Pyka puppet Festival

Pyka Puppet Estival:

 Une nouvelle semaine de la marionnette est née au Théâtre de l’Atalante, avec six spectacles d’une grande diversité de formes et de provenances.

 Tea House de Yeung Faï

Nous avions déjà apprécié sa dextérité dans Blue Jean (voir Le Théâtre du Blog), une pièce fondée sur la technique de la marionnette chinoise pour nous conter, en une heure, l’histoire de son pays natal, depuis l’invasion japonaise jusqu’à la nouvelle Chine, celle du commerce et du karaoké,  en passant par la Révolution culturelle…
Il représente l’ancien régime  avec des saynètes savoureuses, composées à la manière de l’opéra chinois : scènes domestiques ou combats acrobatiques de cape et d’épée. C’est là que s’exprime tout son talent, nourri par une longue tradition familiale, puisqu’il incarne la cinquième génération de grands maîtres de la marionnette.
  Mais la suite du spectacle souffre d’un manque de cohésion. Même si les images sont souvent belles (comme cette cible teintée d’une traînée rouge, allusion à la guerre civile),  les signes et symboles  sont, eux, moins lisibles. Certes, ce lion qui se réveille et qui danse, incarne la renaissance de l’Empire du Milieu, mais on saisit mal qu’un singe muni de son bâton de pèlerin, fasse allusion au Voyage vers l’Ouest, le fameux roman de Wou Cheng, du XVIIIe siècle. Ce serait ici la  métaphore des pérégrinations de l’artiste vers l’Occident.

 La Légende du bonheur d’Evguéni Ibrahimov

  Ce spectacle nous invite à un autre voyage : aux confins du Caucase dont est originaire le metteur en scène et directeur de la compagnie russe Skazka. Avec de petites poupées plates et tout en longueur, emmanchées sur des bâtons rustiques, il nous narre une légende du pays des Tcherkesses (Circassiens), que traduit en direct, sur scène, une jeune femme. Proche du conte, le spectacle nous plonge dans la culture populaire de la Sibérie, sans cependant créer d’images fortes.

 The seed Carriers de Stephen Mottram

pyka puppet festivalAu bout des fils, s’animent de petites poupées articulées qui rampent et sautillent, avant d’être prises au filet par ce géant qu’est le marionnettiste. Fragiles, elles seront démembrées par un drôle de monstre qui manipule le contenu de leurs entrailles pour créer des êtres hybrides, mi-oiseaux, mi-poissons …
 Dans un décor qui s’ouvre, se ferme, se déplie et se replie, grouille un bestiaire fantastique imaginé par le marionnettiste-démiurge, qui, avec le plus grand flegme, se livre sur ses créatures à des extermination de masse,  à des manipulations génétiques, ou qui les asservit en les transformant en automates… C’est fou ce qu’il fait subir à ses pantins. De quoi frémir ! Les éclairages sont savamment étudiés, et la musique de Glyn Perin  traduit grincements, claquements, crissements, bouillonnements,  qui accompagnent l’implacable mécanique présidant aux destinées de ces homoncules émouvants par leur précarité.
On pense aux films et installations des frères Quay, à partir des univers de Franz Kafka ou Bruno Schulz. Du grand art. Ce brillant spectacle en dit long sur la condition humaine…

Mireille Davidovici

 Spectacle vu à l’Atalante du 4 au 11 juin où étaient aussi présentés : Le dernier cri de Constantin de Pierre Blaise, Je hais les marionnettes de Jean-Louis Heckel (voir prochainement Le Théâtre du Blog), et Actes sans paroles de François Lazaro.


Archive pour juin, 2015

Le Roi Bohème

 Le Roi bohème de Stanislas Cotton, mise en scène de Vincent Goethals

 

Roi bohème A - photo JJ Utz Le directeur du Théâtre du Peuple de Bussang met en scène  cette  fantaisie amoureuse et poétique  de Stanislas Cotton dont il a déjà monté, entre autres, et avec talent, Bureau national des Allogènes.  Cette écriture corrosive, à la fois poétique, ludique et politique, fait bon ménage avec le  jeu de Sébastien Amblard.
«L’histoire d’un roi de Bohème et de ses sept châteaux que le narrateur n’arrive jamais à raconter» est, à l’origine, un récit fantaisiste de Charles Nodier (1780-1844), paru en 1828,  et inspiré de Tristram Shandy de Laurence Sterne (1713-1768), dont la narration est  similaire, avec jeux de mots et  écriture au style imagé.

Ce  solo n’est pas l’illustration du  texte de Charles Nodier mais  il y a  cette même relation duelle entre Vincent Goethals et Stanislas Cotton. Mélange d’onirisme et d’expressionnisme chez le roi, installé entre dilettantisme, fantaisie d’esprit et allure bigarrée, parole sucrée ou bien étrange, si ce n’est  inquiétante.
Aurelio est embauché chez Monsieur Lampadaire, comme vendeur d’escarpins à talons aiguille, ou ballerines  au rouge velours flamboyant de théâtre à l’italienne. Passe Camelia une jeune fille qui s’entiche de ces mules satinées, tandis qu’Aurelio, hypnotisé, fixe la courbe de son pied et « son peton menu ».
Nous ne dévoilerons pas le scénario coloré, entre polar et film noir, mais le vendeur de chaussures finit son parcours dans la rue, non plus à l’ombre de Monsieur Lampadaire, mais sous un réverbère. Qu’est-il arrivé ? Le spectateur doit trouver l’énigme…
Le jeune garçon semble plus attaché aux  atours féminins: pantoufles rouge de vair façon Cendrillon, culotte de dentelles et soutien-gorge fleuri, qu’à cette jeune femme et à son être intime. Sébastien Amblard imite à merveille la demoiselle qui balance sa croupe; il saute d’un étal de marchandises à l’autre, en séducteur viril et éloquent, puis erre dans la rue et prend gîte sous le halo d’un réverbère, parmi un amas de journaux et un long manteau pelé. Et  ce Roi bohème, qui jamais ne perd sa verve, entretient toujours folie et mensonges.
Un conte noir et provocant qui fait se serrer la gorge du spectateur.

