Soudain la nuit
FESTIVAL D’AVIGNON:
Soudain la nuit d’Olivier Saccomano, mise en scène de Nathalie Garraud
Spectres de l’Europe, ce cycle de recherche, mené par la compagnie du Zieu depuis 2013, est plus que jamais d’actualité. Tandis que les Grecs hier ont voté NON, sa troisième pièce suspend le temps. Que faire ?
L’Othello itinérant que la jeune metteuse en scène proposait était cadencé, farcesque et brutal. Un univers shakespearien belliqueux où les intrigues se nouaient dans la fureur. Rien de tel ici. Nous sommes dans la salle d’attente de l’Europe.
Le spectateur est plongé dans un univers de transit, froid et impersonnel, en camaïeu de gris: rangées de quatre-vingt huit chaises pliantes, blouses administratives, énigmatique structure métallique au lointain avec projection vidéo de villes à l’envers… C’est le service médical d’un aéroport européen. Mais sommes-nous en sécurité ? Ce pourrait tout aussi bien être le purgatoire de Huis-clos de Jean-Paul Sartre ou d’En attendant Godot de Samuel Beckett. A cour, justement, il y a un arbre mort tronçonné… Que fait-on ici ?
Jean-Martin Charcot, neurologue et le théâtre se rejoignent dans la «situation de crise» déclenchée par la mort inexpliquée d’un «individu, jeune, de type nord africain». Les passagers qui ont été pris de vertiges ou vomissements, sont dépouillés de leurs vêtements, mais pas de l’infernale confrontation aux autres. Parmi les personnages errants, nous rencontrons une femme enceinte, une capitaine d’industrie, un pilote…
Chacun entonne son couplet teinté de paranoïa. Le fantasme sécuritaire est malmené. D’autant que le service est dirigé par l’énigmatique docteur Chahine, médecin arabe crasseux, barbu, qui fume clope sur clope, et plume un poulet avant de lui trancher la gorge.
Le spectacle questionne avec nuance la notion d’asile. Abri, refuge ou monde de fous ? Sa glaçante scénographie est efficace. La technocratie bruxelloise et la cruauté de DAECH sont dans l’air, vaporeux comme des fantômes. Aucune lourde métaphore. De belles images apparaissent telles cette tache jaune canari d’une robe de femme, ou la reconstitution du Radeau de la Méduse sur une mer de chaises repliées. Nous sommes en zone inhospitalière.
Le temps se fait souvent pesant et inconfortable, comme le climat politique dans notre Europe malade.
Stéphanie Ruffier
Festival d’Avignon: Gymnase du lycée Mistral, jusqu’au 12 juillet à 15h, relâche le 9.