Roméo et Juliette

Roméo et Juliette, chorégraphie et mise en scène de Jean-Christophe Maillot

IMG_2152Créée en 1996, cette chorégraphie conçue pour les Ballets de Monte-Carlo, a été présentée dans le  jardin magique de l’Orangerie, au château de Versailles. Première partie de cinquante-deux minutes à la tombée de la nuit, deux jours après le solstice d’été.
La silhouette du château entourée de quelques nuages noirs, domine la scène et se découpe majestueusement au coucher du soleil Mais elle écrase un peu, les châssis blancs mobiles et le plan incliné conçus par Ernest Pignon-Ernest, Et l
es lumières sophistiquées de Dominique Drillot ne pouvaient rivaliser avec  ceux de  la nature. Mais la célèbre musique de Serge Prokofiev convenait bien ici…

Dans la deuxième partie, une fois la nuit totale arrivée, nous avons vraiment pu apprécier le travail du chorégraphe, la beauté des lumières et celle des costumes signés Jérôme Kaplan. Cette danse très cinématographique avec ralentis, arrêts sur image et flash-back, a pris alors toute son ampleur, même si une plus grande proximité avec public eût été souhaitable. Théâtre dans le théâtre: les familles de Roméo et de Juliette sous forme de marionnettes assistaient à la représentation…

La fable est ici présentée à travers le récit de Frère Laurent qui, en souhaitant faire le bien, va provoquer la mort des deux amants. A la fin, les étoiles et les lucioles s’unissaient aux étoiles projetées sur le décor. Et cela correspond aux intentions du metteur en scène et chorégraphe. Le plein air est parfois traître et l’intimité du jeu est mis à l’épreuve à cause de  la lumière naturelle et/ou de la grandeur du lieu. William Forsythe avait ainsi refusé de présenter une chorégraphie devant le mur du Palais des Papes et avait fait placer en fond de scène, les châssis noirs de la scénographie originale… Le public, lui, a revu avec plaisir cette histoire d’amour éternelle et a salué avec enthousiasme l’engagement des interprètes dans un froid humide.

Jean Couturier

Spectacle présenté aux Nuits de l’Orangerie, les 23 et 24 juin. www.chateauversailles-spectacles.fr              


Archive pour juin, 2015

Théâtre Kyogen

Théâtre Kyôgen :  Le  Crabe et l’ascète, et Larmes noires de crocodile, représentation en langue des signes japonaise, sur-titrée en français

 Õó¿Õíù´+æCette soirée singulière se place sous le signe du partage, avec  le  pari de représenter  cette  forme comique vieille de quatre-cent-cinquante ans, en langue des signes japonaise, devant une public surtout français, et en majorité sourd-muet. Deux  courtes pièces au programme : Le  Crabe et l’ascète, et Larmes noires de crocodile.
La présidente de la Maison de la culture du Japon  a présenté ce projet, en français et japonais, assistée par un interprète sourd-muet qui traduisait en langue des signes française,  e japonaise. C’est à dire qu’il comprenait parfaitement les deux  langues, et par un comédien du Japanese Theater of the Deaf qui, lui, traduisait en  langues des signes japonaise.Peu de sourds dans le monde maîtrisent en effet la langue des signes internationale, chaque pays ayant sa sienne propre. Celle des Japonais est très expressive et les artistes de cette troupe nous l’ont transmise avec gaîté et énergie.

  Le texte, dit en direct par deux acteurs invisibles, était aussi sur-titré en français. Ce qui a permis à l’ensemble du public de bien suivre le spectacle et d’apprécier la richesse des costumes, l’utilisation de masques pour figurer certains personnages, et une fable aisée à comprendre, le tout illustré par un langage du corps d’une gestuelle très précise.
  La langue des signes japonaise s’est révélée très bien adaptée à cette forme historique de théâtre, et les acteurs ont réussi à faire passer une réelle émotion dans le public qui a salué la performance, en applaudissant en langue des signes, c’est-à-dire en agitant leurs mains en l’air. Une fois de plus, la programmation de la Maison de la Culture du Japon sort de l’ordinaire des spectacles parisiens, et c’est tant mieux.

 Jean Couturier

 Spectacle joué à la Maison de la culture du Japon les  26 et  juin.  mcjp.fr

Festival de sibiu

Festival de Sibiu (FITS) 2015

 

Au cœur des Carpates, se tient, depuis vingt-deux ans, le plus gros festival de Roumanie, et même, selon Eugenio Barba, cité dans l’éditorial de son président Constantin Chiriac: « le festival culturel le plus important du monde ».  (Voir  Festival de Sibiu 2014 dans le Théâtre du Blog.).
Il émane du Théâtre national Radu Stanca, dont Constantin Chiriac est le directeur, et rassemble des spectacles de quelque 70 pays: Japon, Inde, Chine, Géorgie,Canada, Autriche… et c
ette année, la France, qui est à l’honneur avec Cendrillon de Joël Pommerat, Six personnages en quête d’auteur dans la mise en scène d’ Emmanuel Demarcy-Mota, ou encore des troupes de rue, comme Generik Vapeur et la compagnie des Quidams.  Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon depuis l’an dernier, a aussi présenté sa pièce, L’Apocalypse joyeuse, qu’il a montée en espagnol, au Teatro de la Abadia à Madrid.
Le festival met notamment en lumière des collaborations qui s’opèrent entre le Théâtre Radu Stanca et d’autres pays: un metteur en scène japonais dirige ainsi la troupe permanente de ce théâtre, ou des coproductions  se créent entre  le Théâtre de Stuttgart et des artistes roumains..
Il y a  aussi des des conférences, un marché du spectacle, des lectures de pièces traduites et publiées en roumain et anglais, des spectacles d’écoles venues d’une dizaine de pays, dont la Chine, les Etats-Unis, l’Egypte… On peut aussi voir des films relatifs au théâtre.
On compte plus de cent représentations en salle, et autant, sinon plus, dans la rue: soit quelque 437 événements (rencontres comprises) dans 67 lieux ! Que se cache-t-il derrière cette programmation pléthorique? De réelles pépites, mais on est parfois déçu, et certains spectacles, annoncés comme de riches collaborations internationales s’avèrent même décevants.

