Marie Koltès précisait : «L’échange des mots ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange de coups, parce que personne n’aime recevoir des coups, et que tout le monde veut gagner du temps.»
A la fin, on voit une tache noire au centre de la fontaine: le corps du Dealer mort, comme écartelé… Mais, même elles jouent fort bien, était-il si judicieux de choisir des femmes pour cette pièce où abondent les références à l’univers masculin? En effet, ce huis-clos, cette danse de mort à laquelle se livrent le Dealer et le client, Bernard-Marie Koltès en a fait l’expérience, jusqu’à mourir, à quarante-et-un ans, des suites du sida!
Sans doute, Roland Auzet aurait- il dû faire plus confiance au texte….
Elyane Gérôme
Célestins, Théâtre de Lyon, www.celestins-lyon.org, jusqu’au 23 mai. Théâtre des Bouffes du Nord à Paris du 3 au 20 février 2016.