Véronique Hotte

Le Lucernaire, rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris jusqu’au 8 août, du mardi au samedi 19h. Tél : 01 45 44 57 34

Oliver Twist

Oliver Twist d’après Charles Dickens, adaptation de Danièle Klein et Eric de Dadelsen  mise en scène d’Olivier Mellor  

 

Charles Dickens  (1812-1870) écrivain vite célèbre  avait eu une enfance d’abord heureuse  mais son  père fut incarcéré  pour dettes, et, à douze ans, il commença à travailler à coller des étiquettes sur des bouteilles de cirage, puis reprendra ensuite des études. Mais ce traumatisme n’a jamais disparu. «  J’écris sans rancune, sans colère, car je sais que tout ce qui s’est passé a façonné l’homme que je suis. Mais je n’ai rien oublié, je n’oublierai jamais ».
 Ce qui ne l’empêcha pas ensuite de se cultiver en autodidacte, de fonder des hebdomadaires, d’écrire plus d’une quinzaine de romans empreints d’humour et d’esprit satirique à l’intrigue très élaborée et avec de nombreux personnages. Publiés en feuilletons hebdomadaires ou mensuels, genre qu’il inaugura et comme des centaines de nouvelles et articles où il a toujours défendu le droit des enfants, y compris et surtout leur droit à l’éducation, et celui des femmes, en particulier celui des prostituées très nombreuses dans le Londres du milieu du XIX ème siècle.
 Charles Dickens  écrivit aussi  et mis en scène  quelques pièces. Il fut très vite reconnu dans son pays et traduit en de nombreuses langues,  et ses romans ont été adaptés de nombreuses fois au théâtre, (on se souvient du formidable David Coperfield créé par Jean-Claude Penchenat) mais aussi au cinéma comme à la radio et à la télévision..
Oliver Twist, encore plus que David Coperfield est l’un de ses plus grands romans : « de tous mes livres, celui que j’aime le plus », dit-il, et  des centaines de nouvelles et articles. C’est l’histoire du destin d’un orphelin, acheté comme de si nombreux enfants dans le Londres de la fin du XIXème siècle pour travailler durement et sans salaire, où un grande partie de la population était misérable et sale. Ecrit de 1836 à 1838,  le roman  a donné lieu à de nombreuses adaptations  théâtrales et  cinématographiques.
  Cette  fresque où l’on peut croiser des personnages pittoresques appartenant aux bas-fonds, cruels et sans scrupules, mais aussi des grands bourgeois  charitables qui vont essayer d’enlever Oliver Twist à son destin.
  La tentative d’Olivier Mellor  mérite le respect : ce n’est pas si simple de  diriger une vingtaine d’acteurs et marionnettistes /chanteurs/musiciens. Et il y a de bons moments à la fois musicaux et chantés, et parfois des scènes avec les marionnettes tout à fait réussies.  Le metteur en scène  a visiblement été influencé par Ariane Mnouchkine, son illustre voisine de la Cartoucherie et son Théâtre du Soleil…
 Mais bon, ne fait pas du théâtre « populaire » qui veut ! Et ici, le compte n’y est pas, même si le spectacle est bien rodé : le scénario, pas très élaboré, avec quelque chose de cahotant (les adolescents du public avaient souvent du mal à s’y retrouver, et nous aussi !) ; les scènes aux maigres dialogues, pas très bien jouées (tout le monde crie, sauf le petit garçon qui joue Oliver Twist) voire un peu récitées, se succèdent sans guère de rythme, et sont la plupart du temps plombées par une musique envahissante, beaucoup trop forte! (les micros H F n’arrangent pas les choses, puisqu’ils gomment évidemment toute nuance).
 Les éléments de décor que les comédiens ne cessent de déplacer selon les scènes, ce qui devient vite fatiguant, sont approximatifs et les costumes, entre pseudo XIX ème et contemporain (un petit coup de distanciation brechtienne, comme ces jets de fumigène à vue?) sont franchement laids et disparates.
Tout cela, désolé, ne vole quand même pas très haut, même si cela va un peu mieux sur la fin comme souvent mais l’ensemble n’est guère passionnant donc comment se sentir  vraiment impliqué. Dommage… Olivier Mellor avait mieux réussi son coup avec Knock qu’il avait présenté dans ce même théâtre  l’an passé. (Voir Le Théâtre du Blog).  Ainsi va la vie en cette fin de saison…
A vous de choisir, mais le détour par la Cartoucherie, malgré son silence, ses fleurs et ses oiseaux, ne nous paraît pas indispensable.