 

fantoma-e-aici-2Le fantôme est ici d’Abe Kobo, (1950)  jouée par la troupe du Théâtre National Radu Stanca, est mise en  scène par le japonais Kazuyoshi Kushida. La belle scénographie fonctionnelle de Dragos Buhagiar, quelques plaisantes images et le talent de Marius Turdeanu dans le rôle de Fukagawa, un soldat hanté par l’esprit de son compagnon qu’il croit mort à la guerre à cause de lui, ne suffisent pas à convaincre. Des chœurs alourdissent inutilement le spectacle, et l’essentiel de cette fable nippone d’après-guerre,  adaptée au contexte roumain, a du mal à nous parvenir,
De même, la relecture détonnante de Nathan le Sage de Lessing par le metteur en scène allemand Armin Petras. Acteurs du Schauspiel de Stuttgart et du Théâtre national Radu Stanca de Sibiu se donnent la réplique, chacun dans sa langue, et parfois dans un anglais approximatif. Le metteur en scène situe l’action dans l’environnement apocalyptique du Moyen-Orient, en proie aux fondamentalismes religieux. Les fines problématiques de Lessing sont passées à l’as, au profit d’actions spectaculaires, d’effets de décor, ou de gags comme le personnage du Derviche, devenu marchand ambulant verbeux, affublé de chapelets de tongs.
Mais les excellents acteurs allemands, Peter Kurth et Katharina Knap sont tout à fait crédibles ;  Ofelia Popli est aussi convaincante en Recha (la fille adoptive de Nathan) qu’en Méphistophélès dans Faust , rôle qu’elle a joué la veille (voir Faust, mise en scène de Silviu Purcarete, Théâtre du Blog, Sibiu 2014). Mais cela ne suffit pas à rendre l’adaptation crédible.
Certains grands théâtres invités ne sont pas venus avec le meilleur de leur répertoire : ainsi le  Teatro Stabile de Rome,  avec Carmen dont l’intrigue se passe dans la Naples contemporaine. Ce n’est pas la plus brillante mise en scène de Mario Martone. Ici populaire rime avec vulgaire mais, grâce au swing et à l’intelligence des arrangements musicaux, on ne boude pas son plaisir.
Et pourquoi avoir invité le fameux Burgtheater de Vienne avec une petite forme médiocre, Moscow Petuschki réalisée par Felicitas Braun? Cette adaptation maladroite du roman-culte de Venedikt Erofeïev, Moscou-sur-Vodka, longtemps interdit en Union Soviétique, ne reflète pas  ni la verve ni la causticité de cette divagation poétique sur l’alcoolisme en Russie.
Mein Kampf de George Tabori, mis en scène par Alexandru Dabija, nous fait découvrir la troupe du Théâtre National de Cluj.  La célèbre farce truculente de l’auteur autrichien, qu’il monta lui-même en 1987, met en scène un Hitler miteux, trouvant asile et protection auprès de la communauté juive de Vienne. Cette comédie, portrait d’un nazi en herbe, égoïste et brutal, est ici alourdie par un chœur se livrant à des intermèdes chantés et à des parodies appuyées. Le public rit beaucoup, sans doute à cause des allusions à la Roumanie, mais on est loin de la légèreté et de la concision  du grand dramaturge.
Parmi les bonnes surprises, citons Les Fourberies de Scapin ; on y retrouve dans cette mise en scène, la vigueur de la farce moliéresque, conjuguant techniques de commedia dell’arte et du théâtre japonais. Avec la troupe du Matsumoto Performing Art Center, Kazuyoshi Kushida met en scène la pièce avec autant de talent qu’il joue le rôle-titre. La ruse de ce Scapin vieillissant tient de la sagesse, et son corps fatigué porte les stigmates de son état de valet, qui, pour toute récompense de ses bienfaits, ne récolte que des coups.
Sa présence émouvante et sa fin tragique n’empêchent pas la comédie de l’emporter. 
Kazuyoshi Kushida a réalisé ce spectacle en 1994, et, depuis, l’emmène en tournée, en renouvelant la distribution et en approfondissant sa performance. A ne pas manquer, si par hasard la pièce se joue dans votre région.
troienele-3Les Troyennes d’après Euripide, mis en scène par Data Tavdze, nous vient de Tbilisi  (Géorgie). L’ancienne chapelle fortifiée de la campagne transylvaine, où se déroule la pièce, convient parfaitement à la performance des cinq jeunes actrices du Royal District Theatre. 
Le monologue d’Andromaque et le chœur de la tragédie grecque sont le point de départ de cette mise en scène chorale, constituée aussi de récits contemporains. Avec retenue, élégance et délicatesse, les comédiennes évoquent la guerre, vue du côté des femmes géorgiennes et du monde entier.
Déplorations à la fois actuelles et intemporelles qui résonnent avec émotion dans ce décor dépouillé, parmi les fleurs qu’elles éparpillent au sol, comme autant d’hommages aux victimes de la folie des hommes. Il faut retenir le nom de ce metteur en scène qui présentait aussi une Mademoiselle Julie d’August Strinberg, très hardie et très réussie, mais que nous n’avons pas pu voir.

