La Mate

la matte

FESTIVAL D’AVIGNON

 

La Mate,  texte, conception et jeu de Flore Lefebre des Noëttes

 

« Le Pate, Edouard Fervent de Lamorantière, n’a pas connu son Pate, mort à la guerre 14-18. Le Pate était médecin militaire, lieutenant-colonel, quand il fut dans l’impossibilité de travailler, tombé fou l’année de ma naissance en 1957. Le Pate est mort il y a longtemps. Il était beau et effrayant. Entre deux séjours à l’asile, Le Pate nous apprenait à lire, à écrire, à jouer aux échecs, à nager, à faire du vélo, il nous faisait faire nos devoirs en nous engueulant quand on n’allait pas assez vite .(…)
Le Pate était cultivé et intelligent, mais dans ses périodes maniaco-dépressives, ça ne se voyait plus du tout, il devenait bête, vulgaire et porno, violent et raciste ! J’ai toujours connu Le Pate en crise de folie, avec des moments de rémission. Quand ma sœur Antoinette allait naître en 1961, La Mate ne savait pas s’il fallait d’abord interner Le Pate puis aller accoucher, ou bien d’abord accoucher, puis interner Le Pate, elle finit par partir accoucher, car l’internement du Pate était un processus long et compliqué, exigeait l’accord d’un tiers et c’était toujours Tante Odile Harvard, le tiers. (…)
« De son prénom, Lili, La Mate est morte, il n’y a pas très longtemps. Elle était belle et effrayante. La Mate était une enfant malingre collée à sa mère, son Pater étant mort des suites de la guerre 14-18. Elle ne l’a connu que par une photo, habillé en militaire et partant au front dont il revint gazé. Puis, elle devint chef de meute, sous le nom de Canard Vibrant. Elle s’engagea ensuite dans la religion catholique jusqu’à être nonne chez les franciscains, en sortit très vite malade et rencontra alors Le Pate à qui elle consacra sa vie. Après Dieu le père, elle se voua à Dieu, mon père. »
Nous n’avons  pas résisté à cette longue citation pour vous donner un avant-goût de ce texte-confession, bien écrit, à la façon d’un exorcisme auquel en soixante minutes,  se livre la comédienne, seule sur le petit plateau d’une chapelle, avec un lutrin pour le livre de textes et photos qu’elle va feuilleter pour nous.

   A 58 ans, elle nous raconte cette enfance et cette adolescence dans les années soixante,  au sein de cette famille de onze enfants dont trois issus d’un premier mariage du père.  « Il y avait, dit-elle, La grande Elisabeth ou Elisabeth I morte le lendemain de sa naissance, le grand Edouard, ou  Edouard I, mort à quatre  ans dans le même accident qu’Odette et puis nous les vivants  : Suzette qu’on appelait aussi Aigle Noir, Elisabeth II ou encore Gaine Rose, Guillaume ou Guigui, moi, Juliette, Juju, ou le Puma, Edouard II ou Doudou, puis les trois petites : Annette, Antoinette et Guillemette. Nous étions indissociables les uns des autres, nous étions « la meute de la Mate ».
 La Mate, très catholique, élevait ses enfants, tout en gérant la grave maladie de son mari, et était aussi redoutable cuisinière et pâtissière, énergique organisatrice d’une chorale, d’une bibliothèque, d’un catéchisme, de  kermesses pour récolter de l’argent pour sa paroisse. Comptant ses sous et  arrivant même à en gagner en créant des boutiques de produits exotiques en Bretagne, roulant le contrôleur de la SNCF pour les départs en vacances.
A la fois passionnant et d’un temps qui n’a plus  rien à voir avec notre époque: cela se passe dans un immeuble  réservé aux seuls officiers dans la banlieue parisienne souvent dotés de noms à rallonge:les de Clermont- Tonnerre, les de Grenier de Latour, très sympas, pas croyants qui fumaient beaucoup et  buvaient beaucoup de whisky…
  De temps en temps, une chanson comme celle de Jacques Dutronc, pour aérer  les choses,  ou une sonnerie de cloche ou clochettes que Flore Lefebre des Noëttes  agite en rythme.  C’est toute une époque qu’elle arrive ainsi à recréer avec la seule magie des mots: les notes des familles nombreuses qui s’accumulaient chez Félix Potin, les voyage au long cours en train pour aller en vacances à Saint-Michel-Chef-Chef, l’encre violette dans les encriers en porcelaine de l’école, les carambars et les roudoudous, les marelles dessinées à la craie, les instituteurs qui donnaient comme punition des coups de règle sur les doigts, la  confession et la messe obligatoires, les missels avec leurs images pieuses en dentelle, la communion solennelle, vieux rite de passage à l’âge adulte… Bref, un tout autre monde disparu ou presque depuis  bien longtemps, et pourtant encore si proche: nostalgie quand tu nous tiens…
  Debout devant son lutrin, Flore Lefebre des Noëttes  a une formidable présence, et, en une petite heure, réussit à embarquer le public dans son voyage personnel, quasi ethnologique;  le spectacle est encore brut de décoffrage, et  la diction, par moments assez faiblarde, devrait être sérieusement revue à la hausse. Et les cinq dernières minutes traînent un peu comme si la comédienne avait du mal à boucler son texte. Mais bon, cela va se caler et si tous les spectacles du off étaient de cette qualité! Et, après un assez calamiteux Roi Lear dans la Cour d’honneur, dont nous parlerons demain, cette Mate fait du bien…

Philippe du Vignal

Théâtre des Halles tous les soirs à 20h.