 Philippe du Vignal 

Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvres, T : 01 48 08 39 74

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Rigoletto par les Grooms

Rigoletto par les Grooms, d’après une idée originale de  Jacques Auffray, mise en scène de Pierre Guillois, musique d’Antoine Rosset et  Serge Serafini, d’après Giuseppe Verdi

Grooms--5C’est la réinterprétation d’un opéra célèbre d’un compositeur aussi célèbre comme savent si bien le faire Les Grooms : (Mozart, Wagner, Purcell) avec La Flûte en chantier, La Tétralogie de Quat’sous, Un roi Arthur (voir Le Théâtre du Blog). Système maintenant parfaitement rodé: une fanfare de cuivres  joue les airs les plus connus de l’œuvre avec quelques  chanteurs/comédiens  très habiles,  la plupart du temps dans une déambulation en plein air mise en scène .
 Cette fois-ci, Les Grooms s’attaquent à un des opéras les plus populaires de Guiseppe Verdi, avec, au programme de cet histoire d’amour trop compliquée pour être résumée, adaptée du Roi s’amuse de Victor Hugo: mensonges, coups bas, trahisons, jalousies, poursuites  et assassinats…
  Cela se passe devant la Maison de la musique à Nanterre sous un ciel menaçant qui a obligé les Grooms à reporter le spectacle d’une quarantaine de minutes. Un public qui ne va probablement jamais au théâtre, est installé debout autour de la place sur de petits pliants triangulaires  pour les plus chanceux, ou assis par terre sur des bâches au milieu de cette place ronde, la fanfare et les chanteurs évoluant sur l’anneau resté libre séparant le noyau central des spectateurs.
 Il a ainsi Les Grooms (clarinette, saxos, trombone, accordéon…), six jeunes femmes taille super mannequin en short, chaussures à hauts talons et longue perruque blonde, avec un numéro dans le dos comme pour les concours de beauté  de miss, un vieil homme, le  père de l’une des héroïnes   en  fauteuil roulant électrique pour handicapé, une autre voiture  décapotable  d’un beau rouge, un lit à baldaquin aux draps blancs. Et vers la fin, une petite caravane dont les deux côtés servent selon les scènes.  Comme toujours pour les spectacles de rue, il y a beaucoup de jeunes et d’enfants…
  «Les cuivres résonnent sur les façades, les voix des chanteurs planent au dessus des toits, la folie de l’histoire s’empare de la foule. Les Grooms jouent les grandes émotions pour enchanter la ville ! » dit la note d’intention. Aucun doute là-dessus: on sent que c’est un vrai travail de professionnels avertis mais…non rien à faire, ce n’était décidément pas le bon soir:  la folie de l’histoire ne s’empare pas du tout de la foule,  et  cela ne fonctionne pas vraiment. La faute à quoi, la faute à qui ?
D’abord, au choix et surtout à la configuration scénographique ratée de ce lieu,  assez bruyant, où on  se perdent les voix des chanteurs, pourtant habitués au plein air, et de la chorale d’amateurs, dans un brouhaha permanent.
Par ailleurs, côté dramaturgie, le scénario déjà compliqué, est ici proprement imbitable sauf dans ses grandes lignes, puisqu’on l’entend mal,  le public peu attentif ne cessant de parler. Et le manque de rythme est flagrant : les scènes se traînent, avec souvent, de longs blancs où rien ne se passe.  Et même s’il y a de belles images comme cette décapotable rouge avec douze jambes élégantes qui battent la mesure, ce lit à baldaquin transportant la belle héroïne du drame, qui semble voguer au-dessus du public, le spectacle  avance bien lentement.
Pierre Guillois, pourtant très bon metteur en scène, semble avoir eu quelques mal à  mettre en place  cet opéra compliqué en plein air, exercice toujours périlleux, et  plusieurs fausses fins
allongent encore ce spectacle déjà trop long qui a perdu son rythme en route. Sans doute, ce sont les premières  les choses vont donc  se caler et  ce Rigoletto va  progresser  si les Grooms resserrent d’urgence les boulons.
Ils nous ont habitué à mieux, comme avec ce splendide Roi Arthur, ou avec cette merveilleuse Baronnade qui avait enchanté le public et que nous étions allés voir à Aubin, ancienne petite ville minière de l’Aveyron,  aux rues moyenâgeuses…

Philippe du Vignal   

 

 

Rhapsodie démente /François Verret

Rhapsodie démente, mise en scène François Verret

 