Girafes, Fable urbaine 1  et Fable urbaine 2 d’après Pau Miró, mise en scène de Radu Afr

girafe-fabula-urbana-1-1La trilogie de ce  jeune auteur catalan:  Girafes, Lions, Buffles,  parle d’une famille qui sera tantôt Girafes (les grands-parents), tantôt Lions (les parents), tantôt Buffles (les enfants).  Avec cette métaphore animale, Pau Miró évoque la jungle urbaine, les imbroglios familiaux, la question de la liberté et de la dictature, la norme et le supra-naturel.  L’intrigue se situe dans la Roumanie de 1968:  un couple ordinaire  ne peut avoir d’enfant. Dans leur minuscule appartement, épisodiquement envahi par des voisins et voisines, Marianne  et son mari hébergent un neveu.
 Le gamin, mutique depuis la mort de sa mère, écrit et raconte des histoires à une girafe qui se dandine derrière une muraille de machines à laver superposées en fond de scène. En prélude, une machine à laver d’un autre âge, traînée par un improbable vendeur traverse la scène, sous le regard des passants hystériques. Proposée à Marianne, «Absolux, la reine des machines à laver» doit libérer la femme des corvées ménagères… Dans le décor de Dragos Buhagiar, à la fois fonctionnel, poétique et kitsch, un transsexuel chante une romance. Il est lui aussi hébergé par le jeune couple, mais veut s’exiler à Paris, pour ne plus se faire tabasser…Cette comédie douce-amère, mise en scène et en images sous forme de rêverie, est magnifiquement jouée par les acteurs du Théâtre Radu Stanca, qu’on revoit avec grand plaisir.
C’est dans une laverie que se déroule Buffles, Fable urbaine 2,   troisième volet de la trilogie. Les machines à laver se sont multipliées sur le plateau, le commerce familial prospère de Max, huit ans, a été  «mangé par un lion», dit-on, aux quatre enfants restants. La mère, qui ne se remet pas de ce deuil, disparaît à son tour, le père sombre dans la folie, et la fratrie, livrée à elle-même, devenue un troupeau de buffles sauvages, va tenter de survivre… avant de se déchirer et de se séparer.

Ce conte cruel se présente comme un récit non distribué, ce qui donne toute liberté au metteur en scène pour composer sa propre imagerie, jouer avec les symboliques, affubler les interprètes de têtes de buffles, et projeter un film de son cru. La chorégraphie d’Andrea Gavriliu développe une belle gestuelle animale. Avec ces deux pièces,, Radu Afrim s’avère une figure importante de la scène roumaine. Il tient à ne monter que des pièces contemporaines, dit-il. Francophone, il passe souvent par des traductions en langue française pour découvrir de nouveaux auteurs : c’est le cas pour Les Fables urbaines, publiées aux éditions Espaces 34.
Il prépare deux spectacles, pour l’automne à Bucarest: On s’entend bien de la Polonaise Dorota Maslowska au théâtre national (traduit en Français sous le titre Vive le feu, éditions Noir sur blanc) et Family Affairs de la Finlandaise Rosa Liksom,  au théâtre Odéon.

 Les films

Une dizaine de films a été projetée, dont Rhinocéros d’Eugène Ionesco dans la mise en scène de Richard Demarcy-Mota,  Ma chambre froide de Joël Pommerat et Méditerranée d’Olivier Py.  Et  la fameuse Classe Morte de Tadeusz Kantor, prise sur le vif par Andrzej Wajda qui, en trois jours, avait filmé la célèbre troupe  du théâtre Cricot 2.
Dans ce document d’une heure douze, réalisée pour la télévision polonaise en 1976, on voit le maître Tadeusz Kantor assister à l’entrée du public. Un peu plus tard, il surveille, encourage, corrige discrètement les acteurs assis sur les bancs de l’école de village. Le réalisateur multiplie les gros plans sur Tadeusz Kantor qui cherche sa juste place parmi les vieux élèves fatigués, flanqués de mannequins.
 Il a ajouté des séquences tournées dans les coulisses et deux séquences où les comédiens s’ébattent dans la campagne… Le film n’est pas seulement une œuvre de mémoire,  présentée pour le centenaire de la naissance du grand homme de théâtre,  mais apporte l’éclairage personnel du cinéaste polonais sur ce spectacle mythique.
Dans un tout autre registre, 
Aferim de Radu Jude, film historique en noir et blanc, mais d’une  actualité criante. Nous sommes en 1834, en Valachie non loin de la frontière bulgare. Le pays, qui ne s’appelle pas encore Roumanie, vassal de l’Empire ottoman, est aux mains des boyards et des popes. Les tziganes sont des esclaves, des sous-hommes, descendants de Cham, donc maudits par Dieu.  Mais encore loin d’être diabolisés comme les juifs, ces antéchrists sataniques.
  Un représentant de la loi et son fils traversent des paysages sauvages, à cheval, à la poursuite d’un Romanichel, accusé d’avoir couché avec la femme du seigneur local.  Dans ce western à la roumaine, on suit leur traque dans une campagne orthodoxe, violemment antisémite et anti-tzigane. L’humour ne manque pas mais la fin est d’une noirceur à la mesure du racisme ambiant. Le film sortira en salles chez nous  le 5 août et il faut le voir pour comprendre comment la discrimination des Roms, en Europe, notamment en Roumanie et Bulgarie, vient de loin.
Ceci est, bien entendu, n’est qu’un aperçu du festival dont on salue la vitalité mais on se  peut se demander si une telle quantité d’événements ne nuit pas à sa qualité.

