La soirée d’adieu d’Aurélie Dupont
Soirée d’adieu d’Aurélie Dupont: L’Histoire de Manon, chorégraphie de Kenneth Mac Millan
«Avoir peur de ne plus avoir d’identité», c’est la réflexion d’une des plus célèbres étoiles de l’Opéra, au seuil de sa dernière représentation dans la grande maison parisienne. Les quarante-deux ans fatidiques ont sonné la retraite, mais Aurélie Dupont aura été ici une étoile pendant dix-sept ans: entrée en 1983, elle n’a connu qu’une vie de danseuse.
Pour ses derniers pas à l’Opéra Garnier, nous avons assisté à une soirée sublime, avec une pièce très importante dans sa carrière. En effet, c’est avec L’Histoire de Manon que la danseuse a retrouvé le plateau, après une interruption due à une pathologie du genou, qui s’était déclarée six mois après sa nomination de danseuse-étoile et qui avait nécessité une opération chirurgicale et une rééducation de plus d’un an!
Roberto Bollé, danseur-étoile à la Scala de Milan, l’accompagne dans le rôle de Des Grieux, interprétant avec ferveur cette histoire d’amour qui finit mal. Il est exceptionnel de trouver sur scène un couple aussi harmonieux : tendresse et fusion entre eux se perçoivent dès leurs premiers regards et sourires complices.
Ils sont à la fois Roméo et Juliette, ou Tristan et Iseult; cette intimité amoureuse et sensuelle intense traverse la salle du parterre jusqu’au paradis. Chaque instant est interprété avec sincérité par Aurélie Dupont qui, en plus de sa technique et de sa grâce de danseuse, montre aussi un vrai talent de comédienne. Sa gestuelle, en particulier ses mains, traduit à la perfection les sentiments parfois contradictoires du personnage de Manon.
C’est un plaisir de la voir évoluer, et ce n’est pas un hasard si Cédric Klapisch, (qui a déjà réalisé un documentaire sur elle), filme cette soirée, diffusée simultanément dans 350 salles de cinéma en Europe. Il pourrait penser à elle comme comédienne, à l’avenir ! La danseuse est harmonieusement entourée ici d’Alice Renavand, Stéphane Bullion et Benjamin Pech, tous très convaincants. Les élans romantiques de Massenet sont rendus à la perfection par l’orchestre.
Ce soir, le public assiste à un double spectacle:L’histoire de Manon, suivi d’une inoubliable cérémonie de quelque trente minutes, pour célébrer le départ de l’étoile. Aurélie Dupont quitte son statut de danseuse, (ce qui ne l’empêchera pas de se produire sur d’autres scènes) pour devenir ici maître de ballet.
En cette soirée unique, elle nous a livré les visages multiples de Manon, celle de l’amante, de la femme de pouvoir, et enfin de la femme bannie. Puis aux saluts, elle a donné libre cours à son émotion, entourée de ses deux enfants et tombant dans les bras de Roberto Bollé, son partenaire, de Benjamin Millepied, de Brigitte Lefèvre, d’Hervé Moreau et de tant d’autres proches.
Avant même que la fameuse pluie d’étoiles ne tombe des cintres, ses yeux étaient inondés de larmes. Nous avions devant nous la danseuse, la comédienne, et la mère. Une femme devenue un mythe pour de nombreux spectateurs dans le monde. Ces dernières minutes inoubliables nous ont à nouveau révélé sa grande sensibilité, et nous retrouvions parfois la petite danseuse d ‘Edgar Degas dans ses postures et son regard d’enfant.
« On ne sait rien de plus, écrivait Philippe Delerm en 2001. Parfois on se croit nu, parfois on se croit libre, et quelquefois perdu. Où sont les traces effacées, vont-elles toutes disparaître ? Y avait-il un chemin ? S’est-il arrêté quelque part ? A-t-il recommencé ? Pourquoi ne peut-on pas vraiment se retourner ? L’air semble si léger, mais on n’a rien appris. On n’est jamais au bout de soi, au bout de rien. On se sent las, on se sent bien ».
C’était un soir avec Aurélie Dupont.
Jean Couturier
Soirée du 18 mai à l’Opéra Garnier.