Le Printemps de comédiens: Au courant
Le Printemps des comédiens à Montpellier.
Vingt-neuvième édition de ce festival mais austérité budgétaire oblige, avec cette année, une voilure réduite: seize spectacles seulement au lieu de des vingt-cinq progammés l’an passé et finalement annulés pour cause de grève des intermittents, cette spécialité bien française dont aucun gouvernement n’a réussi à vraiment résoudre le problème…
Une création : Le Dibbouk de Benjamin Lazar, d’après Shalom Anski dont nous vous reparlerons, et avec, entre autres, une programmation à la fois de théâtre et d’opéra, de spectacles déjà créés cette saison comme L’Oiseau vert de Carlo Gozzi, mise en scène de Laurent Pelly, Nobody de Cyril Teste d’après des textes de Frank Richter, Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, Le Silence de Molière de Giivanni Macchia mise en scène de Marc Paquien, Go do-wn Moses de Romeo Castelluci, spectacles chroniqués dans Le Théâtre du Blog.
Donc peu de créations mais au moins une, petite merveille jouée en langue française: Au Courant, un texte flamand de Kristien de Proost (qu’elle joue elle-même) écrit en collaboration avec Youri Dirkx et Peter Vandenbempt. A la limite entre performance et théâtre. Cela se passe, imaginé par Marie Szernovicz pour la scénographie et les costumes dans une sorte de galerie ou petit musée, à la moquette d’un orange indéfinissable où il y a juste quatre plantes vertes, aussi inutiles et moches que celles des agences du Crédit Agricole.
De chaque côté des vitrines sur pieds comme il y en a encore parfois dans des musées vieillots, où on discerne vaguement des objets indéfinissables et semble-t-il aussi, des vêtements soigneusement pliés. On pense bien sûr aux vitrines de Christian Boltanski des années 1973 avec ses séries d’Inventaires, où il montrait les objets intimes et documents d’individus disparus, ou soi-disant disparus, comme celui d’une vieille dame de la banlieue parisienne qu’il avait exposés au FNAC à Paris, préfiguration du Centre Gorges Pompidou .
Dans le fond un grand rideau vert foncé où sont accrochées de grandes lettres capitales: KRISTIEN DE PROOST; à jardin, un vieil homme (gardien, concierge,accessoiriste de plateau on ne saura jamais…) absolument muet, sauf pour dire quelques mots au milieu du spectacle.
Il est assis derrière un grand comptoir d’accueil, en bois avec, au mur, un tableau électrique et un écran à quatre numéros comme ceux des salles d’attente des hôpitaux… S’affichent ainsi sans raison une série de numéros sans conséquence apparente sur la suite. Et, au centre du plateau, un tapis roulant où commence déjà à courir une jeune femme en costume-tailleur chemise blanche/cravate. L’éclairage de la salle restera allumé tout le temps du spectacle, ce qui renforce encore le caractère parfaitement banal de la situation.
Mais la jeune femme, on s’en aperçoit très vite, n’a rien elle de banal; elle a la même énergie, la même volonté d’en découdre qu’Angelica Liddell. Et, tout en courant pendant soixante dix minutes presque constamment sur ce tapis roulant qu’elle ne quitte pas, elle se raconte au physique comme au moral: “ Je suis de taille moyenne, souple et bien bâtie. J’ai des cheveux châtain foncé qui bouclent naturellement, même s’ils sont essentiellement raides. Mon regard exprime de la tristesse et de la fierté. Voilà qui donne l’impression que je suis méprisante ou hautaine, ce qui est absolument faux. Je suis intelligente et j’ose l’affirmer ouvertement: à quoi bon tourner autour du pot.”
Et côté détails physiques, elle n’a aucune pudeur: “ La nuit, je grince des dents. Mes petits seins pendent plus bas le soir que le matin. J’ai des fesses rebondies et des cuisses solides. Je suis myope.”
Et elle continue à courir avec quelques vraies ou fausses confidences: “ Je suis trop égocentrique pour avoir un enfant. Je suis la plus heureuse quand je vois échouer quelqu’un dans la vie. Je grille quasiment tous les feux rouges à vélo. Je hais les femmes au volant. Je hais le bricolage”.
Kristien de Proost s’en prend aussi à l’alimentation industrielle qui fleurit dans sa pays comme en France: ‘Mac Do supprimé, Subway supprimé, Coca-cola supprimé”, dit-elle rageusement”.
De temps à autre, le gardien emporte un des vêtements qu’elle enlève, y compris une tiare d’évèque, et qu’il va soigneusement ranger dans une des vitrines. Elle finit en slip blanc et les seins nus, puis enfin complètement nue, et avoue : “Je ne sais pas comment finir”.
On reste étonné, fasciné par cette performance à la fois physique (quatre ou cinq kilomètres environ) et artistique : une confession que l’on ne se lasse pas d’écouter . Dans cet univers proche de celui de la peinture de René Magritte.
Kristien de Proost réussit à focaliser l’attention du public autour d’elle avec une indéniable maîtrise du plateau, à mi-chemin entre art conceptuel, performance et théâtre. C’est un spectacle (dont c’était ici la création en langue française) à la fois intelligent plein d’humour, bien construit et sans aucune prétention qui nous renvoie à nos propres angoisses. Chapeau! et le public l’a très généreusement applaudie.
Nous avons revu ensuite Go down Moses de Romeo Castellucci. C’est toujours le même raffinement dans les images mais, malheureusement avec quelque chose qui sent le fabriqué cousu main, mais où on peine à percevoir le sens que le créateur italien veut faire passer. Le spectacle depuis son passage au Théâtre de la Ville à l’automne dernier semble avoir été épuré et coule mieux mais reste bien décevant.
Philippe du Vignal
Printemps des comédiens: Domaine d’O, 178 rue de la Carriérasse. T: 04 67 63 66
www.printempsdescomediens.com