 Mireille Davidovici

 Festival de Sibiu  du 12 au 22 juin.

Les Inséparables

 

Les Inséparables d’après Colas Gutman, mise en scène de Léna Bréban, spectacle pour enfants dès 6 ans

IMG_7734-682x1024« Avec Delphine, on a conclu un pacte. Premièrement, faire en sorte que Papa se sépare de Pierrette. Deuxièmement, remettre Papa avec Maman ». cette adaptation du roman de Colas Gutman raconte l’histoire d’une famille recomposée à travers les yeux de Delphine et Simon qui vivent douloureusement la séparation de leurs parents. Leur père vient de se remarier avec une mère de deux enfants dont chacun doit partager leur chambre. Ils détestent leur belle-mère et plus encore la séparation qu’on leur impose.
N’ayant pu réussir à séparer leur père de leur belle-mère malgré les pièges tendus, ils parviennent tout de même à quitter leurs nouveaux «frère et sœur»  pour se retrouver ensemble dans leur chambre chez leur mère à qui ils sont confiés.
La mise en scène subtile de Léna Bréban transforme les comédiens en marionnettes à mi-corps devant un castelet à deux niveaux qui instaure une distance comique dans ce drame familial vécu par nombre d’enfants. Rachel Arditi, Laure Calamy, Julie Pilod, Alexandre Zambeaux interprètent avec finesse ces six personnages souvent drôles, parfois émouvants.

Edith Rappoport

 

Théâtre Paris Villette jusqu’au 12 juillet. T: 01 40 03 72 23; resa@-paris-villette.fr, et en tournée toute la saison prochaine.
Le roman est publié aux éditions de l’Ecole des Loisirs.

Une Femme chaste

Une Femme chaste de Wang Renjié,  mise en scène de  Zeng Jingping  par le Théâtre Liyuan (spectacle en chinois sur-titré)

 

Femmechaste_000607Le rôle principal d’Une Femme chaste est tenu par Zeng Jinping qui, avec Lu Ang, assure aussi la mise en scène de la pièce. La troupe de Liyuan de Quanzhou, née en 1953, est une des plus importantes en Chine et en Asie du Sud-Est. Théâtre local, parlé en hokkien, au Fujian, à Taïwan, en Asie du Sud-Est, et genre théâtral chinois de huit cents ans d’histoire.  L’auteur d’Une femme chaste, est aussi le librettiste de La Veuve et le Lettré, version tragique de cette première pièce, qui porte «un regard cru et dramatique sur le sort des femmes à travers la morale confucianiste et la répression du désir ».
Une jeune et jolie veuve, qui vit en recluse avec son fils de dix ans, s’inquiète du départ envisagé par son précepteur pour lequel elle  éprouve un désir inavoué. Contre toute réserve, elle oblige ce  jeune homme peu fortuné, à recevoir de l’argent pour l’aider  à aller dans  la grande ville passer ses examens. Aveu déguisé d’amour impudique aux pensées charnelles…
Or, le monde appartient aux vicieux, c’est bien connu, et non aux chastetés torturées. Le lettré ambitieux souhaite avant tout accéder au mandarinat, et sauvegarde égoïstement, malgré ses propres sentiments, sa prétendue vertu. Penser la femme, c’est penser l’Autre, comme menace, objet de désir et de remords, la dévalorisation féminine allant de pair avec son étrangeté et sa dangerosité.

Dans la tradition japonaise, la femme est «à l’instar des objets de laque à la poudre d’or ou de nacre, un être inséparable de l’obscurité…; de là ces longues manches et ces longues traînes qui voilaient d’ombre les mains et les pieds.» comme l’écrivait Tanizaki)
Les costumes soyeux et colorés du théâtre traditionnel chinois Liyuan sont merveilleux,  géométriquement purs, et, quand la veuve, dix ans plus tard, invitée par l’empereur, se présente à sa vue, refusant vainement les stèles que le dignitaire veut élever à sa vertu glorieuse, elle est vêtue de noir mais toujours élégante.

 Le jeu des acteurs du Théâtre Liyuan, comme dansé, est magistral et transmis de génération en génération, s’appuie sur dix-huit mouvements de base ; sa gestuelle du rôle féminin est renommée, et pour bon nombre d’entre eux, ces gestes sont copiés des dessins trouvés dans les grottes de Donghuang. Le spectateur occidental  est subjugué par cette grammaire gestuelle, avec ses mouvements gracieux qui expriment les profondeurs de l’âme.
Les scènes populaires de valets et servantes, sont pleines d’humour tonique, et pétillantes de vie, à la façon décalée d’un William Shakespeare,  né bien plus tard mais à la dramaturgie étrangement similaire. Et, si le lettré n’a pas répondu aux aspirations amoureuses de la veuve, l’empereur, dix ans plus tard, temps d’une chasteté imposée et vérifiée, refusera encore le désir de la dame et veillera à ce qu’on ne statufie ni ne célèbre cette continence douloureuse.
Ainsi, comme l’écrivait Lord Byron, «l’homme, souvent injuste envers l’homme, est toujours injuste envers les femmes ; elles vont toujours vers le même esclavage, la trahison est tout ce qu’elles peuvent espérer. (…) Un mari désagréable, puis un amour infidèle, puis la toilette, les enfants à soigner, la prière et c’en est fait. » À cette  amertume qu’il faut combattre sans se lasser, répond la beauté rare et éloquente d’un spectacle vivant, dont la musique (flûte droite, luth piriforme du Sud, er xian, san xian et tambour) enchante le public.
Un voyage esthétique dans le temps, l’espace  mais aussi dans  les profondeurs abyssales de l’être.