Archive pour 5 juillet, 2015

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FESTIVAL D’AVIGNON

 

La Mate,  texte, conception et jeu de Flore Lefebre des Noëttes

 

« Le Pate, Edouard Fervent de Lamorantière, n’a pas connu son Pate, mort à la guerre 14-18. Le Pate était médecin militaire, lieutenant-colonel, quand il fut dans l’impossibilité de travailler, tombé fou l’année de ma naissance en 1957. Le Pate est mort il y a longtemps. Il était beau et effrayant. Entre deux séjours à l’asile, Le Pate nous apprenait à lire, à écrire, à jouer aux échecs, à nager, à faire du vélo, il nous faisait faire nos devoirs en nous engueulant quand on n’allait pas assez vite .(…)
Le Pate était cultivé et intelligent, mais dans ses périodes maniaco-dépressives, ça ne se voyait plus du tout, il devenait bête, vulgaire et porno, violent et raciste ! J’ai toujours connu Le Pate en crise de folie, avec des moments de rémission. Quand ma sœur Antoinette allait naître en 1961, La Mate ne savait pas s’il fallait d’abord interner Le Pate puis aller accoucher, ou bien d’abord accoucher, puis interner Le Pate, elle finit par partir accoucher, car l’internement du Pate était un processus long et compliqué, exigeait l’accord d’un tiers et c’était toujours Tante Odile Harvard, le tiers. (…)
« De son prénom, Lili, La Mate est morte, il n’y a pas très longtemps. Elle était belle et effrayante. La Mate était une enfant malingre collée à sa mère, son Pater étant mort des suites de la guerre 14-18. Elle ne l’a connu que par une photo, habillé en militaire et partant au front dont il revint gazé. Puis, elle devint chef de meute, sous le nom de Canard Vibrant. Elle s’engagea ensuite dans la religion catholique jusqu’à être nonne chez les franciscains, en sortit très vite malade et rencontra alors Le Pate à qui elle consacra sa vie. Après Dieu le père, elle se voua à Dieu, mon père. »
Nous n’avons  pas résisté à cette longue citation pour vous donner un avant-goût de ce texte-confession, bien écrit, à la façon d’un exorcisme auquel en soixante minutes,  se livre la comédienne, seule sur le petit plateau d’une chapelle, avec un lutrin pour le livre de textes et photos qu’elle va feuilleter pour nous.

   A 58 ans, elle nous raconte cette enfance et cette adolescence dans les années soixante,  au sein de cette famille de onze enfants dont trois issus d’un premier mariage du père.  « Il y avait, dit-elle, La grande Elisabeth ou Elisabeth I morte le lendemain de sa naissance, le grand Edouard, ou  Edouard I, mort à quatre  ans dans le même accident qu’Odette et puis nous les vivants  : Suzette qu’on appelait aussi Aigle Noir, Elisabeth II ou encore Gaine Rose, Guillaume ou Guigui, moi, Juliette, Juju, ou le Puma, Edouard II ou Doudou, puis les trois petites : Annette, Antoinette et Guillemette. Nous étions indissociables les uns des autres, nous étions « la meute de la Mate ».
 La Mate, très catholique, élevait ses enfants, tout en gérant la grave maladie de son mari, et était aussi redoutable cuisinière et pâtissière, énergique organisatrice d’une chorale, d’une bibliothèque, d’un catéchisme, de  kermesses pour récolter de l’argent pour sa paroisse. Comptant ses sous et  arrivant même à en gagner en créant des boutiques de produits exotiques en Bretagne, roulant le contrôleur de la SNCF pour les départs en vacances.
A la fois passionnant et d’un temps qui n’a plus  rien à voir avec notre époque: cela se passe dans un immeuble  réservé aux seuls officiers dans la banlieue parisienne souvent dotés de noms à rallonge:les de Clermont- Tonnerre, les de Grenier de Latour, très sympas, pas croyants qui fumaient beaucoup et  buvaient beaucoup de whisky…
  De temps en temps, une chanson comme celle de Jacques Dutronc, pour aérer  les choses,  ou une sonnerie de cloche ou clochettes que Flore Lefebre des Noëttes  agite en rythme.  C’est toute une époque qu’elle arrive ainsi à recréer avec la seule magie des mots: les notes des familles nombreuses qui s’accumulaient chez Félix Potin, les voyage au long cours en train pour aller en vacances à Saint-Michel-Chef-Chef, l’encre violette dans les encriers en porcelaine de l’école, les carambars et les roudoudous, les marelles dessinées à la craie, les instituteurs qui donnaient comme punition des coups de règle sur les doigts, la  confession et la messe obligatoires, les missels avec leurs images pieuses en dentelle, la communion solennelle, vieux rite de passage à l’âge adulte… Bref, un tout autre monde disparu ou presque depuis  bien longtemps, et pourtant encore si proche: nostalgie quand tu nous tiens…
  Debout devant son lutrin, Flore Lefebre des Noëttes  a une formidable présence, et, en une petite heure, réussit à embarquer le public dans son voyage personnel, quasi ethnologique;  le spectacle est encore brut de décoffrage, et  la diction, par moments assez faiblarde, devrait être sérieusement revue à la hausse. Et les cinq dernières minutes traînent un peu comme si la comédienne avait du mal à boucler son texte. Mais bon, cela va se caler et si tous les spectacles du off étaient de cette qualité! Et, après un assez calamiteux Roi Lear dans la Cour d’honneur, dont nous parlerons demain, cette Mate fait du bien…

Philippe du Vignal

Théâtre des Halles tous les soirs à 20h.

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