rhapsodie_demente_1«Pour ceux et celles né(e)es en l’an 2000 qui auront entre 14 et 18 ans dans les prochaines années, que reste-t-il de ce XXe siècle qu’on qualifie souvent d’ «âge des extrêmes» ? Quelles images en ont-ils ? Quel est notre héritage ? se demande François Verret, Qu’avons nous appris ? Lutter contre l’amnésie des générations futures, tel est le propos du Chantier 2014-2018 « .
Ce laboratoire nomade, passant par Paris, Grenoble et Strasbourg nous livre, dans le cadre du Manifeste 2015  de l’ I.R.CA.M. un spectacle déroutant. Pour composer cette Rhapsodie démente, le metteur en scène a réuni musiciens, chanteurs, danseurs et comédiens,en leur demandant d’improviser à partir de souvenirs personnels.
Ils s’inspirent aussi d’univers aussi différents que ceux de Robert Antelme, Angélica Lidell, Bernard Noël, Pierre Guyotat, le sous-commandant Marcos, le Comité invisible, Jean-Luc Godard… Ou encore du Radeau de la Méduse de Géricault. «Les artistes fonctionnent en roue libre, s’autorisant le libre jeu des dérives associatives » : en déployant chacun leur propre grammaire vocale et corporelle, ils créent une succession de tableaux vivants, ponctués de chants ou de vociférations. Frisant parfois l’hystérie. Leurs paroles nous parviennent souvent distordues par le truchement de micros, comme si plusieurs voix habitaient les corps.
Dans un paysage sonore et visuel composite, François Verret tente de re-capturer des bribes du siècle dernier jusqu’à saturation. Au milieu de ce maelström, la musique très présente du compositeur Jean-Pierre Drouet et du guitariste Marc Sens donne une certaine cohérence à ces mini-drames disséminés au quatre coins du plateau parmi les croix, quelques ossements, et un élégant labyrinthe constitué de plaques métalliques.
Cependant, au-delà de cet enfer où se débattent les protagonistes, s’annoncent des temps meilleurs, comme le laissent entrevoir les figures féminines qui, à la fin de la  pièce, semblent courir inéluctablement vers l’avenir. D’ailleurs, la prochaine tranche du Chantier s’intitule Le Pari : «Le pari de s’en sortir, ce qui n’est pas le moindre des paris »,  précise le maître d’œuvre.
Devant un spectacle fourmillant d’images, de bruit et de fureur, on perd parfois le fil, jusqu’à être dérouté. Mais ne sommes nous pas au milieu d’un chantier ? François Verret présente ici un travail expérimental et convie le public à le suivre dans son exploration.  Au sortir de la salle, on repense à ces mots d‘Ossip Mandelstam, entendus pendant le spectacle, et qui résument bien la pièce : « Par où commencer ? Tout craque, tangue et se disloque. Le ciel bourdonne de métaphores.»

 Mireille Davidovici

  Spectacle vu au Nouveau Théâtre de Montreuil le 5 juin. 

 

Variations pour une déchance annoncée d’après La Cerisaie/ Angela Konrad

Variations pour une déchéance annoncée, d’après La Cerisaie d’Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène d’Angela Konrad

 

768450Cette réécriture  de la célèbre et dernière pièce d’Anton Tchekhov se perd dans les subtilités de niveaux de lecture : La Cerisaie est ici replacée dans le cadre d’un spectacle télévisuel, mené par un animateur-vedette qui reçoit les personnages  du  drame joués par une troupe de comédiens. 
 Chacun des niveaux de mise en abyme caractérisent cette adaptation qui nous éloigne de  la pièce. Les acteurs de la troupe  en évoquent  la problématique, lors d’un entretien devant la caméra: un monde s’écroule, la cerisaie va être vendue, et la ruine les menace tous.  
 On est touché par la présence onirique du petit garçon de  Lioubov Andréevna qui pleure la mort de son fils qui erre dans un espace de rêve. La belle Dominique Quesnel, en manteau de fourrure, incarnation d’une vedette mythique de cinéma, se précipite sur le plateau, nous parle du sort de la cerisaie, et évoque  la disparition tragique de son fils qui la hante.
Sur une musique émouvante, on erre dans les méandres d’une réflexion  méta-théâtrale,  et ce spectacle est à la fois une relecture de La Cerisaie, un commentaire sur le théâtre  et la rencontre entre onirisme,  symbolisme  et  réalisme : des choix esthétiques  qui ne sont pas incompatibles, si on pense, entre autres, à Stanislavski ou à Ibsen.
Le spectacle nous transporte à un autre niveau de lecture : la structure dramaturgique s’évapore et  on a affaire ici à un jeu de transfiguration textuelle, dont on a du mal à comprendre la raison d’être.  Angela Konrad est certainement douée d’une  grande sensibilité pour ce genre de réflexion scénique mais sa recherche  n’est pas encore tout à fait aboutie…

Alvina Ruprecht

Usine C, Montréal, Festival Transamérique, 21 mai-4 juin 2015.

Le Songe d’une nuit d’été

 

songe

 

Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, mise en scène de Tim Robbins.

Quelle bonne idée d’ouvrir les Nuits de Fourvière, le festival estival de Lyon dont c’est la soixante-dixième édition, par ce Songe qui prend une nuit d’été pour cadre !  Le metteur en scène est l’américain Tim Robbins plus connu comme acteur (on se souvient de Dave le personnage tragique du film Mystic River  réalisé par Clint Eastwood), ou comme cinéaste  La dernière Marche. Artiste complet, il est aussi musicien et  donne un concert dans le cadre du festival.
Dans les différents entretiens qu’il a accordés, il dit son malaise vis-à-vis du cinéma hollywoodien, un monde d’affaires régi par la rentabilité.  Mais au théâtre, il apprécie de se mettre au service d’un texte et d’un public, si bien qu’il mène avec The Actors’Gang, la troupe  qu’il dirige, à Los Angeles, depuis 1981, un travail régulier  dans les écoles des quartiers populaires et les  prisons.
Dans le théâtre romain de Fourvière, par une nuit d’été qui ne demande qu’à être hantée par Obéron, Titania, leurs fées et leurs elfes, avec une lune pleine et lumineuse qu’aucun décorateur n’aurait pu inventer, la troupe de The Actors’Gang a fait la démonstration de son talent. Comédiens, danseurs, ils jouent plusieurs rôles et rendent au texte toute sa vitalité.  Pas de décors, simplement des vestiaires  autour d’un plateau nu. Sur le côté, quelques musiciens  ponctuent les actions des personnages et soulignent des moments du texte, selon une partition originale. 