 Véronique Hotte

 Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes. Festival Le Standard Idéal – 10 ème édition – Programmation Hors Les Murs de la MC93;  les 30 juin et  1er juillet à 19h30, les 28 juin et  5 juillet à 15h. Et La Grande Mélancolie, les 27 juin, 3 et 4 juillet à 19h30.
 WWW.MC93.COM

 

Le Mariage de Maria Braun

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Le Mariage de Maria Braun « recréation », d’après l’œuvre originale de Rainer Werner Fassbinder, texte du scénario de Peter Märthelsheimer et Pea Fröhlich, mise en scène de Thomas Ostermeier,  en allemand (surtitrée en français)

 Présenté comme une « recréation » l’an passé au festival d’Avignon, le spectacle, créé il y a huit ans à Munich, est inspiré du film-culte (1979) du grand cinéaste et auteur allemand. Sur la scène surélevée, et dont l’ouverture est légèrement réduite, une trentaine de fauteuils et bergères des années cinquante, quelques tables basses que les comédiens disposeront eux-mêmes au fur à mesure des scènes, le tout sous la lumière chiche d’un petit lustre de cristal ridicule: pour indiquer la mairie, un salon, une boîte de nuit, le grand bureau d’un industriel, un compartiment de train…
Sur les côtés, et en fond de scène, un rideau vert foncé plissé, où seront projetés des extraits de films d’actualité: on voit ainsi Hitler très à l’aise et bonhomme, bavardant avec une mère de famille, ou des milliers de jeunes filles défilant, toutes en admiration devant le Führer, ou encore la finale de la coupe du monde 1954 où l’Allemagne devait battre la Hongrie,  symbole de sa puissance retrouvée, bien avant la réunification…
On entendra aussi un discours à la radio du chancelier Konrad Adenauer prônant tout à tour le refus du militarisme… puis la la mise en place d’une solide armée allemande. Cela se passe donc à Berlin-Ouest, ville répartie entre les alliés capitalistes de la seconde guerre mondiale, Berlin l’ancienne capitale désormais isolée en République Démocratique Allemande qui, elle, dépend de l’URSS de l’époque.  Non, ce n’était pas au Moyen-Age mais il y a un peu plus de cinquante ans…
Au début du spectacle, les quatre comédiens (Ursina Lardi/Maria Braun viendra ensuite) bavardent, assis ou debout, mais on n’entend encore rien de leur conversation; deux d’entre eux s’avancent pour lire des lettres d’amour envoyée au Führer. Le décor est planté pour raconter l’histoire de cette Maria Braun, mariée à un soldat qui a disparu à la guerre mais officiellement non décédé. Elle se prostitue dans une boîte de nuit pour soldats américains, et va tuer involontairement un client.
Mais Herman Braun, son mari, réapparait brutalement, s’accuse du meurtre et est mis en prison; elle, en femme libre, reconstruit sa vie comme elle peut, a de nombreux amants dont un industriel français rencontré dans un train. Maria Braun (formidable Ursina Lardi) exige d’être reconnue comme femme indépendante. Aussi séductrice que volontaire, ambitieuse et cynique, elle a quelque chose d’absolument fascinant.  Mais elle est aussi fragile, et quand elle comprend qu’elle s’est fait rouler dans la farine par son mari et son amant à la fois, elle se suicide…
Autour d’elle, quatre comédiens jouent un trentaine de personnages (des deux sexes et tout âge confondu) loin du réalisme mais avec une vérité exemplaire: Thomas Bading est un officier, un notaire, un industriel français…. Robert Beyer, lui interprète à la fois la mère de Maria Braun, un médecin, un juge, un maître d’hôtel… Moritz Gottvald est une infirmière de la Croix Rouge, un contrôleur de train.. Sebastian Schwarz joue Herman Braun, un journaliste, un serveur de restaurant…  Tous exceptionnels, à la fois dans l’expression gestuelle comme dans ce savoureux ballet d’assiettes au restaurant), et orale. Et il y a une unité de jeu absolument fabuleuse entre Ursina Lardi et ses partenaires; Thomas Ostermeier se révèle être ici  une fois de plus un excellent directeur d’acteurs.
Côté dramaturgie et mise en scène, les choses sont moins évidentes: le scénario du chef-d’œuvre de Rainer Werner Fassbinder est respecté mais cette suite de petites scènes en mille-feuilles a quelque chose d’assez démonstratif comme si Thomas Ostermeier voulait à 35 ans qu’il avait à la création du spectacle, nous montrer  son indéniable savoir-faire.
Ce Mariage de Maria Braun est effectivement d’une forme exemplaire mais on a souvent l’impression d’assister un exercice brillantissime d’acteurs, un peu froid et où, sauf à de rares moments, il n’y a guère de véritable émotion sur ce grand plateau. C’est le défaut majeur de ce spectacle, comme si Thomas Ostermeier avait envie de nous dire: regardez ce que je suis capable de faire, avec cinq acteurs d’exception, et une trentaine de fauteuils, sans chercher à copier le film d’origine, sorti quand il était encore enfant.
Mais où pointe une sorte d’auto-académisme (avec son vocabulaire bien à lui: vidéo, lumières, accessoires…). Le public du Théâtre de la Ville, en grande partie allemand, a fait une juste et longue ovation aux comédiens. C’est un spectacle intéressant mais plus pour la qualité de son interprétation mais n’est pas un des plus grands du metteur en scène allemand et directeur de la Schaubühne de Berlin, comme entre autres  Maison de poupée ou Hedda Gabler d’Henrik Ibsen
On attend avec impatience le Richard III de Thomas Ostermeier au festival d’Avignon…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville  2 place du Châtelet Paris. T: 01 42 74 22 77 jusqu’au  3 juillet.
Une rencontre est prévu le dimanche 28 juin à 18h au Théâtre de la Ville, à l’occasion de son livre Ostermeier backstage, publié chez l’Arche Editions.

 

Le Printemps de comédiens: Au courant

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Le Printemps des comédiens à Montpellier.

 

  Vingt-neuvième édition de ce festival mais austérité budgétaire oblige, avec cette année, une voilure réduite: seize spectacles seulement au lieu de des vingt-cinq progammés l’an passé et finalement annulés pour cause de grève des intermittents, cette spécialité bien française dont aucun gouvernement n’a réussi à vraiment résoudre  le problème…
 Une création : Le Dibbouk  de Benjamin Lazar, d’après Shalom Anski dont nous vous reparlerons, et avec, entre autres, une programmation à la fois de théâtre et d’opéra, de spectacles  déjà créés  cette saison comme L’Oiseau vert de Carlo Gozzi, mise en scène de Laurent Pelly, Nobody de Cyril Teste d’après des textes de Frank Richter, Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, Le Silence de Molière de Giivanni Macchia mise en scène de Marc Paquien, Go do-wn Moses de Romeo Castelluci, spectacles chroniqués dans  Le Théâtre du Blog.
Donc peu de créations mais au moins une, petite merveille jouée en langue française: Au Courant, un texte flamand de Kristien de Proost (qu’elle joue elle-même) écrit en collaboration avec Youri Dirkx et Peter Vandenbempt. A la limite entre performance et théâtre. Cela se passe, imaginé par Marie Szernovicz pour la scénographie et les costumes dans une sorte de galerie ou petit musée, à la moquette d’un orange indéfinissable où il y a juste quatre plantes vertes, aussi inutiles et moches que celles des agences du Crédit Agricole.

 De chaque côté des vitrines sur pieds comme il y en a encore parfois dans des musées vieillots, où on discerne vaguement des objets indéfinissables et semble-t-il aussi, des vêtements soigneusement pliés. On pense bien sûr aux  vitrines de Christian Boltanski  des années 1973 avec ses séries d’Inventaires, où il montrait les objets intimes et documents d’individus disparus, ou soi-disant disparus, comme celui d’une vieille dame de la banlieue parisienne qu’il avait exposés au FNAC à Paris, préfiguration du Centre Gorges Pompidou .
tristeroDans le fond un grand rideau vert foncé où sont accrochées de grandes lettres capitales: KRISTIEN DE PROOST; à jardin, un vieil homme (gardien, concierge,accessoiriste de plateau on ne saura jamais…) absolument  muet,  sauf  pour dire quelques mots au milieu du spectacle.
Il est assis derrière un grand comptoir d’accueil, en bois avec,  au mur, un tableau électrique et un écran à quatre numéros comme ceux des salles d’attente des hôpitaux… S’affichent ainsi sans raison une série de numéros sans conséquence apparente sur la suite. Et,  au centre du plateau, un tapis roulant où commence déjà à courir une jeune femme en costume-tailleur chemise blanche/cravate. L’éclairage de la salle restera allumé tout le temps du spectacle, ce qui renforce encore le caractère parfaitement banal de la situation.
Mais la jeune femme, on s’en aperçoit très vite, n’a rien elle de banal; elle a la même énergie, la même volonté d’en découdre qu’Angelica Liddell. Et, tout en courant pendant soixante dix minutes presque constamment sur ce tapis roulant qu’elle ne quitte pas, elle se raconte au physique comme au moral: “ Je suis de taille moyenne, souple et bien bâtie. J’ai des cheveux châtain foncé qui bouclent naturellement, même s’ils sont essentiellement raides. Mon regard exprime de la tristesse et de la fierté. Voilà qui donne l’impression que je suis méprisante ou hautaine, ce qui est absolument faux. Je suis intelligente et j’ose l’affirmer ouvertement: à quoi bon tourner autour du pot.”

 Et côté détails physiques, elle n’a aucune pudeur: “ La nuit, je grince des dents. Mes petits seins pendent plus bas le soir que le matin. J’ai des fesses rebondies et des cuisses solides. Je suis myope.”
  Et elle continue à courir  avec quelques vraies ou fausses confidences: “ Je suis trop égocentrique pour avoir un enfant. Je suis la plus heureuse quand je vois échouer quelqu’un dans la vie. Je grille quasiment tous les feux rouges à vélo. Je hais les femmes au volant. Je hais le bricolage”.
  Kristien de Proost s’en prend aussi à l’alimentation industrielle qui fleurit dans sa pays comme en France: ‘Mac Do supprimé, Subway supprimé, Coca-cola supprimé”, dit-elle rageusement”.
 De temps à autre, le gardien emporte un des  vêtements qu’elle enlève, y compris une tiare d’évèque, et qu’il va soigneusement ranger dans une des vitrines. Elle finit en slip blanc et les seins nus, puis enfin complètement nue, et avoue : “Je ne sais pas comment finir”.  
On reste étonné, fasciné par cette performance à la fois physique (quatre ou cinq kilomètres environ) et artistique : une confession que l’on ne se lasse pas d’écouter . Dans cet univers proche de celui de la peinture de René Magritte.
Kristien de Proost réussit à focaliser l’attention du public autour d’elle avec une indéniable maîtrise du plateau, à mi-chemin entre art conceptuel, performance et théâtre. C’est un spectacle (dont c’était ici la création en langue française) à la fois intelligent plein d’humour, bien  construit et sans aucune prétention qui nous renvoie à nos propres angoisses. Chapeau! et le public l’a très généreusement applaudie.
Nous avons revu ensuite Go down Moses  de Romeo Castellucci. C’est toujours le même raffinement dans les images mais, malheureusement avec quelque chose qui sent le fabriqué cousu main, mais où on peine à percevoir  le sens que le créateur italien veut faire passer. Le spectacle depuis son passage au Théâtre de la Ville à l’automne dernier semble avoir été épuré et coule mieux mais reste bien décevant.