  Le metteur en scène a réglé les déplacements des acteurs avec la minutie d’un chorégraphe et a travaillé avec une grande économie de moyens : ainsi pour symboliser la forêt omniprésente, les acteurs deviennent arbres ou fleurs, en utilisant simplement une branche ou un bouquet. Ce n’est pas sans charme, et même joli et drôle, mais un peu mince sur l’ensemble de la pièce.
Tim Robbins manque d’audace pour faire pétiller ce monde surréel où il suffit d’un peu de poudre, déposée sur les yeux par un elfe étourdi, pour que les sentiments amoureux s’emballent  et, se trompant d’objet, ébranlent l’harmonie d’une société !

Mais la mise en scène, au demeurant efficace, ne rend pas compte de la dimension poétique de la pièce et nous donne à voir un univers simplement sautillant et primesautier. Tim Robbins s’attache surtout à bien distinguer les trois mondes qui s’interpénètrent dans la pièce : celui des aristocrates autour du mariage du duc, celui d’Obéron et Titania, le conte de fées proprement dit, et celui des villageois préparant un spectacle, pour le mariage ducal. Ainsi, il  privilégie le théâtre dans le théâtre, avec la pièce que jouent les villageois dans la tradition, très savoureuse, de la commedia dell’arte.
  Mais ne boudons pas notre plaisir dans ce beau théâtre romain dont les gradins de pierre étaient encore tièdes de la chaleur de la journée; deux heures et quarante  plus tard, ils devenaient cependant moins agréables ! Mais le public bon enfant, avait accepté volontiers  de se serrer pour que tout le monde puisse s’assoir.

Elyane Gérôme

Spectacle vu le 2 juin. Festival des Nuits de Fourvière. T : 04 72 32 00 00   www.nuitsdefourviere.com

 

Tartuffe/ Transamérique

Tartuffe de Molière, traduction de Wolfgang Wiens, adaptation et mise en scène de Michael Thalheimer

 

 Le spectacle le plus attendu du Festival Transamérique ne nous a pas déçu.  Michael  Thalheimer  qui travaille habituellement  au  Deutsches Theater de Berlin, est au diapason  de Thomas Ostermeier, le directeur de la Schaubühne et de Marius von Mayenburg,  les prêtres de la nouvelle dramaturgie allemande, qui ont  pour habitude d’adapter les textes classiques. 
 Ils en gardent la structure, dépouillent la langue de ce qui leur parait excessif  et surtout  mettent en valeur, tout ce qui  est au plus profond de l’inconscient des interlocuteurs. 
  Michael Thalheimer  coupe des passages de Tartuffe,  ajoute des extraits de la Bible au début de la pièce qu’il transforme  ainsi en théâtre liturgique macabre. Sa mise en scène est soutenue par une orchestration rythmée de la parole biblique, et les vibrations d’un orgue qui nous rappelle l’ouverture du Fantôme de l’Opéra qui serait jouée comme une musique lyrico-religieuse. Cléante, le mécréant diabolique, chuchote  à l’oreille de son beau-frère Orgon, disciple cadavérique  de Tartuffe, nouveau prophète du mal.
 Le monde est transfiguré: Tartuffe, dieu détestable, devient une figure christique martyrisée, un ange exterminateur et un fanatique haineux, dont la recherche du pouvoir et le désir d’anéantissement du monde  sont ici portés  par une pulsion sexuelle  incontrôlée. L’inattendu surgit partout! Michael Thalheimer supprime ainsi le  personnage de l’Exempt à la fin pour  empêcher  l’arrestation de Tartuffe ; il veut insister sur le fait que ce deus ex machina est un petit clin d’œil de l’auteur à Monsieur, frère du roi, cela  sans rapport aucun avec le texte.
  En renversant ainsi la conclusion, le metteur en scène permet au « guide spirituel » de partir avec tous les biens de la famille et de continuer ses machinations vengeresses en toute liberté. Mais, coincés dans le fond d’un décor tournant qui ressemble à une cage à cobayes, les membres de la famille d’Orgon, bousculés à droite et à gauche, les visages terrifiés, blancs, s’écrasent les uns contre les autres au fond d’une structure rectangulaire  évoquant une  maison en pleine dégringolade, où ils sont incapables de se tenir debout.
  La fameuse scène où Orgon caché sous la table, prend Tartuffe en flagrant délit de séduction d’Elmire, correspond à un  monde aux valeurs inversées; mari collé  au plafond  comme une mouche,  d’où il peut tout voir et tout entendre, Orgon ne veut pas regarder ce qui  se passe en dessous, alors qu’Elvire et Tartuffe se parlent  sagement. 
  À vrai dire, le spectacle serait trop horrible,  puisque  Tartuffe ne serait ni l’imposteur, ni l’hypocrite  dans cette vision de l’œuvre ; seul à ne pas cacher sa vérité intérieure, il avoue sa rage, sa haine  et ses faiblesses: ce qui en fait un personnage étrangement séduisant et d’autant plus dangereux.   Au  départ donc, nos attentes sont bousculées : tous les personnages, sauf Tartuffe, font semblant d’être ce qu’ils ne sont pas.  Les styles  de jeu font croire à un monde théâtral,  manipulé à la fois par un metteur en scène obsédé à la fois par la biomécanique et par le souvenir de Marat Sade, la fameuse pièce de Peter Weiss, mis en scène par Peter Brook.
 Valère, en faisant valoir ses longues jambes de marionnette en caoutchouc, nous rappelle  les Monty Python.  Marianne, elle,  est frappée de spasmes qui rappellent le syndrome de Tourette. Quant à Orgon, il  devient ici une sorte de  Louis de Funès  désarticulé  et balbutiant,  quand il comprend que Tartuffe convoite  sa femme. 
Damis, le fils d’Orgon, arrive, lui, en grignotant  des biscuits  comme une souris enfermée  dans une cage qui tourne sur elle-même, pour  signifier qu’ils sont tous pris comme des rats à ce piège géant, alors que Tartuffe disparaît dans la confusion de la scène.
  Le Mal est enfin lâché dans le monde et la pièce rejoint notre réalité actuelle, celle des meurtres  commis par des fanatiques religieux et des assassinats politiques. Le  monstre est enfin parmi nous et celui qui émerge de l’espace conçu par Michael Thalheimer dépasse de loin le personnage que  Molière aurait pu imaginer  pour répandre une véritable  inquiétude. 
 Jamais, en tout cas,  son  théâtre n’aura paru aussi juste, et aussi contemporain…