Philippe du Vignal

 

Printemps des comédiens: Domaine d’O, 178 rue de la Carriérasse. T: 04 67 63 66
www.printempsdescomediens.com

Aucun de nous ne reviendra, extrait de la trilogie Auschwitz et après

Photo Thierry Laroche

Photo Thierry Laroche

 

Aucun de nous ne reviendra, extrait de la trilogie Auschwitz et après de Charlotte Delbo, direction artistique d’Heidi Brouzeng

 

De l’utilité des commémorations : soixante-dix ans après la libération du camp de Ravensbrück (quarante-trois femmes seulement sont revenues sur les deux-cent-trente et une du convoi du 29 janvier 1943), soit trente ans après la mort de Charlotte Delbo, il reste l’essentiel: son écriture, sa poésie, indissociables de la vie de cette femme engagée en politique et au théâtre.
 C’est même exactement là que se noue l’importance de ce qu’elle nous a laissé. Pourquoi, comment a-t-elle tenu ? Elle a eu de la chance, dit-elle, sans rien espérer. Elle a eu la force de son engagement dans la résistance, et la force de la poésie : devant l’innommable, elle a pu aller chercher dans sa mémoire et reconstruire mot à mot, rime par rime, les poèmes appris dans l’enfance. Au camp, tout s’achète, comme le raconte aussi Primo Levi ; tarif unique : une ration de pain.
Un jour, elle achète Le Misanthrope dans les petits classiques Larousse : ses camarades de chambrée lui ont donné chacune une bouchée de pain en échange de sa lecture. À écouter cette histoire, dire que l’art et la culture sont indispensables, un service public dû aux citoyens, devient une évidence, une claque, à mille lieues en avant du «politiquement correct».
Oui, la beauté est vitale. Heidi Brouzeng, la récitante qui a conçu le projet, Alain Mahé, le musicien et magicien du son, Matthieu Ferry, le concepteur de l’espace et de la lumière, et ceux qui ont travaillé avec eux n’en ont pas eu peur. À écouter le poème de Charlotte Delbo, on entend le cri inaudible des condamnées, on sent le froid, on voit scintiller l’immensité de la neige, on aperçoit l’incroyable : un jour, dans cet enfer blanc, la couleur d’un pétale de tulipe entre les doubles vitres d’une maison. Vain moment d’attendrissement : c’est la fenêtre du nid douillet d’un de leurs tortionnaires. C’est tout l’art d‘évoquer des émotions contraires avec cette rigueur,  sans pathos, cette vérité digne.
À ces moments de beauté à la fois pure et concrète, les artistes de cet oratorio (peut-on dire spectacle ?) répondent à la hauteur et reprennent; pour les recréer, les matériaux imaginaires du camp. Les fils tendus ne figurent pas les barbelés, mais ferment ou découvrent l’espace, comme les projecteurs en « douche » (comme chaque mot devient terrible !). Ces fils, parfois « joués » par un archet, font monter un gémissement qui ne saurait illustrer l’indicible, une musique en tension contre l’oubli, en éveil. La parole même est de cette qualité, concrète, forte, avec ces noms de filles et de femmes, jolies ou non, drôles parfois,  qui finiront entassées comme du bois mort sur une remorque.

 On n’en dira pas plus : il faut lire, encore, Charlotte Delbo, et guetter cette œuvre d’art digne d’elle, fièrement contemporaine.

 Christine Friedel

 Spectacle vu à l’Echangeur, à Bagnolet

 

 

On achève bien les anges (élégies), de Bartabas

On achève bien les anges (élégies), conception et mise en scène de Bartabas avec le théâtre Zingaro.