 Alvina Ruprecht

Festival TransAmérique à Montréal

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Quoi, quoi de François Joxe

Quoi, quoi  texte et mis en scène de François Joxe

 

 quoi quoi François Joxe avait déjà mis en scène au dernier festival d’Avignon ce dialogue en trois épisodes entre un homme et une femme à trois moments de leur vie. On les voit d’abord tous les deux, elle à 45 ans et lui à 50. Ni jeunes ni vieux donc, mais avec pas mal d’années de couple au compteur. Ils se comprennent à demi-mot, et  se chamaillent souvent. Le ton monte parfois et les mots les plus crus (un peu trop souvent pipi-caca!) volent en escadrille. Toujours à propos des mêmes choses mais surtout des relations homme/femme, et sexuelles, bien entendu .
 On les retrouve tous les deux pour le second épisode: retour en arrière et arrêt sur image ils ont tous les deux vingt ans, mais percent chez lui les premiers symptômes d’une bonne crise de jalousie. Elle est en effet le modèle d’un peintre mais laisse-t-elle entendre peut-être un peu plus que son modèle.
 Au troisième épisode, le plus grinçant: ils ont tous les deux 70 ans et donc un demi-siècle de vie commune; elle aurait voulu être comédienne mais y a renoncé pour avoir le plaisir de d’avoir quatre enfants.
 Reste, ce que nous avions déjà signalé quand la pièce a paru en 2011,  (voir Le Théâtre du Blog), la difficulté à mettre en scène ce dialogue à la fois raffiné  et parfois comme pour exorciser les choses, assaisonné de quelques crudités. L’auteur se voit confronté au metteur en scène! Comment rendre crédibles ces deux personnages de 45 puis 22 puis 70 ans, enfermés dans un huis-clos pendant  un peu plus d’une heure. Prendre six acteurs : mission impossible sur le plan  dramaturgique et… financier. Dans le premier épisode, François Joxe réussit assez bien à faire passer sa petite musique douce-amère, où passé et présent se conjuguent chez ce couple, même si on peine à voir parfois qu’il s’agit d’un couple.
 Ensuite, après un long changement de costumes qui n’en finit pas, quand on retrouve les deux tourtereaux d’autrefois, malgré quelques beaux instants, le compte n’y est pas tout à fait : Isabelle Hétier en fait des tonnes, minaude joue la jeune femme qu’elle n’est plus ; lui, Jean Grimaud, plus sobre, s’en sort mieux.
 Le troisième épisode est, et c’est dommage, quelque peu plombé par une mise en scène absolument statique où le mari et la femme se parlent assis dos à dos  sans se regarder.  Sans doute un parti-pris  pour faire ressentir leur solitude à chacun? Mais assez maladroit
Tout se passe comme si François Joxe n’arrivait pas à trouver tout à fait la juste mesure pour donner une vérité à ce couple âgé, alors que le texte s’impose. Et cela finit sur un air d’opéra bien conventionnel…
 Un spectacle dont les dialogues bien écrits ne manquent pas de charme, mais  dont il faudrait revoir  d’urgence l’interprétation et à la mise en scène…

 Philippe du Vignal

Théâtre du Guichet-Montparnasse  15 Rue du Maine, 75014 Paris. T: 01 43 27 88 61, les samedis et dimanches jusqu’au 28 juin, puis Festival d’Avignon: Ateliers d’Amphoux 10 rue d’Amphoux à 16h 30, du 3 au 26 juillet; T.: 04 90 86 17 12.