imageBartabas présente, dans le cadre du Festival des Nuits de Fourvière, à Lyon, la création mondiale de son treizième opus, avec dix cavaliers, une trentaine de chevaux et six musiciens. L’organisation Zingaro est toujours parfaite d’efficacité ; un «village» a été installé autour du vaste chapiteau, à l’intérieur du parc de Parilly, au sud de Lyon, là où se trouve l’hippodrome (un clin d’œil ?)Des bancs rouges entourent la scène (peut- on dire, l’arène ou même la piste ?), qui, creusée en son centre, ressemble à un vaste cratère. Les animaux devront donc trouver un élan pour en sortir, ce qui fait naître de beaux mouvements.
Au premier tableau, des chevaux dits argentins sont seuls au centre du cratère ; en attente. Descendus des cintres, tête en bas, huit anges aux ailes blanches vont les enfourcher, à cru, et partir au galop. Durant tout le spectacle, on retrouvera ces anges, impressionnants écuyers,  qui tenteront, à la fin, de regagner leur ciel, en émergeant du cratère débordant de mousse. Ils abandonneront le monde d’en bas à un cheval blanc fendant fougueusement ce brouillard d’écume.
La pièce est, comme d’habitude, une juxtaposition de scènes, d’images et de visions,  où  chevaux et hommes se livrent à des figures étonnantes sur des musiques omniprésentes. On ne sent pas les heures de répétition ni le travail incessant, qu’on n’ose qualifier de dressage, tant les animaux font corps avec les humains. Il y a une scène exceptionnelle, où le cheval se couche devant son ange/cavalier et  accepte qu’il lui étire les pattes jusqu’à dessiner dans l’espace une surprenante sculpture. Du grand art !
Cette pièce marque aussi le retour de Bartabas qui jusqu’ici se contentait d’une courte apparition, pour «faire le zèbre à dos d’âne». Face aux anges blancs, il est l’ange déchu, les ailes en berne, tout de noir vêtu, sauf quelques détails rouges dont ses favoris. Avec des  interventions réglées sur les chansons mélancoliques de Tom Waits dont la voix éraillée de bluesman évoque les grands espaces du Far-West, traversés par des cavaliers solitaires à la recherche d’un paradis accueillant. Il fait exécuter par ses chevaux du nom du Caravage, Tintoret ou encore à Soutine, des déplacements à l’opposé de ce que l’animal accomplit naturellement, créant ainsi une tension extrême dans ces figures, où bête et homme sont en symbiose.
Achève-t-on réellement ces anges ? Baigne-t-on vraiment dans le climat de l’élégie, cette poésie plaintive ? Nos y avons vu  une énergie vitale, et une ode à la beauté des corps, celle des animaux et des cavaliers.

Elyane Gérôme

Jusqu’au 18 juillet  www. nuitsdefourvière.com T: 04 72 32 00 00. Et à partir du 23 octobre au Fort d’Aubervilliers (92).

 

Incidence chorégraphique

Incidence chographique, avec les danseurs de l’Opéra de Paris

brunobouché L’une des plus grandes difficultés, disait Serge Diaghilev en 1929, est aussi de faire émerger des chorégraphes, et dans le monde théâtral, c’est vraiment un oiseau rare. Au XIXe siècle, nous n’en avons eu en soixante-dix ans qu’un seul: Marius Petipa. Les décorateurs et compositeurs ne travaillent pas seulement pour le ballet, mais le chorégraphe s’y consacre exclusivement et doit donc avoir une vraie culture... Depuis quinze ans, Bruno Bouché,  avec  la compagnie Incidence Chorégraphique qu’il a créée a pour but de faire émerger de jeunes chorégraphes, comme lui-même, au sein de l’Opéra de Paris; c’est un travail rigoureux et de qualité, nécessitant une bonne organisation, vu les emplois du temps chargés des danseurs impliqués dans cette aventure. Pour la belle et grande scène du Chesnay près de Paris (14 mètres d’ouverture sur 12 mètres de profondeur et une salle de six cents places),  a été élaboré un programme contemporain pour lequel l’engagement physique et technique des interprètes de l’Opéra est  total pour le plus grand plaisir des spectateurs , où la proximité du plateau permet d’être au cœur du geste dansé. Presque toutes les musiques sont jouées sur scène : celle de la première partie d’une grande beauté, est composée de lieders de Franz Schubert,  chantés par Till Fechner, accompagné par Florian Puddu au piano.  Alexandre Gasse a chorégraphié ces moments, dansés par lui  Daniel Stokes et Erwan Leroux: une veste et des chaussures passent d’un danseur à l’autre avec des gestes délicats et sensuels.   Ensuite Réversibilité, reprend le final d’une pièce de Michel Kelemenis  créée en 1999 pour dix-neuf danseurs de l’Opéra de Paris. Jennifer Visocchi, Cyril Chokroun et Daniel Stokes interprètent avec énergie ce trio de danse néo-classique, sur  un enregistrement de Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel. Bless-Ainsi soit-il, dirigée par Bruno Bouché, s’inspire de la Genèse. Sur une musique de Johann Sebastian Bach, merveilleusement interprétée par Edna Stern au piano, Aurélien Houette et Daniel Stokes et lui-même se livrent corps et âme, dans un duo intense et éprouvant pour l’organisme. Puis, on retrouve Jennifer Visocchi et Cyril Chokroun dans un pas de deux, chorégraphié par Bruno Bouché sur une Passacaille de Georg Friedrich Haendel. Pour  la dernière demi-heure, Yvon Demol, Aurélien Houette, Alexandre Ganse et Yann Saïz, que dirige Bruno Bouché, naissent et disparaissent sous le piano qui fait résonner la majestueuse Sonate en si mineur de Franz Liszt, grâce à Edna Stern. Une échelle en bois, dressée à jardin, exerce un réel pouvoir attractif sur les danseurs, et semble induire chez eux des postures rappelant l’esthétique,de la statuaire soviétique.Gestes précis, synchronisation parfaite mais les figures construites dans l’espace sont immédiatement déconstruites. Avec une extrême implication des corps qui fait naître une émotion constante. Le public a salué généreusement le talent de tous ces jeunes danseurs placés sous la houlette de Bruno Bouché et mis en lumière par Tom Klefstadt. Serge Diaghilev peut être rassuré…

 Jean Couturier

La Grande Scène du Chesnay le 13 juin. Incidencechorégraphique.com 

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