 

 

Ecrits (1) de Tadeusz Kantor

Ecrits (1) Du théâtre clandestin au théâtre de la mort de Tadeusz Kantor

 

  ecrits-1-du-theatre-clandestin-au-theatre-de-la-mortDécédé il y a vingt-cinq ans à Cracovie, Tadeusz Kantor aurait eu cent ans cette année… Nous l’avons connu,  il y a presque déjà un demi-siècle et aucun  homme de théâtre ne nous aura autant apporté. Quand il passait à Paris ou était en tournée à l’étranger, nous avons souvent parlé théorie et pratique du théâtre. Il avait une intelligence exceptionnelle, une grande culture théâtrale et artistique,  et  avec aussi, ce qui n’est pas incompatible mais assez rare dans cette profession, une générosité et un humour permanents.
Comme le souligne Marie-Thérèse Vido-Rzewuka qui a ici  accompli un énorme travail auquel  il faut rendre hommage, “Cet immense créateur, dit-elle, se définissait comme peintre et homme de théâtre mais était aussi homme d’écriture. Dès ses premières recherches sur le théâtre, durant l’occupation nazie, et tout au long de sa vie, il transcrit sur le papier ses réflexions et ses doutes, ses certitudes et ses convictions, en même temps que les esquisses de ses spectacles, en projet ou en cours d’expérimentation. (…) Qu’il s‘agisse de manifestes, de déclarations, de notes en marge des spectacles, ou de partitions écrites a posteriori, ces textes possèdent, au-delà de leur témoignage ou de jalons sur le parcours de l’artiste, une profonde dimension poétique”.

 Comment mieux dire les choses? En effet, Les Ecrits de Tadeusz Kantor, dont nous connaissions certains extraits qu’il nous avait oralement traduits en français, frappent à la fois par leur audace et par leur étonnante clairvoyance, et préfigurent la plus grande partie du théâtre contemporain. Ce premier volume qui sera suivi d’un autre courant juillet, nous montre les étapes de son travail depuis la naissance du “théâtre indépendant ou clandestin” entre 1942 et 1944 à la barbe des Allemands dans des appartements inoccupés. Le jeu était très dangereux puisqu’il y avait chaque soir le couvre-feu dans Cracovie : ses amis et lui, très jeunes encore, prenaient le risque  d’être fusillés…
Et ce fut une fierté de sa vie. “J’avais 27 ans.  Pas d’affiche bien entendu, m’avait-il une fois expliqué, pas ou peu d’éclairage électrique, pas de scène, pas de décor, et comme  fond noir de scène une pièce de tissu de catafalque apporté par le père Marcin Siedelecki, accessoiriste et directeur technique de la troupe! Pas de maquillage, rien ou si peu pour se chauffer, juste quelques costumes et accessoires vite fabriqués mais pourtant, nous jouions pour  un formidable public avec quelques amis: acteurs, poètes, peintres, artistes comme entre autres Marta Stebnicka, actrice et chanteuse, Marcin Wenzel, scénographe, Mieczylaw Porębski”. Et, comme-quelle fidélité!- Kazimierz Mikulski, peintre et scénographe, son quasi- contemporain, qui devint quarante ans plus tard, le Gardien de La Classe morte et Lila Krazsicka qui fiit partie de presque tous ses spectacles, et que nous avons tous deux bien connus. Tadeusz Kantor l’appelait en privé la Comtesse parce qu’elle était noble…
Il y a déjà, et bien expliqués dans des textes devenus fondamentaux, les principes qui furent les siens toute sa vie: le théâtre n’est pas un appareil  de reproduction de la littérature, il faut créer une imbrication totale entre scène et salle : “acteurs et spectateurs sont déjà mélangés et dispersés par paquets” comme dans Balladyna de Slowacki (formidable intuition, il y a plus de soixante-dix ans!) le refus  du passé: “ Je ne me sens lié à aucune époque du passé; elles me sont inconnues et ne m’intéressent pas”, le refus aussi d’illustrer un texte de théâtre qui doit rester “un art autonome”, et donc en même temps, la nécessité absolue pour lui de faire acte de création à partir de pièces difficiles: La Pieuvre de Witkiewicz, Le Puits ou la profondeur de la pensée, pantomime de Kazimierz Mikulski, Balladyna de Slovacki, et Le Retour d’Ulysse de Wispianski, en 1944, date qu’il tient, dit-il, à graver).Il se demande avec un bel humour, si le personnage imaginé ici par l’auteur polonais “n’est pas une belle canaille”!
Et il y a déjà dans sa mise en scène “une bruyante mélodie de marche militaire “ comme plus tard dans nombre des ses spectacles! Puis Les Boutiques de cannelle de Bruno Schulz, excellent peintre et écrivain, qui sera fusillé par les nazis. ou  La Mort de Tintagile de Maurice Maerterlinck qu’il admirait beaucoup pour  son opposition au réalisme. (Il recréa ensuite la pièce à Turin mais sans vraiment y réussir).. Dénominateur commun de tous ces textes: c’était d’excellents matériaux et tremplins scéniques pour un créateur comme lui à la fois peintre et metteur en scène.

Suit  un texte de 1946, tout à fait passionnant: Quelques suggestions plastiques pour la scène où Tadeusz Kantor s’en prend au faux naturalisme, sa bête noire, parle du traitement de la lumière par André Bonnard et Paul Cézanne, analyse la scène telle que la voyait Meyerhold, réfléchit à l’osier, comme nouveau matériau scénographique employé par le Russe Tyszler…
 Il y a ensuite un court texte sur Paris où il se rend en 1947 pour la première fois, puis en 1955 , qui témoigne de son inlassable curiosité: Le Louvre, et Léonard de Vinci,  Le Jeu de Paume et les Impressionnistes, les galeries Denise René et Aimé Maeght… la passerelle de l’Ile Saint-Louis, Notre-Dame, le cafés comme les Deux Magots, le Flore, le café catalan,  » le capitaine Gheerbrandt » et sa librairie de la Hune, la rue Visconti “où Racine est mort” et Le Palais de la Découverte où il  a une “fascination croissante” pour des coupes de métaux, de molécules,etc… Et la même année, il se prend d’amour à Cracovie pour les vieux parapluies “objet à surprises” qui a en lui “ une part de merveilleux dans un squelette de fer”.  La même année encore, il fonde le Théâtre Cricot 2, avec un manifeste  où il prône non pas un théâtre de peintres déchaînés, mais “un théâtre d’acteurs, de plasticiens, de musiciens” mais aussi “la possibilité d’une méthode radicalement nouvelle de jeu scénique”;  il insiste notamment sur le rôle essentiel pour lui  d’un “éclatement du cours de l’action , et sur l’importance du costume”.
Deux ans plus tard, il met en scène à Cracovie, Le Bûcheron, un poème de Pablo Neruda; c’est l’époque où, dit-il, “l’espace devient le thème principal de mes carnets “,  “conditionne les rapports entre les formes et leur tension”, et “offre la joie et la liberté à l’IMAGINATION découvrant son INFINITE, ses secrets et sa METAPHYSIQUE”.

  Tadeusz Kantor confie aussi qu’il ressent une passion pour la peinture “comme originelle et innée chez lui” mais qu’il “éprouve une certaine méfiance envers cet enfermement professionnel dans le champ d’un seul genre”.
 Et toute sa vie, il essayera de combiner peinture et création scénique, même quand il était en tournée dans le monde entier.
Dans Réflexions sur les pièces de Witkiewicz, Tadeusz Kantor revient sur la nécessité  de débarrasser la scène de toute illusion”, une préoccupation constante chez lui, sur l’importance capitale des objets et de la partition sonore dans un spectacle. Il nous souvient d’un théâtre à Milan pas très bien équipé, où il avait demandé à son ingénieur du son polonais de faire mieux et qui lui répondit: “ Désolé, Monsieur Kantor, je fais vraiment le maximum avec ce que j’ai. Et il lui  avait simplement dit: “ Demain, débrouillez-vous je veux que vous  dépassiez ce maximum! ». Exigence et passion chez ce diable d’homme, impatient et parfois en proie à des colères spontanée aussi  mémorables que vite éteintes…

 Il y a aussi dans ce recueil de textes une belle lettre adressée en 1956 au Ministère de la Culture polonais ou demander une aide, et il insiste sur la particularité de son théâtre, et sur la relation spécifique  qu’il souhaite approfondir entre salle et scène, et surtout sur le fait que la forme scénique doit « éliminer toute illusion de reproduction, tout caractère illusoire ».
  Développement du Théâtre Cricot 2, le Théâtre dit « informel » conçu par Tadeusz Kantor en 1960 et pour lui,  avec le constructivisme auquel il vouait une véritable passion, est devenu essentiel pour lui, et a donné naissance ensuite en 1975, à La Classe morte, spectacle devenu mythique. C’est ce qu’il analyse dans plusieurs très beaux textes théoriques où il développe ses idées scéniques. Avec des intuitions fulgurantes sur le décor, le costume, l’espace théâtral, mais aussi sur les emballages, les objets  happening  comme son très fameux Happening panoramique de la mer réalisé en 1967: “ Je suis profondément convaincu, dit le créateur polonaise, que seul, un théâtre basé sur les méthodes modernes de penser et de concevoir, est capable de devenir aujourd’hui  un théâtre de masse enraciné dans la société”. Capable sans doute “avec des champs de tension qui sont capables de disloquer la carapace anecdotique du drame” . Et Tadeusz Kantor n’est pas tendre, et continue à se battre comme dans ce texte paru en 1967: “Le théâtre actuel, imprégné de conformisme, ignore, pour des raisons connues, ce processus, se réfugiant derrière un savoir théâtral professionnel académique qui, face à eux, devient de plus en plus étroit et scolastique, provincial et ridicule”.
Tadeusz Kantor dans le dernier texte de ce livre: Le Théâtre de la mort, revient sur les théories sur la marionnette du  grand metteur en scène et théoricien Arthur Gordon Craig,  et  sur les mannequins qu’il  a  mis souvent en scène comme des acteurs vivants dans sa célèbre Classe morte. C’est aussi brillant qu’intelligent et sensible.

 En 460 pages, ces Ecrits  constituent à la fois une approche du théâtre de Tadeusz Kantor et sont une occasion d’entrer dans “ces réflexions  qui se  rapportent à la totalité de l’art actuel”. Un livre exceptionnel qui nous concerne tous,  et que  doivent absolument lire metteurs en scène, comédiens, scénographes, étudiants en art et tous ceux qui s’intéressent aux mutations de la scène dans la seconde partie du XX ème siècle.

Philippe du Vignal

 Les Solitaires Intempestifs. 23 €
 

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